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Citoyen de La République
Pancrace Dosian
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An 3, septembre
J’suis nerveux.
Déjà, j’aurais pas dû être tout seul. Avec ma houppelande et la capuche baissée, j’me fonds totalement dans l’obscurité si on ignore la lanterne accrochée à la charrette juste à côté de moi, et l’âne stupide et buté qui la tire. J’l’ai laissé harnaché, trop peur qu’il se fasse la malle pendant que j’attends les clients. J’aurais eu l’air bien con pour ramener mon moyen de locomotion, derrière. Tout autour de moi, la forêt vit sa meilleure vie nocturne, avec des vols de hiboux, de chauve-souris ou je sais pas quelle autre saloperie, et des craquements de branches dans tous les sens.
Balti aurait dû être là, putain. C’est un coup à ce que je me fasse planter pour la cargaison et qu’on retrouve jamais mon cadavre. C’est p’tet le plan d’ailleurs ? Nan, Balti, c’est un bon collègue, y compris pour les à-côtés, et on s’comprend là-dessus. Il me ferait pas un coup comme ça, surtout après m’avoir introduit dans pas mal de cercles et à pas mal d’indics. Puis j’ai une couverture qu’attend au chaud dans les arbres, aussi, normalement. Juste qu’ils pourront tirer une flèche aussi vite qu’ils voudront, ça ira jamais aussi rapidement qu’un coup d’épée dans la gueule..
Comme l’autre bouffon qu’est à la bourre, à voir la position de la lune.
J’me rends compte que j’en sais finalement assez peu sur le client, et que j’aurais probablement dû me renseigner davantage. Mais il avait dit qu’il serait là, et il l’aurait été si le chef lui avait pas collé une investigation surprise au dernier moment. C’était trop tard pour changer l’heure, donc il m’a envoyé moi, tout seul. J’sautille sur place, pas pour me réchauffer, la température est plutôt clémente, mais pour évacuer le trop-plein d’énergie et de nervosité.
J’suis en contrebas de la route, dans une combe encaissée entre deux affleurements, et y’a des arbres partout, donc pas visible. C’est un point que Balti utilise fréquemment, apparemment, quand il s’agit de lourder des cargaisons et que les docks vont être craignos ou que ça doit circuler par voie de terre. Là, j’espère juste que ça va pas me retomber dessus, quoi qu’il se passe, et surtout que la promesse sera honorée.
C’est que Tomos, le client, dans le genre p’tit gobelin agressif, il se pose là.
J’vois enfin une torche qui s’allume, puis qui s’agite plus haut. Un cercle, une ligne horizontale de droite à gauche, le signal est respecté à la perfection. J’tends le bras pour attraper ma propre lanterne, et j’ouvre et j’baisse le cache pour reproduire la séquence que Balti m’a apprise avant de partir : un court, un long, trois courts et un long pour finir. Soit-disant ça veut dire des trucs, j’en sais trop rien et j’m’en cogne pas mal, à ce stade. A ma ceinture, j’ai laissé l’épée et le poignard, et sous la cape, j’ai gardé l’armure de cuir pour amortir les mauvais coups, mais ça me protègera pas si les choses dégénèrent davantage.
J’aurais dû juste me projeter ici et nique. Mais y’aurait eu personne pour trimballer la cargaison. J’aurais pu me cacher à proximité. Putain, j’suis trop con. Il est trop tard pour se téléporter ? Nan mais faudra négocier et tout. Tant pis, on pose les couilles sur la table, on roule des mécaniques, on se remplume et on serre les fesses.
J’arbore un p’tit sourire confiant alors que les ombres s’approchent de moi, et que celui qui marche devant, en portant la torche, me salue du haut de ses plus de deux mètres. Les gobelins ont toujours été aussi grands ? C’est la question que j’me pose en regardant son tronche d’oni. J’regarde derrière, mais y’a aucune demi-portion, et Tomos traînait plutôt avec des comme lui : pas bien haut, vert et teigneux.
J’plisse les yeux et j’me dis que ça s’améliore pas.
« Bah alors, on s’est mis à boire de la soupe ? »
Putain, putain, putain, quelle chiasserie.
La torche que portait l'Ogre illuminait timidement son corps colossal, dévoilant par fragments les détails de son masque démoniaque ainsi que sa tenue débrayée. Son habillement se constituait d'un pagne déchiré, d'une cape immense ainsi que d'une multitude de bijoux de provenance et de formes diverses qui juraient certes avec le reste de sa tenue, mais témoignaient sans mal de ses précédentes conquêtes guerrières.
"Tomos est mort."
La voix qui s'éleva derrière le masque pourpre était sombre et puissante, elle tenait davantage du grognement de fauve que du timbre de l'Homme. C'était sans colère ni tristesse qu'il avait annoncé la mort de son collaborateur, mais avec la froideur terrible d'un être qui sait tout de la fragilité de sa vie et de celle des autres. Il ne s'étala pas sur le sujet, préférant simplement se tourner vers l'avenir et les possibilités d'expansion qui venaient avec. Tomos s'était éteint comme la plupart des bandits, soit dans un combat sanglant où il avait eu les yeux plus gros que le ventre. Il n'y avait rien à ajouter et, comme tel était le cas pour beaucoup de malfrats; il n'y avait surtout personne pour le pleurer.
La plaisanterie du marchand de mort avait certes amusé le géant, toutefois sa méfiance à l'égard de l'inconnu le poussait à se montrer plus taciturne qu'à l'accoutumée, il se garda donc bien de ricaner. Les hommes de main de l'Oni titanesque demeurèrent tout aussi silencieux, observant les alentours avec une insistance particulièrement marquée sans accorder le moindre regard à l'homme qui se tenait juste devant eux. Lorsqu'on vivait des embuscades, on savait évidemment se préparer un minimum afin de ne pas en être victime soi-même.
"Il est seul ?"
L'Ogre fit doucement pivoter sa tête sur le côté, cherchant à capter le regard de l'un des siens. L'éclaireur posté à sa droite se contenta de hocher la tête, assurant par ce simple geste que la situation ne semblait pas représenter de danger immédiat pour ses pairs. Rassuré, l'Oni sembla aussitôt se détendre passablement et accorda à nouveau son attention au personnage mystérieux qui se tenait face à lui. Sa voix caverneuse se fit à nouveau entendre et perça brusquement le silence de la nuit :
"La cargaison ?"
Bref et sans fioriture, le monstre tâchait avant tout de vérifier par tous les moyens qu'il n'était pas victime d'une escroquerie. Avant de rendre l'âme, Tomos lui avait déjà donné l'intégralité des détails de l'opération car l'Ogre était supposé l'y accompagner pour s'assurer de son bon déroulement. Le court des évènements ayant changé pour des raisons évidentes, le géant se retrouvait désormais en charge de l'échange, ce qui n'était pas tout à fait dans ses habitudes. Si on le savait apte à de telles manœuvres, il avait au sein de la troupe un rôle qui impliquerait rarement de faire usage de la parole, il était donc inhabituel comme lui comme pour ses compères de se livrer à un tel exercice.
Kahl était méfiant, malgré son calme apparent. Le marchand semblait inoffensif dans une configuration telle que celle-ci, toutefois baisser sa garde ne constituait pas encore une option car tout pouvait basculer en une fraction de seconde, lorsqu'on se livrait à des commerces comme celui-ci.
"Tomos est mort."
La voix qui s'éleva derrière le masque pourpre était sombre et puissante, elle tenait davantage du grognement de fauve que du timbre de l'Homme. C'était sans colère ni tristesse qu'il avait annoncé la mort de son collaborateur, mais avec la froideur terrible d'un être qui sait tout de la fragilité de sa vie et de celle des autres. Il ne s'étala pas sur le sujet, préférant simplement se tourner vers l'avenir et les possibilités d'expansion qui venaient avec. Tomos s'était éteint comme la plupart des bandits, soit dans un combat sanglant où il avait eu les yeux plus gros que le ventre. Il n'y avait rien à ajouter et, comme tel était le cas pour beaucoup de malfrats; il n'y avait surtout personne pour le pleurer.
La plaisanterie du marchand de mort avait certes amusé le géant, toutefois sa méfiance à l'égard de l'inconnu le poussait à se montrer plus taciturne qu'à l'accoutumée, il se garda donc bien de ricaner. Les hommes de main de l'Oni titanesque demeurèrent tout aussi silencieux, observant les alentours avec une insistance particulièrement marquée sans accorder le moindre regard à l'homme qui se tenait juste devant eux. Lorsqu'on vivait des embuscades, on savait évidemment se préparer un minimum afin de ne pas en être victime soi-même.
"Il est seul ?"
L'Ogre fit doucement pivoter sa tête sur le côté, cherchant à capter le regard de l'un des siens. L'éclaireur posté à sa droite se contenta de hocher la tête, assurant par ce simple geste que la situation ne semblait pas représenter de danger immédiat pour ses pairs. Rassuré, l'Oni sembla aussitôt se détendre passablement et accorda à nouveau son attention au personnage mystérieux qui se tenait face à lui. Sa voix caverneuse se fit à nouveau entendre et perça brusquement le silence de la nuit :
"La cargaison ?"
Bref et sans fioriture, le monstre tâchait avant tout de vérifier par tous les moyens qu'il n'était pas victime d'une escroquerie. Avant de rendre l'âme, Tomos lui avait déjà donné l'intégralité des détails de l'opération car l'Ogre était supposé l'y accompagner pour s'assurer de son bon déroulement. Le court des évènements ayant changé pour des raisons évidentes, le géant se retrouvait désormais en charge de l'échange, ce qui n'était pas tout à fait dans ses habitudes. Si on le savait apte à de telles manœuvres, il avait au sein de la troupe un rôle qui impliquerait rarement de faire usage de la parole, il était donc inhabituel comme lui comme pour ses compères de se livrer à un tel exercice.
Kahl était méfiant, malgré son calme apparent. Le marchand semblait inoffensif dans une configuration telle que celle-ci, toutefois baisser sa garde ne constituait pas encore une option car tout pouvait basculer en une fraction de seconde, lorsqu'on se livrait à des commerces comme celui-ci.
Citoyen de La République
Pancrace Dosian
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Ouais, bon, j'me doutais que Tomos pétait pas la forme, hein, pour avoir été remplacé par un oni colossal mais à l'air aussi hargneux que le gobelin qui devait vaguement lui arriver au haut du genou. Par contre, on est clairement pas là pour taper la discute et nouer des liens, c'est plutôt les affaires. Y'a juste, comme qui dirait, un p'tit souci. C'est que j'suis pas censé refiler le matos à quelqu'un d'autre que Tomos, et qu'on sait pas trop ce qui lui est arrivé.
« Ca serait bien, quand même, de m'dire ce qu'est arrivé au petit machin vert. Ne serait-ce que par correction envers un ancien partenaire commercial, v'voyez ? »
C'est le truc à faire, logiquement, mais j'sens que ça va p'tet pas sauver ma peau, à bien y réfléchir. S'il décide d'utiliser son gros gourdin, sans mauvais jeu de mot, j'aurais beau avoir l'air gentil, et avoir fait la Grande Armée Républicaine Glorieuse Ou Ultimement, Incroyablement Lassante, Lente, Insupportable et Stupide (G.A.R.G.O.U.I.L.L.I.S., acronyme non-officiel), je ferai pas le malin.
Sans parler du fait qu'ils sont plus nombreux que un, évidemment.
« Qu'est-ce qui m'assure que vous êtes vraiment les gars de Tomos, par exemple ? Et pas des rivaux qui sautent sur le coup ou, pire des officiers républicains ? Ca serait vraiment, mais alors vraiment, le pire, ça. »
Et ils se rendent pas compte à quel point : même si on a bricolé quelques sécurités à base de plan piégé pour attirer les malfrats, reste que les gentils, c'est censé être nous, sur ce coup. Et j'suis pas sûr que les juges voient d'un bon oeil d'alimenter les brigands en armes de bonne qualité. Pas excellente, hein, si on avait ça, ça se saurait, mais largement correcte.
Tout le système est bien fait, n'empêche : on a un forgeron et un alchimiste qui se chargent d'effacer les sceaux et les signatures, et ensuite, ça tombe mystérieusement des charrettes pendant des transferts et des inventaires, petits bouts par petits bouts. Quand y'en a assez, on vend quelques caisses, et on les envoie se faire tuer ailleurs. Gagnant-gagnant sur toute la ligne, surtout quand derrière on récupère à nouveau les armes pour... les vendre une autre fois.
Ca, c'est le vrai coup de génie de l'affaire.
« Bon, enfin, la cargaison, donc. »
J'me rapproche d'une des caisses, et j'soulève la vieille couverture mitée qui la recouvre, puis le couvercle. Dedans, des épées, quelques masses, et des casques, principalement. L'autre caisse, c'est la même chose, avec quelques cottes de maille en prime. On s'était mis d'accord sur le prix, et franchement, c'est pas de l'arnaque, c'est même en-dessous du prix du marché. Normal, en même temps, vu les circonstances.
J'ramasse une des épées, j'm'écarte d'un pas, et j'fais quelques moulinets faciles avec.
« De la bonne came, honnêtement. Et une bonne affaire. Les lames sont bien équilibrées. »
J'le démontre en l'équilibrant sur un doigt, avec la force de l'habitude.
« Pas de fioritures dessus, elles sont pas vraiment traçables. Par contre, elles sont pas forcément faites à taille... aussi grande. »
Pas sûr qu'il ait besoin d'un couteau à couper le saucisson, typiquement.
« Mais pour les humains, ce qui est pas trop trop plus grand ni trop trop plus petit. Franchement, c'est impec'. Une affaire en or. »
La seconde fois, l'étranger n'usa d'aucun trait humoristique pour poser de manière détournée la question qui semblait lui brûler les lèvres. L'histoire de Tomos n'avait rien de franchement compliquée et ne méritait pas le moins du monde d'être dissimulé, mais Kahl n'appréciait pas qu'on réponde à l'une de ses questions par une autre. Ce fut donc par pur esprit de provocation qu'il choisit de se murer un instant dans un silence qui devint pesant en un temps record puis, après un long moment passé à dévisager son interlocuteur, il grogna finalement entre ses crocs :
"Tu en sauras davantage lorsque j'aurai vu la cargaison."
Comme à son habitude, l'Ogre ne faisait pas réellement dans la concession et souhaitait être pleinement certain qu'il faisait affaire avec la bonne personne avant de livrer le moindre détail concernant le sort de son défunt camarade. Plus diplomate que le géant qui lui faisait face, le marchand d'arme encapuchonné ne fit pas davantage de manière concernant la disparition du gobelin grincheux et accepta enfin de révéler le contenu des caisses qu'il avait transporté jusqu'ici.
De loin, les malfrats qui accompagnaient le colosse se penchèrent vaguement en avant afin d'observer mais, dans la noirceur de la nuit, distinguer l'état des équipements promis n'avait rien d'une mince affaire. Comme le souligna très bien l'inconnu après une brève démonstration, la cargaison ne présentait pas de grand intérêt pour Kahl qui était plutôt du genre à se servir d'armes démesurément grandes et pensées pour un physique tel que le sien.
Les Onis, tout comme les Orcs, avaient certes tendance à se diriger vers des professions nécessitant l'usage de ce type de matériel, mais il était pourtant bien rare de les croiser, les pièces sur mesure étaient donc demandées à l'unité et faisaient rarement l'objet de perte ou de vol. Après tout, lorsqu'un colosse aux crocs gigantesques intégrait les rangs de la garde républicaine, il était peu courant que quiconque ait l'inconscience de lui chaparder ses biens pour les refourguer au marché noir. Le jeu n'en valait pas la chandelle.
Les cottes de maille attisaient bien la curiosité de Kahl mais, une fois encore, le marchand fit donc mouche lorsqu'il évoqua l'évident problème des dimensions. Peut-être s'autoriserait-il une fantaisie de la sorte lors d'une prochaine rencontre même si, jusqu'à présent, son cuir épais semblait avoir suffi. Sans grand intérêt pour la marchandise, l'Ogre laissa donc la main à l'un de ses compères plus expérimentés dans le domaine et ce fut après un hochement de tête approbateur de ce dernier qu'ils décidèrent de concert que l'échange tenait toujours. Jugeant inutile de questionner davantage le commerçant, Kahl reprit la parole :
"Cela semble convenir. Suis-nous. Nous allons boire ensemble au camp, puis je te paierai."
Le ton du géant ne semblait pas laisser de place à la discussion. Il pivota lentement sur le côté, considérant déjà son invitation comme étant acceptée puis, d'une voix dans laquelle se lisait désormais une subtile pointe d'humour, le monstre compléta :
"C'est par correction que nous t'invitons, nous fêtons la naissance d'un nouveau partenariat commercial."
De toute manière, au delà du risque immédiat que représentait un refus de l'hospitalité du colosse, la somme visant à payer le marchand ne se trouvait pas ici.
"Tu en sauras davantage lorsque j'aurai vu la cargaison."
Comme à son habitude, l'Ogre ne faisait pas réellement dans la concession et souhaitait être pleinement certain qu'il faisait affaire avec la bonne personne avant de livrer le moindre détail concernant le sort de son défunt camarade. Plus diplomate que le géant qui lui faisait face, le marchand d'arme encapuchonné ne fit pas davantage de manière concernant la disparition du gobelin grincheux et accepta enfin de révéler le contenu des caisses qu'il avait transporté jusqu'ici.
De loin, les malfrats qui accompagnaient le colosse se penchèrent vaguement en avant afin d'observer mais, dans la noirceur de la nuit, distinguer l'état des équipements promis n'avait rien d'une mince affaire. Comme le souligna très bien l'inconnu après une brève démonstration, la cargaison ne présentait pas de grand intérêt pour Kahl qui était plutôt du genre à se servir d'armes démesurément grandes et pensées pour un physique tel que le sien.
Les Onis, tout comme les Orcs, avaient certes tendance à se diriger vers des professions nécessitant l'usage de ce type de matériel, mais il était pourtant bien rare de les croiser, les pièces sur mesure étaient donc demandées à l'unité et faisaient rarement l'objet de perte ou de vol. Après tout, lorsqu'un colosse aux crocs gigantesques intégrait les rangs de la garde républicaine, il était peu courant que quiconque ait l'inconscience de lui chaparder ses biens pour les refourguer au marché noir. Le jeu n'en valait pas la chandelle.
Les cottes de maille attisaient bien la curiosité de Kahl mais, une fois encore, le marchand fit donc mouche lorsqu'il évoqua l'évident problème des dimensions. Peut-être s'autoriserait-il une fantaisie de la sorte lors d'une prochaine rencontre même si, jusqu'à présent, son cuir épais semblait avoir suffi. Sans grand intérêt pour la marchandise, l'Ogre laissa donc la main à l'un de ses compères plus expérimentés dans le domaine et ce fut après un hochement de tête approbateur de ce dernier qu'ils décidèrent de concert que l'échange tenait toujours. Jugeant inutile de questionner davantage le commerçant, Kahl reprit la parole :
"Cela semble convenir. Suis-nous. Nous allons boire ensemble au camp, puis je te paierai."
Le ton du géant ne semblait pas laisser de place à la discussion. Il pivota lentement sur le côté, considérant déjà son invitation comme étant acceptée puis, d'une voix dans laquelle se lisait désormais une subtile pointe d'humour, le monstre compléta :
"C'est par correction que nous t'invitons, nous fêtons la naissance d'un nouveau partenariat commercial."
De toute manière, au delà du risque immédiat que représentait un refus de l'hospitalité du colosse, la somme visant à payer le marchand ne se trouvait pas ici.
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Pancrace Dosian
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Hein ? Quoi ? Mais nan, j’en ai rien à foutre d’aller boire un godet et de fêter un partenariat commercial, j’suis pas assez payé pour qu’on devienne ami, j’suis juste là pour prendre la thune et m’barrer, merde, quoi ! Mais bon, difficile d’aller expliquer ça à mon pote l’armoire sur pattes, vu que ça n’a pas l’air ouvert à négociation. J’affiche un large sourire satisfait.
« Ouais, bien sûr, je rêve que de ça. »
Bon après, la bonne nouvelle, entre guillemets, c’est que s’il voulait juste me buter, il se serait contenté de le faire ici plutôt que me trimballer jusqu’à sa piaule. Donc à la limite, c’est p’tet même vrai, c’est juste que j’aurais bien voulu me rentrer et laisser tout ça derrière moi –à part la thune, elle, je la prends avec moi. Donc j’remonte sur ma charrette après avoir refermé les caisses, j’attrape les rênes et le long bâton de jonc, puis j’tape sur le dos de l’âne, histoire qu’il démarre.
« C’est loin, le verre ? Pas que j’sois impatient, mais il fait plutôt soif. Et ma bourgeoise va p’tet se demander où j’suis parti, à force. »
Pas qu’elle existe, mais ça coûte rien de le faire croire. C’est pas plus déconnant qu’autre chose, dans l’absolu. Mais mon nouveau meilleur ami se contente d’un fin sourire énigmatique et de continuer de marcher à côté de moi, avec sa bande qui nous entoure, une partie devant pour servir d’éclaireurs et une partie derrière qui fait office d’arrière-garde. Au moins, y’a peu de chances qu’on se fasse prendre par surprise, hein ?
Il faut un temps qui me paraît infini, genre des plombes même si ça doit être une au maximum, pour arriver chez eux, à la lumière de leurs torches et de nos lanternes. C'est un coin un peu planqué, à l'écart à nouveau, avec un genre de grotte derrière où ils doivent foutre leurs données périssables et les machins les plus précieux. Y'a un feu de camp maintenu par deux types qu'ont accumulé des bûches, et il fait notablement plus chaud dès qu'on se met à l'abri du vent et qu'on se rapproche des flammes.
Par contre, à part la grotte qu'est à mettre au crédit de dame nature, le reste est carrément miteux : les sacs de couchage sont fins, au point que certains, on verrait presque à travers, les tentes, pour les rares qui existent, sont crasseuses, un peu comme tout le reste. Et maintenant que y'a davantage de lumière, j'me rends compte que mes accompagnateurs sont pas hyper sexy non plus.
C'est que, naïvement, j'pensais que les fringues en mode pagne et torse nu, c'était une revendication stylistique, surtout pour les plus oni et honnis d'entre nous. Mais ils ont la mine basse avec des cernes et les joues creusées, et ils jettent des regards impatients sur les armes, sûrement pasque c'est leur vecteur vers davantage richesse.
Quand la Grande Armée Républicaine leur tombera dessus suite à leur première attaque de caravane marchande, ils auront une perspective différente.
« Bon, c'est pas tout ça, mais on m'a promis quelque chose à boire et un paquet de pièces sonnantes et trébuchantes. J'vais pas mentir, la seconde promesse me botte davantage que la seconde, mais maintenant que le matos est livré, ça serait bien d'aller au bout des choses, hm ? »
Bravache, téméraire, diraient certains, mais j'sens que c'est le meilleur chemin vers la survie.
Par ses faits et gestes, le marchand faisait savoir sans trop de subtilité son inconfort ainsi que son envie de clore l'échange le plus rapidement possible. Kahl avait certes le crâne épais mais il perçut évidemment la nervosité générale de son "partenaire commercial". Il ne s'en formalisa pas, bien au contraire d'ailleurs, car il trouvait amusant de jouer un peu les imbéciles et de contraindre son nouvel ami à une invitation qu'il aurait probablement refusé, s'il en avait eu le luxe. Au delà de la plaisanterie toutefois, l'Oni avait encore quelques aspects du mystérieux personnage à découvrir et comptait bien profiter de lui coller un coup dans le nez pour délier sa langue.
N'étant pas adepte du commerce et encore moins de la causette, le géant des glaces était surtout désireux de pouvoir établir s'il allait pouvoir faire de nouveau appel à ce type dans le cadre de leurs futurs besoins. Arpenter les ruelles sombres de Liberty en quête de fournisseurs avait toujours été la mission de Tomos et, logiquement, établir de nouveaux commerces risquait d'être compromis depuis l'au-delà. L'Oni patibulaire estimait donc nécessaire de conserver les quelques trouvailles qu'avaient pu faire son petit ami verdâtre de son vivant. Après tout, on ne trouvait pas de l'équipement de facture militaire à tous les coins de rue, et surtout pas à ce prix-là.
Les hommes de main de l'oni se resserrèrent autour du feu. Malgré les nuits passées à arpenter les routes sinueuses aux quatre coins des terres de la République, ils restaient encore aujourd'hui les proies du froid et, malgré leur effroyable mode de vie. Bien plus accoutumé au blizzard que ses compères, le géant issu des terres du nord ne semblait quant à lui pas particulièrement pressé de réchauffer ses immenses paluches auprès du feu de camp. Disparu au fin-fond du campement, le colosse recherchait sans grande motivation le paiement que demandait le marchand et lorsque celui-ci fit savoir qu'il s'impatientait, le monstre rétorqua d'un ton dans lequel se lisait un vague agacement.
"Ne sais-tu pas te tenir ? Notre cave est immense, j'ai du mal à m'y retrouver."
Par cave, il entendait bien sûr le tas de victuailles et d'affaires rassemblés en une pile gigantesque. Les bandits du coin n'étaient pas particulièrement adeptes du rangement et encore moins du tri, il était donc compliqué de s'y retrouver sans s'emmêler les pinceaux. Après de longues minutes d'inspection, l'oni exaspéré finit enfin par mettre le doigt sur les trésors tant convoité. Se débarrassant de son arme, il trimballa d'une main deux coffrets empilés et de l'autre, un tonneau colossal de vinasse qu'ils avaient subtilisé lors d'une précédente embuscade. Après avoir retrouvé ses hommes ainsi que le marchand d'armes, Kahl jeta négligemment le tonneau au sol et déposa les deux coffrets.
L'un des voyous ouvrit machinalement le premier, analysant longuement son contenu avant de le refermer. Cela fait, il le glissa aux pieds du vendeur et accompagna le geste d'un signe de tête, invitant le concerné à vérifier à son tour que le nombre de pièces requis s'y trouvait. Après tout, ils avaient réuni la somme à la hâte et ne s'en était pas inquiétés depuis, il était donc tout à fait probable que l'un des escrocs de la bande ait décidé de s'y servir à la nuit tombée.
"Le compte y est. Tu peux vérifier, grand."
Pendant ce temps-là, Kahl s'était affairé à ouvrir le second coffret, dévoilant une pile de vaisselle passablement encrassée ainsi qu'un petit nombre de gobelets de métal cabossé. Le géant déposa ces derniers sur le sol humide puis saisit le tonneau, qu'il positionna vaguement au dessus de l'ensemble. Tout sourire derrière son masque terrifiant, il jubila :
"Je vous sers, messieurs."
La magie afflua en un courant singulier, s'extrayant de ses profondeurs pour venir gonfler ses muscles et leur conférer une puissance bien supérieure à la normale. Il vint tendre l'index de sa main libre puis, d'un geste vif et sec, il embrocha le sommet du tonneau, ce qui le perça instantanément dans un craquement sonore. L'orifice ainsi créé n'étant pas tout à fait circulaire, la boisson sombre s'écoula de manière chaotique, aspergeant allègrement les pieds du géant et salopant les bottes de ses camarades par la même occasion. La majeure partie du liquide acheva donc sa course sur le sol, toutefois il parvint à remplir à ras bord les gobelets avant de reposer le tonneau.
Kahl récupéra alors l'un des verres et en tendit un second au marchand. Le gobelet était poisseux et le contenu tirait franchement la gueule, mais un peu de ce poison valait sans doute mieux que de se mettre l'Ogre à dos, après tout. Les bandits, peu difficiles sur ce plan là, s'abaissèrent les uns après les autres pour se servir à leurs tours. L'un d'entre eux tenta alors de porter tranquillement la boisson jusqu'à ses lèvres mais fut surpris de recevoir une gifle d'une rare violence de la part de l'oni. Un doigt en l'air en signe de désapprobation, le colosse reprit son acolyte :
"Ta-ta-ta, garnement. C'est l'invité qui boit d'abord."
La bienséance de retour, il laissa à son compère le loisir de masser sans broncher sa joue endolorie puis, de sa main libre et désormais poisseuse comme jamais, le monstre saisit son masque et le décrocha de son faciès, révélant sa frimousse affreuse et les cicatrices qui la recouvrait. Même selon les standards des Onis qui, pour la plupart, n'étaient pas des canons de beauté, Kahl faisait peur à voir. Ses crocs démesurément grands semblaient le contraindre à un étrange rictus et une plaie mal soignée déchirait tout son faciès en diagonal, tranchant de sa lèvre jusqu'à son oeil et lui conférant un air d'étrange sculpture brisée.
Le sourire abject s'étendit encore davantage et les pupilles noires comme la nuit se rivèrent sur le marchand :
"Santé, mon vieux ! Tu te présentes, du coup ?"
N'étant pas adepte du commerce et encore moins de la causette, le géant des glaces était surtout désireux de pouvoir établir s'il allait pouvoir faire de nouveau appel à ce type dans le cadre de leurs futurs besoins. Arpenter les ruelles sombres de Liberty en quête de fournisseurs avait toujours été la mission de Tomos et, logiquement, établir de nouveaux commerces risquait d'être compromis depuis l'au-delà. L'Oni patibulaire estimait donc nécessaire de conserver les quelques trouvailles qu'avaient pu faire son petit ami verdâtre de son vivant. Après tout, on ne trouvait pas de l'équipement de facture militaire à tous les coins de rue, et surtout pas à ce prix-là.
Les hommes de main de l'oni se resserrèrent autour du feu. Malgré les nuits passées à arpenter les routes sinueuses aux quatre coins des terres de la République, ils restaient encore aujourd'hui les proies du froid et, malgré leur effroyable mode de vie. Bien plus accoutumé au blizzard que ses compères, le géant issu des terres du nord ne semblait quant à lui pas particulièrement pressé de réchauffer ses immenses paluches auprès du feu de camp. Disparu au fin-fond du campement, le colosse recherchait sans grande motivation le paiement que demandait le marchand et lorsque celui-ci fit savoir qu'il s'impatientait, le monstre rétorqua d'un ton dans lequel se lisait un vague agacement.
"Ne sais-tu pas te tenir ? Notre cave est immense, j'ai du mal à m'y retrouver."
Par cave, il entendait bien sûr le tas de victuailles et d'affaires rassemblés en une pile gigantesque. Les bandits du coin n'étaient pas particulièrement adeptes du rangement et encore moins du tri, il était donc compliqué de s'y retrouver sans s'emmêler les pinceaux. Après de longues minutes d'inspection, l'oni exaspéré finit enfin par mettre le doigt sur les trésors tant convoité. Se débarrassant de son arme, il trimballa d'une main deux coffrets empilés et de l'autre, un tonneau colossal de vinasse qu'ils avaient subtilisé lors d'une précédente embuscade. Après avoir retrouvé ses hommes ainsi que le marchand d'armes, Kahl jeta négligemment le tonneau au sol et déposa les deux coffrets.
L'un des voyous ouvrit machinalement le premier, analysant longuement son contenu avant de le refermer. Cela fait, il le glissa aux pieds du vendeur et accompagna le geste d'un signe de tête, invitant le concerné à vérifier à son tour que le nombre de pièces requis s'y trouvait. Après tout, ils avaient réuni la somme à la hâte et ne s'en était pas inquiétés depuis, il était donc tout à fait probable que l'un des escrocs de la bande ait décidé de s'y servir à la nuit tombée.
"Le compte y est. Tu peux vérifier, grand."
Pendant ce temps-là, Kahl s'était affairé à ouvrir le second coffret, dévoilant une pile de vaisselle passablement encrassée ainsi qu'un petit nombre de gobelets de métal cabossé. Le géant déposa ces derniers sur le sol humide puis saisit le tonneau, qu'il positionna vaguement au dessus de l'ensemble. Tout sourire derrière son masque terrifiant, il jubila :
"Je vous sers, messieurs."
La magie afflua en un courant singulier, s'extrayant de ses profondeurs pour venir gonfler ses muscles et leur conférer une puissance bien supérieure à la normale. Il vint tendre l'index de sa main libre puis, d'un geste vif et sec, il embrocha le sommet du tonneau, ce qui le perça instantanément dans un craquement sonore. L'orifice ainsi créé n'étant pas tout à fait circulaire, la boisson sombre s'écoula de manière chaotique, aspergeant allègrement les pieds du géant et salopant les bottes de ses camarades par la même occasion. La majeure partie du liquide acheva donc sa course sur le sol, toutefois il parvint à remplir à ras bord les gobelets avant de reposer le tonneau.
Kahl récupéra alors l'un des verres et en tendit un second au marchand. Le gobelet était poisseux et le contenu tirait franchement la gueule, mais un peu de ce poison valait sans doute mieux que de se mettre l'Ogre à dos, après tout. Les bandits, peu difficiles sur ce plan là, s'abaissèrent les uns après les autres pour se servir à leurs tours. L'un d'entre eux tenta alors de porter tranquillement la boisson jusqu'à ses lèvres mais fut surpris de recevoir une gifle d'une rare violence de la part de l'oni. Un doigt en l'air en signe de désapprobation, le colosse reprit son acolyte :
"Ta-ta-ta, garnement. C'est l'invité qui boit d'abord."
La bienséance de retour, il laissa à son compère le loisir de masser sans broncher sa joue endolorie puis, de sa main libre et désormais poisseuse comme jamais, le monstre saisit son masque et le décrocha de son faciès, révélant sa frimousse affreuse et les cicatrices qui la recouvrait. Même selon les standards des Onis qui, pour la plupart, n'étaient pas des canons de beauté, Kahl faisait peur à voir. Ses crocs démesurément grands semblaient le contraindre à un étrange rictus et une plaie mal soignée déchirait tout son faciès en diagonal, tranchant de sa lèvre jusqu'à son oeil et lui conférant un air d'étrange sculpture brisée.
Le sourire abject s'étendit encore davantage et les pupilles noires comme la nuit se rivèrent sur le marchand :
"Santé, mon vieux ! Tu te présentes, du coup ?"
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Pancrace Dosian
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J'ferme ma gueule, pasque ça sert à rien de la ramener. Non, je sais pas me tenir, et j'en ai pas particulièrement envie. J'me demande comment il réagirait, lui, s'il était seul au milieu de vingt potentiels ennemis qui ont eu ce qu'ils voulaient et n'ont plus qu'à payer leurs dettes. Inutile de lui faire remarquer, il serait foutu de dire que s'il est pas payé, ils feraient la rencontre de son gourdin et que ça leur apprendrait, ou une autre sauvagerie du genre.
Donc quand le coffret arrive devant moi, je prends bien le temps de vérifier que le compte y est, et que j'vais pas me retrouver arnaqué de la moindre piécette. Manquerait plus que ça, dis donc. Ou qu'il me facture le prix du verre de vin qu'il est en train de servir. Ca, c'est un peu mesquin, en vrai, j'aurais pu le faire, juste pour rigoler un coup, et si j'comptais pas commercer à nouveau.
A priori, c'est pas trop là-dessus qu'il table, ce qui est plutôt de bon augure.
J'regarde le picrate qu'il m'a servi, et la couleur suspecte du verre qu'il a utilisé. Bon, hé, on n'est pas les bourgeois prout-prout de la Société des Sept Gardiens, hein, on va pas faire de chichis juste pasque leur bande est pas foutue de faire la vaisselle correctement. Et des bouges mal famés, j'en ai écumé un paquet, que ce soit pour le boulot ou en dehors. Donc, merde, je lève mon verre et j'le descends cul sec.
C'est du bon gros rouge qui tache, tanique et agressif, le genre qui laisse les dents et les lèvres colorées. Une boisson qui réchauffe, et c'est exactement de ça dont j'ai besoin. J'claque ma langue contre mon palais, et j'tends mon récipient pour qu'il m'en remette une liche, ce qu'il fait sans sourciller.
Maintenant que j'ai bu, en tout cas, mes camarades de ce soir peuvent enfin se mettre à leur godet à eux, et ils les descendent au moins aussi vite que moi. Ouais, finalement que la soirée va bien se finir : j'ai la thune, on commence à se bourrer la gueule, et on est au coin du feu donc il fait moins putain de froid. J'en serais presque de bonne humeur.
« 'Sûr. 'Sûr sûr. Moi, c'est Vrenn. J'suis un genre de marchand, et parfois, quand ça tombe de la charrette, au sens figuré, pas litéral, hein ? Ahah, j'aide des gens qui devraient pas avoir des choses à ne plus les avoir, et récupérer de l'argent en échange. »
J'cligne des yeux en reprenant une gorgée. Même pour moi, c'était pas hyper clair.
« Si y'a de la contrebande ou des marchandises volées, j'aide à écouler les stocks moyennant une certaine commission. Ce qui fait que j'suis souvent dans les bons coups. »
Ironiquement, la seconde version est d'ailleurs beaucoup plus vraie que la première. C'est qu'on en saisit, des trucs, quand on fait des descentes dans les locaux des criminels. Et tout ça, on peut pas le laisser moisir dans des caves, déjà pasqu'on n'a pas la place, et ensuite pasque ça serait du gâchis, que les rats bouffent tout. Donc, parfois, il arrive qu'on se serve.
Tout le monde le fait, et les chefs encore plus que nous, alors j'ai envie de dire, ça fait carrément partie des avantages du métier.
« Et toi, alors ? Je m'attendais à voir un p'tit gobelin qui m'arrive à la cuisse, et voilà qu'un oni de deux mètres cinquante débarque de nulle part. Tu comprends mes premières inquiétudes, j'suppose. »
Genre la petite goutte qui aurait pu souiller mon entrejambe, quoi.
« Tu reprends le groupe, c'est ça ? Vous avez déjà une idée de ce que vous allez faire du matos, le revendre ou l'utiliser ? Vous avez davantage l'air d'avoir besoin d'une bonne cape pour l'hiver que d'épées, pour être tout à fait honnête. J'peux p'tet même vous en obtenir à des tarots pas dégueulasses, si jamais... »
J'ai p'tet loupé une carrière, à bien y réfléchir : c'est que j'adore rendre service, hein. Ca me perdra, un de ces quatres.
Donc quand le coffret arrive devant moi, je prends bien le temps de vérifier que le compte y est, et que j'vais pas me retrouver arnaqué de la moindre piécette. Manquerait plus que ça, dis donc. Ou qu'il me facture le prix du verre de vin qu'il est en train de servir. Ca, c'est un peu mesquin, en vrai, j'aurais pu le faire, juste pour rigoler un coup, et si j'comptais pas commercer à nouveau.
A priori, c'est pas trop là-dessus qu'il table, ce qui est plutôt de bon augure.
J'regarde le picrate qu'il m'a servi, et la couleur suspecte du verre qu'il a utilisé. Bon, hé, on n'est pas les bourgeois prout-prout de la Société des Sept Gardiens, hein, on va pas faire de chichis juste pasque leur bande est pas foutue de faire la vaisselle correctement. Et des bouges mal famés, j'en ai écumé un paquet, que ce soit pour le boulot ou en dehors. Donc, merde, je lève mon verre et j'le descends cul sec.
C'est du bon gros rouge qui tache, tanique et agressif, le genre qui laisse les dents et les lèvres colorées. Une boisson qui réchauffe, et c'est exactement de ça dont j'ai besoin. J'claque ma langue contre mon palais, et j'tends mon récipient pour qu'il m'en remette une liche, ce qu'il fait sans sourciller.
Maintenant que j'ai bu, en tout cas, mes camarades de ce soir peuvent enfin se mettre à leur godet à eux, et ils les descendent au moins aussi vite que moi. Ouais, finalement que la soirée va bien se finir : j'ai la thune, on commence à se bourrer la gueule, et on est au coin du feu donc il fait moins putain de froid. J'en serais presque de bonne humeur.
« 'Sûr. 'Sûr sûr. Moi, c'est Vrenn. J'suis un genre de marchand, et parfois, quand ça tombe de la charrette, au sens figuré, pas litéral, hein ? Ahah, j'aide des gens qui devraient pas avoir des choses à ne plus les avoir, et récupérer de l'argent en échange. »
J'cligne des yeux en reprenant une gorgée. Même pour moi, c'était pas hyper clair.
« Si y'a de la contrebande ou des marchandises volées, j'aide à écouler les stocks moyennant une certaine commission. Ce qui fait que j'suis souvent dans les bons coups. »
Ironiquement, la seconde version est d'ailleurs beaucoup plus vraie que la première. C'est qu'on en saisit, des trucs, quand on fait des descentes dans les locaux des criminels. Et tout ça, on peut pas le laisser moisir dans des caves, déjà pasqu'on n'a pas la place, et ensuite pasque ça serait du gâchis, que les rats bouffent tout. Donc, parfois, il arrive qu'on se serve.
Tout le monde le fait, et les chefs encore plus que nous, alors j'ai envie de dire, ça fait carrément partie des avantages du métier.
« Et toi, alors ? Je m'attendais à voir un p'tit gobelin qui m'arrive à la cuisse, et voilà qu'un oni de deux mètres cinquante débarque de nulle part. Tu comprends mes premières inquiétudes, j'suppose. »
Genre la petite goutte qui aurait pu souiller mon entrejambe, quoi.
« Tu reprends le groupe, c'est ça ? Vous avez déjà une idée de ce que vous allez faire du matos, le revendre ou l'utiliser ? Vous avez davantage l'air d'avoir besoin d'une bonne cape pour l'hiver que d'épées, pour être tout à fait honnête. J'peux p'tet même vous en obtenir à des tarots pas dégueulasses, si jamais... »
J'ai p'tet loupé une carrière, à bien y réfléchir : c'est que j'adore rendre service, hein. Ca me perdra, un de ces quatres.
Attention : Violence
Même au sein d'une troupe pour laquelle la noblesse et l'éthique n'étaient que des mots, on pouvait parfois obtenir un semblant de calme et de tenue. A en juger par les traits tirés des bandits épuisés, mais surtout par les longs regards vides qu'ils jetaient au fond de leurs gobelets en repensant à des jours meilleurs, on discernait chez eux, dans ces moments de rare accalmie; cette once d'humanité dont on soupçonnait à peine l'existence. Lorsque l'on s'attardait sur eux et qu'on les détaillait avec un peu d'attention, on distinguait certes des cicatrices laissées par un passé tumultueux, mais on percevait également, derrière leurs dégaines de brutes épaisses; que peu d'entre eux avaient véritablement choisi ce mode de vie.
Ce n'était toutefois pas le cas de l'oni géant qui, voracement, engloutissait verre sur verre. L'alcool aidant, il paraissait désormais moins patibulaire qu'à l'accoutumée et c'était avec une forme d'intérêt visible qu'il écoutait l'histoire contée par le marchand. Sur son visage, son éternel sourire s'agrandissait lorsqu'il opinait du chef comme pour valider les propos de ce fameux Vrenn qui semblait désormais plus à l'aise qu'auparavant. L'aspect technique du commerce ne l'ayant jamais intéressé, il n'avait aucune raison particulière de remettre en doute les mots de son interlocuteur et c'était donc dans un silence respectueux qu'il le laissait continuer, loin de se douter de la plausible existence de vilains mensonges qui se seraient glissés ça et là dans l'explication.
Le discours achevé, Vrenn vint alors retourner la question de l'Ogre et lui demanda d'effectuer à son tour une présentation convenable. Lorsque le vendeur évoqua le petit gobelin, Kahl se souvint alors qu'il avait affirmé un peu plus tôt qu'il fournirait des détails concernant le décès du petit bonhomme vert, une fois l'échange effectué.
"Ah oui, Tomos... Brave Tomos..."
Il fit pencher le tonneau désormais bien plus léger et se servit maladroitement une énième dose de poison, sans pour autant laisser son expression s'obscurcir. A l'évocation du nom du gobelin parti ni trop tôt ni trop tard, certaines crapules avaient relevé la tête, davantage par réflexe que par respect. La mort faisait partie du quotidien de cette petite famille et, de toute évidence, elle ne les affectait pas plus que ça. Sans compter que, malgré ses nombreux talents, Tomos avait toujours été affublé d'un caractère de cochon en parfaite adéquation avec son physique disgracieux. Par conséquent, on respectait un minimum, mais pas trop non plus.
"Le petit gars aurait mieux fait de s'en tenir à ce qu'il connaissait. Le marchandage, tenir les comptes, c'était davantage dans ses cordes que de partir au front. Malgré ça, il avait en lui une haine viscérale pour tous ceux qui le regardaient de haut. Compte tenu de son état, bon nombre de personnes, du coup. Il n'avait aucune maitrise particulière de ses armes et pas un sou de talent, il était faible, mais sa hargne avait quelque chose de louable."
Car c'était ainsi que Kahl établissait la majorité de ses jugements de valeur. Quiconque ne pouvait l'affronter lui était inférieur. Ceux-là n'existaient que pour deux choses : le servir ou mourir de sa main. Tomos servait, et plutôt bien de surcroît, il avait donc eu la chance de pouvoir se tenir aux côtés de l'Ogre sans risquer de recevoir un titanesque coup de massue en pleine tête, malgré son comportement détestable.
"On a attaqué un convoi de marchands, non loin de Rebirth. Plutôt bien protégé, à vrai dire, mais la cargaison valait le coup. Tomos s'est jeté dans le tas, dagues en avant, avec une telle férocité qu'il en a oublié de vérifier qu'il était accompagné. Les autres n'ont pas eu le temps de rattraper donc, sans le soutien des plus costauds, il n'a pas fait long feu."
Avec une grossièreté tout à fait obscène, Kahl lâcha subitement son verre et mima un embrochement en faisant passer deux doigts au travers d'un cercle formé par son autre main. Suite à quoi, il éclata d'un rire gras qui fit presque vibrer la roche. La sympathie apparente qu'il pouvait dégager parfois avait tendance à s'effacer, lorsqu'il décrivait la mort de ses compagnons avec une légèreté aussi déplacée. Sa mauvaise plaisanterie effectuée, il enchaîna en peinant à trouver ses mots entre deux éclats de rire.
"Empalé au bout d'une lance, comme un cochon à la broche. Ca a servi de leçon aux autres têtes brûlées du groupe, pour le coup. Pas vrai, messieurs ?"
Hochements de tête timides ou silence de mort. La plaisanterie ne faisait visiblement rire que lui. Face à cet échec, l'Ogre vexé et surtout bien alcoolisé bouscula l'un de ses hommes sans ménagement, par pur agacement.
Sa petite colère apaisée, il riva à nouveau ses yeux noirs sur le dénommé Vrenn, avant d'enchaîner :
"Quant à moi, on me surnomme l'Ogre du Blizzard. Pour ça, notamment..."
Le demi-tonneau de vin commençant à faire sérieusement effet, le géant semblait à deux doigts de perdre l'équilibre. Sans trop d'assurance, il tendit sa paume en l'air puis, quelques instants plus tard, un bloc de glace s'y forma difficilement. Sa maîtrise de la glace était déjà approximative en temps normal, mais son état actuel rendait l'exercice d'autant plus complexe. Néanmoins fier de sa sculpture pour le moins abstraite, il joua avec elle un moment tout en continuant ses explications.
"Je viens du Grand Nord, là où le froid règne en maître. La survie y est difficile et notre mode de vie pour le moins singulier l'est d'autant plus. Là-bas, les perspectives d'expansion sont plutôt minces, si tu vois ce que je veux dire, j'ai donc embarqué quelques hommes vaguement compétents avec moi et nous avons lancé un long voyage durant lequel nous avons effectué de nombreux pillages. Ici, il y a plus de richesse, la nourriture y est meilleure. Tout vient à profusion, lorsqu'on sait où se fournir. On a trouvé quelques incapables, sur le chemin, alors on les a embarqué avec nous. Malheureusement pour moi, aucun d'entre eux n'a ce qu'il faut pour diriger, donc c'est moi qui m'y colle. Mais ça les arrange bien, en vérité. Sans moi, ils ne sont pas grand-chose."
"T'as trop bu, Kahl."
Aux quatre coins de la caverne, de nombreuses paires d'yeux s'écarquillèrent alors. L'oreille en pointe de l'Ogre se tendit en direction du son et son sourire énorme s'affaiblit alors légèrement. Le monstre pivota lentement et ses yeux désormais grand ouverts cherchèrent ceux du coupable dans l'obscurité. Le responsable de la remarque assassine, loin de se démonter, jeta alors un regard de défi au géant. Lui aussi venait du Nord et était d'ailleurs l'un des rares survivants du groupe d'origine. De toute évidence, la dictature imposée par l'oni commençait à lui courir sur le haricot.
Sans mot dire, le colosse lâcha son bout de glace puis s'avança d'un pas décidé vers son camarade. Le malheureux n'eut pas le temps de lever sa garde que déjà, le géant abattait un poing rageur en plein sur sa tempe, le plaquant au sol à l'impact. Suite à quoi, l'oni s'agenouilla au dessus de lui et entreprit de le marteler de coups avec une brutalité hors-norme. Malheureusement pour lui, les pertes hebdomadaires de la troupe risquaient fort de passer de une à deux.
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Pancrace Dosian
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Ah ouais, dommage pour Tomos, on se connaissait depuis des années, et même s'il avait pas un caractère facile, on avait, l'air de rien, pas mal en commun : un humour un peu grinçant, peu d'estime pour notre prochain, la peau verte et une petite taille qui nous rendait particulièrement agressif et teigneux, puis...
Nan j'déconne, j'le connaissais à peine et ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, qu'il ait canné. C'est chiant d'avoir perdu un client et un bon contact, mais dans cette branche, les acheteurs ont tendance à tourner assez vite, rapport aux risques du métier. Tant qu'ils cannent la bouche cousue et loin, moi, j'pardonne tout.
« Hm, ouais, dommage, bonne chance à lui pour la suite. »
Quelle qu'elle soit, hein.
Ensuite, il me parle de son surnom, probablement auto-attribué. Faudra que je lui explique pourquoi on m'appelle le Titan des Ruelles Sombres, moi, ce sera sûrement une histoire truculente, pleine d'humour, d'héroïsme et de rebondissements, une fois que je l'aurai inventée, évidemment. En attendant, on s'contente de « M'sieur l'officier » et c'est déjà pas mal.
En tout cas, sa magie m'fait pas plus d'effet que ça. J'en ai vu d'autres, bien malheureusement, et si ça se borne à faire des glaçons, même si c'est bien pratique en été dans le p'tit jaune. Par contre, en général, quand y'a un début, y'a une suite, et même sans ça, la musculature imposante suffirait largement à me broyer le crâne d'une main en buvant un godet de l'autre.
J'me contente de faire des sons inarticulés d'assentiment pour signifier que j'écoute bien l'histoire, mais grosso merdo, pas grand-chose à en dire ni en penser : une bande de traîne-savates venus du grand nord qui viennent marauder dans le coin, et qu'ont des légers problèmes en terme de liens personnels. En tout cas, Ogrounet qu'a toujours pas donné son prénom, si tant est qu'il le connaisse, il déclenche pas l'unanimité, quand un de ses bonshommes l'interpelle et qu'il commence à lui taper dessus, façon pas très sympa.
Kahlounet, du coup, hé.
J'ai presque le réflexe de me lever pour interrompre, mais à voir le regard fuyant ou mort de faim des autres, j'sens que c'est pas trop l'ambiance. P'tet qu'un brigand de moins, c'est une part supplémentaire dans le pot commun, quand vient l'heure de la soupe et du partage du butin. Probablement, d'ailleurs. Juste que si Grougrou continue à buter ses larbins, il est pas près de réussir à attaquer des convois et des caravanes de marchand, d'ici quelques nuits arrosées.
Les poings s'écrasent régulièrement avec un son de craquement au début, maintenant c'est plutôt un chpouic un peu dégueulasse, alors j'évacue ça de mon esprit et j'note d'y aller mollo sur les blagues. Pendant que Kahl continue à se défouler sur le steak tartare qui lui servait de collègue y'a quelques heures, j'me tourne vers mon autre voisin, un type miteux et mité. Pas trop proche, des fois que les poux et les morpions fassent le grand saut, mais de quoi engager la conversation.
« Alors, vous comptez rester autour de Courage, ou bouger davantage vers Liberty ? C'est là, le coeur de commerce.
- 'Sais pas encore. 'Verra, qu'il dit en regardant l'oni. »
Ah ben si ça prend aucune décision, j'suis bien avancé.
« J'demande surtout pour savoir si on va pouvoir rester en contact, des fois que j'ai d'autres stocks à écouler, par surprise. Impossible de prévoir, 'comprenez bien. Du coup, toi aussi, t'étais là depuis le début ?
- Hm, nan. J'ai eu des p'tits soucis persos dans ma jeunesse, et depuis, on survit comme on peut s'accrocher. J'ai bricolé à droite à gauche, renvoyé de l'armée, puis fallait bien bouffer, alors...
- Ouais, normal. »
Normal mes couilles.
Puis y'a un hululement super bruyant, suivi rapidement d'une série de coups de sifflet. Tous les criminels attrapent leurs armes, qui traînent à côté, et ont leur regards qui se tournent vers l'extérieur. L'un d'eux attrape un seau d'eau et le balance sur le feu, qui s'éteint dans un chuintement sonore, laissant que quelques braises rougeoyantes alors que nos visions galèrent à s'ajuster au changement de luminosité.
J'ai la main sur la garde de mon épée, et dans l'ombre, on sent Kahl se redresser et prendre sa massue alors qu'une ligne de torches avance vers nous, et que j'ai du mal à distinguer s'il s'agit de l'armée, d'officier républicains ou d'un gang rival qui voit d'un mauvais oeil l'établissement de confrères dans le quartier.
J'me sens un peu coincé, et dans le chaos, c'est impossible de juste partir. La nyctalopie fait que j'suis pas mal à l'aise, mais la téléportation sera un peu trop juste : le cadre s'y prête pas. J'murmure à voix basse les quelques mots de pouvoir que j'ai appris pour donner forme à l'enchantement, et en quelques secondes, planqué à l'écart, je perds dix centimètres et autant de kilos tandis qu'une opulente barbe rousse pousse sur mon visage, et que j'deviens plus moche et ordinaire que mon moi habituel.
Faut ce qu'il faut, hein.
Autant galvanisé par l'alcool que par la colère, le géant bleu frappait sans relâche son pauvre compère qui, bien évidemment, n'opposait désormais plus la moindre résistance. Oscillant entre la vie et la mort, le pauvre voyou recouvert de son propre sang ne parvenait à articuler que quelques gargouillements suppliants mais la rage bestiale de son supposé camarade ne trouvait visiblement aucune fin. Trop concentré sur le massacre, Kahl fut le dernier à réaliser qu'à l'entrée de la planque, quelque chose se tramait. L'agitation brusque des autres crapules fut un élément suffisamment probant pour attirer son attention et éviter au malheureux brigand un sort des plus déplaisants. A bien y songer, il avait probablement retenu sa leçon.
Le colosse se retourna en direction des perturbateurs qui s'étaient invités sans courtoisie. Sa vision était passablement voilée par la boisson, mais il était encore assez conscient pour réaliser qu'aucune trogne ne lui revenait, parmi la dizaine de vilaines frimousses qui venaient d'apparaître. Pas de chance pour eux s'ils cherchaient à se trouver un abri, car il avait déjà été bien établi que le taulier n'était pas d'humeur à recevoir. Un invité, c'était déjà très bien selon ses standards. Il lâcha donc le corps inanimé de son confrère et fit glisser par réflexe son fidèle masque sur son faciès en bazar. Fin prêt, il se redressa lentement et s'approcha de ses hommes qui, déjà, avaient tous porté leurs mains à leurs pommeaux.
Parlant d'invité, justement, ce dernier s'était tout bonnement volatilisé. Cela n'avait rien d'étonnant en vue de la nature de sa profession qui nécessitait certaines qualités en matière de discrétion. Il était probablement invisible, téléporté au loin ou encore pendu au plafond sous la forme d'un quelconque arachnide. Peu importait, la question se poserait plus tard. Avec force et autorité, l'Ogre désormais en tête prit la parole :
"Vous êtes qui, vous ?"
A priori, pas des copains. S'ils en étaient, ils manquaient cruellement de talent sur le plan social car, entre leurs mines patibulaires et leurs armes apparentes, ils n'avaient rien de sympathique de prime abord. Le géant du Nord saisit sa massue d'une main, puis porta l'autre bras jusqu'à sa gueule masquée. Il soupira bruyamment et, par les orifices du masque, une brume glaciale s'extirpa en un épais nuage, formant sur son avant-bras un solide bloc dont la forme se mua rapidement en une sorte de lame grossière. Prêt pour une altercation, il laissa l'un des visiteurs indésirables lui répondre :
"Je m'appelle Elthas. J'suis le chef de la bande des Serpents Noirs. On va la faire courte : ça fait un moment qu'on te traque, l'affreux. Toi et tes p'tits amis, vous commencez à nous courir sévèrement sur le haricot. Ca nous dérange pas d'avoir un peu de concurrence en matière de banditisme, mais vous bossez comme des salopiauds. Avec vos conneries, vous allez finir par nous coller les militaires à dos. On est venus vous donner un avertissement mais si on doit se repointer, ça risque de pas se passer de manière cordiale."
Imposant et marqué par les conflits, Elthas n'avait rien pour plaire. Chauve, l'oreille gauche grossièrement cisaillée et le visage couvert de crasse, il était équipé d'une armure lourde dont les épaulières étaient ornées de pointes acérées. Ses hommes étaient pour la plupart moins préparés en terme de matériel, mais leur arsenal avait tout à fait de quoi rivaliser avec celui des brigands sous les ordres de l'Ogre. En cas d'assaut, l'issue du combat semblait tout à fait incertaine.
Une vague de tension s'empara de l'ensemble des criminels. Des regards fugaces furent échangés, certaines lames encore au fourreau firent leur apparition et le colosse des neiges, quant à lui, continua à dévisager son interlocuteur avec une insistance qui ne présageait rien de bon. Tel un prédateur en chasse, il semblait jauger sa proie potentielle avec un air profondément mauvais. Son ton se fit moins grincheux que précédemment et ce fut avec une moquerie non dissimulée qu'il rétorqua :
"Quelle plaisanterie. Quand on se pointe avec pas plus d'une dizaine de bras cassés derrière soi, on a pas l'audace de se revendiquer chef et encore moins l'arrogance de nommer sa bande de faiblards. Je n'ai que faire de vos avertissements alors déguerpissez, si vous ne voulez pas que ça dégénère entre nous."
Un silence s'installa alors dans l'assemblée, le calme qui précédait une évidente tempête. Furtivement, chacun changea de position afin de se préparer à l'altercation. Il n'y eut ni signal, ni déclaration, pas même un éclat de voix ou un cri de guerre. D'un seul coup, Elthas pointa sa main libre en avant et une vague d'électricité s'en échappa, formant des arcs violacées qui crépitèrent à l'unisson en frappant de plein fouet certains hommes de l'Ogre. Le monstre rugit à pleins poumons et passa en première ligne, arme glaciale bien au dessus de la tête, prête à frapper.
Tous se jetèrent dans la mêlée et bien vite, la roche se teinta de pourpre. Boules de feu, torrents de foudre et autres manifestations de sorcellerie furent légion, plongeant la cave autrefois si obscure dans un bain de lumière multicolore. Au milieu du carnage, l'Ogre rendu fou par l'appel du sang frappait à tour de bras, désossant les uns et les autres avec une fougue telle qu'on en venait à se demander s'il différenciait amis et ennemis. Un véritable carnage était lancé, mais qu'en était-il de l'intrus ?
Le colosse se retourna en direction des perturbateurs qui s'étaient invités sans courtoisie. Sa vision était passablement voilée par la boisson, mais il était encore assez conscient pour réaliser qu'aucune trogne ne lui revenait, parmi la dizaine de vilaines frimousses qui venaient d'apparaître. Pas de chance pour eux s'ils cherchaient à se trouver un abri, car il avait déjà été bien établi que le taulier n'était pas d'humeur à recevoir. Un invité, c'était déjà très bien selon ses standards. Il lâcha donc le corps inanimé de son confrère et fit glisser par réflexe son fidèle masque sur son faciès en bazar. Fin prêt, il se redressa lentement et s'approcha de ses hommes qui, déjà, avaient tous porté leurs mains à leurs pommeaux.
Parlant d'invité, justement, ce dernier s'était tout bonnement volatilisé. Cela n'avait rien d'étonnant en vue de la nature de sa profession qui nécessitait certaines qualités en matière de discrétion. Il était probablement invisible, téléporté au loin ou encore pendu au plafond sous la forme d'un quelconque arachnide. Peu importait, la question se poserait plus tard. Avec force et autorité, l'Ogre désormais en tête prit la parole :
"Vous êtes qui, vous ?"
A priori, pas des copains. S'ils en étaient, ils manquaient cruellement de talent sur le plan social car, entre leurs mines patibulaires et leurs armes apparentes, ils n'avaient rien de sympathique de prime abord. Le géant du Nord saisit sa massue d'une main, puis porta l'autre bras jusqu'à sa gueule masquée. Il soupira bruyamment et, par les orifices du masque, une brume glaciale s'extirpa en un épais nuage, formant sur son avant-bras un solide bloc dont la forme se mua rapidement en une sorte de lame grossière. Prêt pour une altercation, il laissa l'un des visiteurs indésirables lui répondre :
"Je m'appelle Elthas. J'suis le chef de la bande des Serpents Noirs. On va la faire courte : ça fait un moment qu'on te traque, l'affreux. Toi et tes p'tits amis, vous commencez à nous courir sévèrement sur le haricot. Ca nous dérange pas d'avoir un peu de concurrence en matière de banditisme, mais vous bossez comme des salopiauds. Avec vos conneries, vous allez finir par nous coller les militaires à dos. On est venus vous donner un avertissement mais si on doit se repointer, ça risque de pas se passer de manière cordiale."
Imposant et marqué par les conflits, Elthas n'avait rien pour plaire. Chauve, l'oreille gauche grossièrement cisaillée et le visage couvert de crasse, il était équipé d'une armure lourde dont les épaulières étaient ornées de pointes acérées. Ses hommes étaient pour la plupart moins préparés en terme de matériel, mais leur arsenal avait tout à fait de quoi rivaliser avec celui des brigands sous les ordres de l'Ogre. En cas d'assaut, l'issue du combat semblait tout à fait incertaine.
Une vague de tension s'empara de l'ensemble des criminels. Des regards fugaces furent échangés, certaines lames encore au fourreau firent leur apparition et le colosse des neiges, quant à lui, continua à dévisager son interlocuteur avec une insistance qui ne présageait rien de bon. Tel un prédateur en chasse, il semblait jauger sa proie potentielle avec un air profondément mauvais. Son ton se fit moins grincheux que précédemment et ce fut avec une moquerie non dissimulée qu'il rétorqua :
"Quelle plaisanterie. Quand on se pointe avec pas plus d'une dizaine de bras cassés derrière soi, on a pas l'audace de se revendiquer chef et encore moins l'arrogance de nommer sa bande de faiblards. Je n'ai que faire de vos avertissements alors déguerpissez, si vous ne voulez pas que ça dégénère entre nous."
Un silence s'installa alors dans l'assemblée, le calme qui précédait une évidente tempête. Furtivement, chacun changea de position afin de se préparer à l'altercation. Il n'y eut ni signal, ni déclaration, pas même un éclat de voix ou un cri de guerre. D'un seul coup, Elthas pointa sa main libre en avant et une vague d'électricité s'en échappa, formant des arcs violacées qui crépitèrent à l'unisson en frappant de plein fouet certains hommes de l'Ogre. Le monstre rugit à pleins poumons et passa en première ligne, arme glaciale bien au dessus de la tête, prête à frapper.
Tous se jetèrent dans la mêlée et bien vite, la roche se teinta de pourpre. Boules de feu, torrents de foudre et autres manifestations de sorcellerie furent légion, plongeant la cave autrefois si obscure dans un bain de lumière multicolore. Au milieu du carnage, l'Ogre rendu fou par l'appel du sang frappait à tour de bras, désossant les uns et les autres avec une fougue telle qu'on en venait à se demander s'il différenciait amis et ennemis. Un véritable carnage était lancé, mais qu'en était-il de l'intrus ?
Citoyen de La République
Pancrace Dosian
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Pas que j'manque particulièrement de courage, mais disons que j'ai conscience de ma mortalité. J'peux pas en dire autant de l'oni, qui s'est jeté dans la mêlée avec son masque, son énorme gourdin et une lame en glace. Finalement, il fait autre chose que des tours de magie, et l'adrénaline d'avoir tabassé quasiment à mort son collègue puis d'enchaîner sur une échaffourée semble l'avoir fait décuver d'un coup sec.
Sans mentir, j'suis soulagé que ce soit des brigands de bas étage et pas l'armée, ou pire, l'office républicain. Les seconds, on aurait plus ou moins été foutu, c'est pas les vingt branques de l'autre bourrin qui auraient fait la différence. Et les seconds, ç'aurait été les collègues, j'aurais pas pu faire ça... Alors que les premiers, les scrupules sont nettement assez absents, et j'dégaine mon épée.
Pareil, j'suis pas un expert duelliste ou quoi, mais on a appris ce qu'il fallait à l'armée, quand il s'agissait pas de marcher en rangs d'oignons au pas, et j'me suis arrangé pour pas trop rouiller. Quand ta vie tient à un bout de métal, tu fais en sorte de pas oublier comment t'en servir. Du coup, j'me mets à appliquer la première règle de l'épée : mettre le bout pointu dans le gars d'en face.
J'suppose qu'il m'a pas vu venir, pasqu'il est resté de dos et que j'ai pu prendre le temps d'ajuster soigneusement son aisselle, au défaut de son armure mal calibrée et clairement pas à sa taille. Le type que j'ai aidé m'adresse à peine un regard et va taper sur un autre, tandis que j'essaie de faire l'inventaire de la situation.
C'est le chaos, évidemment.
Y'a pas de ligne de combat, et comme les criminels d'un bord et de l'autre se connaissent, ils savent qui sont leurs alliés. C'est pas vraiment mon cas : les méchands savent pas que j'suis contre eux, mais mes potes non plus savent pas que j'suis avec. Tout ça me place dans une situation extrêmement inconfortable, surtout avec la métamorphose. N'importe quel clampin est foutu d'essayer de me planter sans savoir exactement pour qui j'bosse.
J'me demande si j'devrais reprendre mon apparence normale... Mais j'laisse tomber l'idée en reculant de trois pas pour éviter un coup de masse cloutée : en plein milieu du champ de bataille, c'est clairement ni le lieu ni le moment, donc la stratégie à mettre en place devient toute établie, surtout que pour être parfaitement honnête, je suis pas non plus parfaitement capable de les différencier.
Donc le premier qui m'approche, j'le bute, et je reste à l'orée des combats pour me faire oublier. Si l'oni gagne, tant mieux, s'il perd... j'suis dans la merde. Rah, putain, ça dégoûte.
D'un regard, mon assaillant est pris d'une brusque migraine, et le trou dans sa garde est suffisant pour que je tranche d'abord au niveau de son poignet, lui faisant lâcher son arme, puis qu'un estoc trouve sa joue et transperce son crâne pour aller buter contre le fond de son casque.
Avec un grognement, j'sors mon épée de là, et j'regarde où aller : Kahl est en train de faire un cyclone de mort autour de lui, et même sa bande essaie de rester loin, tandis qu'en face, ça balance un peu de magie pour le maintenir à distance. Mais ça fait que le rendre plus furieux encore, tout en l'éloignant provisoirement. Derrière, y'en a un qui balance des filaments de foudre à des points choisis, pour aider ses petits camarades. Allez, c'est gagné.
J'm'éloigne doucement du feu et des torches, puis j'commence à marcher dans la neige en écoutant le son des combats. Personne fait attention à moi, et ceux qui m'ont vu partir doivent penser que j'ai pris la fuite. Avec un arc de cercle fait en trottant, j'arrive par derrière, alors j'me baisse, et j'reprends mon souffle.
Une fois que j'suis assuré que personne me prête attention, j'avance tout doucement, mais y'a une branche qui craque, ou alors j'ai mauvaise haleine, ou juste pas de chance, mais le magicien se tourne vers moi et le filament électrique qu'il manipulait part tout droit dans ma direction.
J'me jette au sol, et j'roule par réflexe pour me relever et foncer sur lui avant qu'il en prépare un autre. Il sort un couteau qui vole à mon premier coup de taille, et alors que j'arme le suivant, ses mains brillent d'une lueur jaune, très visible dans la nuit. L'attaque mentale de niveau supérieur lui fait avoir un hoquet de douleur, mais pas avant que l'électricité parte dans mon épée, que j'lâche, les bras tétanisés.
J'lui fonce dedans, épaule en avant. On tombe dans un enchevêtrement de membres. J'lui tape dessus avec mes mains engourdies, sans même fermer les poings puis, quand la circulation revient, j'en serre une autour de son cou tandis que l'autre cherche à immobiliser ses poignets. Quand sa magie revient, j'plante mon pouce à côté de son oeil et j'pousse. La douleur mentale s'accentue. Sa magie reflue. L'asphyxie marche. Mon pouce avance. Il gueule. Ses genoux tapent contre mon dos. On souffle comme des boeufs.
Au bout de plusieurs dizaines de secondes, il arrête de bouger, et j'retire mon doigt de son orbite ensanglanté avec une grimace de dégoût. Bordel, que c'est long d'étrangler un type. Levant les yeux, j'vois que l'affrontement touche à sa fin aussi chez les autres, et l'adrénaline retombe d'un coup, m'laissant presque tremblotant.
Putain.
Un dernier coup de massue bien senti sur un malheureux voyou sonna la fin de l'altercation entre les deux bandes. Il était souvent difficile pour la bande de l'oni d'admettre qu'ils devaient leur succès à la présence du monstre qui avait pris la tête de leur troupe, mais les faits se présentaient souvent ainsi. Là encore, aucune place n'avait été laissée pour le doute car c'était dans une rage totalement bestiale que l'Ogre avait sombré, balayant à tour de bras femmes et hommes et réduisant à néant leurs espoirs dans un torrent de sang et de larmes. Il était intéressant de constater qu'un bandit intrépide et animé par la violence retombait vite dans les travers des faibles lorsque l'un de ses proches se retrouvait réduit en bouillie d'un seul coup dans une effusion pourpre. Parmi les rares survivants, certains s'effondraient et tentait vainement de ramper jusqu'à la sortie en implorant les vainqueurs, mais le mot d'ordre de Kahl primait :
Aucun survivant.
Alors les crapules s'improvisaient bourreaux et frappaient au hasard les corps inanimés à la recherche d'un éclat de vie, qu'ils venaient ensuite éteindre d'un dernier assaut fatal. Tandis que les assassins sans honneur accomplissaient leur macabre tâche, leur dirigeant cherchait quant à lui sa nouvelle rencontre du regard, sans succès. Il ne reconnaissait pas toutes les têtes tordues de ses confrères, en vérité, car les recrutements constants et les pertes régulières rendaient l'exercice plus difficile qu'il ne devait l'être. En règle générale, le géant bleu différenciait ses alliés de ses adversaires par leurs positions sur le champ de bataille, il était d'ailleurs arrivé plus d'une fois qu'il assène un coup de gourdin à un camarade trop aventureux.
Il avait pourtant bien assimilé la frimousse du vendeur d'armes et c'était non sans une certaine déception qu'il constatait sa disparition. Déjà colérique par défaut, il s'en retrouvait d'autant plus grognon, car il n'avait pas tout à fait terminé sa discussion avec l'invité du jour. C'était donc en pestant allègrement qu'il cherchait le commerçant parmi le monticule de cadavres amassés. Il n'espérait pas l'y trouver, évidemment, mais se disait qu'un tel carnage risquait de rendre caduc tout accord pour le futur. Les marchands de mort aimaient l'argent procurés par leurs produits, mais ils avaient tendance à vouloir éviter de les voir en action, pas de trop près en tout cas.
"Il est passé où, notre nouveau copain ?"
La voix puissante du colosse grincheux porta dans toute la caverne et suscita chez certains bandits une pointe d'angoisse. Personne n'avait oublié le coup de sang qui avait précédé la bagarre et tous souhaitaient esquiver un second service. C'était donc sans conviction que la plupart haussaient les épaules. Les plus malins d'entre eux faisaient mine de travailler, redoublant d'effort dans leurs fouilles pour éviter de s'attirer les foudres du géant. Même s'ils passaient tout au peigne fin, ils n'obtenaient pas le moindre indice sur le vendeur porté disparu, chose qui risquait fort de rehausser le niveau d'agacement du plus vil d'entre eux. Ils furent rassurés lorsqu'il pointa du doigt l'une des nouvelles recrues, un bonhomme mystérieux qui se dépêtrait tout juste d'un combat léthal avec un type visiblement étranglé.
"Toi là, tu l'as pas vu se faire la malle ? J'avais besoin de négocier avec lui une nouvelle rencontre."
Kahl ne savait pas que, sous la barbe drue et les fripes sales se cachaient en vérité l'homme qu'il recherchait avec tant d'ardeur.
Aucun survivant.
Alors les crapules s'improvisaient bourreaux et frappaient au hasard les corps inanimés à la recherche d'un éclat de vie, qu'ils venaient ensuite éteindre d'un dernier assaut fatal. Tandis que les assassins sans honneur accomplissaient leur macabre tâche, leur dirigeant cherchait quant à lui sa nouvelle rencontre du regard, sans succès. Il ne reconnaissait pas toutes les têtes tordues de ses confrères, en vérité, car les recrutements constants et les pertes régulières rendaient l'exercice plus difficile qu'il ne devait l'être. En règle générale, le géant bleu différenciait ses alliés de ses adversaires par leurs positions sur le champ de bataille, il était d'ailleurs arrivé plus d'une fois qu'il assène un coup de gourdin à un camarade trop aventureux.
Il avait pourtant bien assimilé la frimousse du vendeur d'armes et c'était non sans une certaine déception qu'il constatait sa disparition. Déjà colérique par défaut, il s'en retrouvait d'autant plus grognon, car il n'avait pas tout à fait terminé sa discussion avec l'invité du jour. C'était donc en pestant allègrement qu'il cherchait le commerçant parmi le monticule de cadavres amassés. Il n'espérait pas l'y trouver, évidemment, mais se disait qu'un tel carnage risquait de rendre caduc tout accord pour le futur. Les marchands de mort aimaient l'argent procurés par leurs produits, mais ils avaient tendance à vouloir éviter de les voir en action, pas de trop près en tout cas.
"Il est passé où, notre nouveau copain ?"
La voix puissante du colosse grincheux porta dans toute la caverne et suscita chez certains bandits une pointe d'angoisse. Personne n'avait oublié le coup de sang qui avait précédé la bagarre et tous souhaitaient esquiver un second service. C'était donc sans conviction que la plupart haussaient les épaules. Les plus malins d'entre eux faisaient mine de travailler, redoublant d'effort dans leurs fouilles pour éviter de s'attirer les foudres du géant. Même s'ils passaient tout au peigne fin, ils n'obtenaient pas le moindre indice sur le vendeur porté disparu, chose qui risquait fort de rehausser le niveau d'agacement du plus vil d'entre eux. Ils furent rassurés lorsqu'il pointa du doigt l'une des nouvelles recrues, un bonhomme mystérieux qui se dépêtrait tout juste d'un combat léthal avec un type visiblement étranglé.
"Toi là, tu l'as pas vu se faire la malle ? J'avais besoin de négocier avec lui une nouvelle rencontre."
Kahl ne savait pas que, sous la barbe drue et les fripes sales se cachaient en vérité l'homme qu'il recherchait avec tant d'ardeur.
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Pancrace Dosian
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Quand Kahl me pointe du doigt, je cligne des yeux d'un air surpris. Puis les méninges se remettent à turbiner à toute allure. Il le fait exprès, il sait que j'suis le seul qui fait partie de sa troupe, et il essaie de sonder délicatement si j'suis chaud pour refaire un coup de petit commerce, ou si j'préfère effectivement me tailler et laisser tomber là. Puis j'reprends la mesure de son physique imposant, les muscles tellement saillants qu'il doit avoir du mal à se gratter le dos, et le sang qui macule ses fringues et sa peau.
Ouais, p'tet pas jouer au con, hein.
La métamorphose disparaît d'une simple pensée, et j'reprends mes centimètres et mon physique avenant. Puis j'm'essuie les doigts sur le pourpoint crade de ma victime, avant de reprendre méthodiquement mes affaires sous le regard de l'oni. Les brigands chuchotent, autour, et s'attendaient vraisemblablement pas à ce que le marchand un peu bizarre qui leur a vendu des armes soit un puissant magicien. Haha.
« Faut bien quelques assurances, dans mon métier. J'peux pas trimballer ma tête partout pour commercer avec n'importe qui, trop peur que les pistes viennent me brûler les doigts. Donc même si, d'aventure, vous vous faites chopper et que vous bavassez, rien ne pourra remonter jusqu'à moi, v'voyez ? »
J'essaie de les rassurer un peu mais pas trop. Le mal que j'ai eu à buter un simple criminel, si tant est qu'ils aient remarqué que c'était lui aussi un sorcier, devrait y travailler : un type à peine apte à en planter un autre, ça fait moins peur, tout de suite, quand on a l'habitude d'une vie rugueuse et brutale comme la leur.
« Toujours important, d'avoir quelques cartes dans la manche, j'pense pas que vous pensez autrement. Mais bref, on n'est pas là pour parler de comment j'assure mes arrières. En tout cas, j'vous ai aidés en gage de bonne foi, et pour que notre relation commerciale continue sur des bases saines, alors que j'aurais pu juste me faire la malle. Kahl, tu parlais de négocier une nouvelle rencontre ? Ca peut parfaitement s'arranger, bien entendu. »
Dès que y'a de l'argent, je peux toujours faire un effort, après tout. J'me passe la main dans les cheveux, et j'me frotte le visage pour faire partir les fourmillements qui le parcourent. Allez, j'ai les sangs fouettés, et j'comprends ceux qui veulent tirer un coup après ça, mais c'est pas ici que j'vais trouver ce qui m'intéresse. Puis, surtout, j'voudrais bien rentrer chez moi, maintenant.
« Le blème, c'est que j'vais pas réussir à ravoir la même came que là. Ca tombe un peu par hasard, par chance, à quelques occasions un peu rares. On peut rester en contact et refaire affaire le cas échéant. Pour ce qui est du matériel plus classique, par contre, si vous avez des besoins en tête, y'a p'tet moyen de faire quelque chose. »
Genre déléguer ça à quelqu'un dont c'est vraiment le métier. Balti est sûrement en cheville avec des vendeurs, contrebandiers, et autres marchands qui seraient capables de fournir du matos de base, des fringues par exemple, quoiqu'ils sont déjà en train de troquer leurs effets personnels les plus abîmés contre ceux de leurs victimes du jour. Y'en a un qui montre fièrement ses nouvelles bottes, avec encore une tache de sang dessus, qui commence déjà à brunir à la lueur des torches et du feu, ravivé maintenant que les combats sont finis.
« En tout cas, c'était un plaisir. J'reprendrais bien un godet pour la route, puis il serait temps de se rentrer, hé ? »
Sous les yeux ébahis du colosse, le type auquel il venait de donner un ordre commença à gagner en taille et à perdre en fourrure, chose qui surprit grandement l'oni. Après une poignée de secondes, le géant incrédule comprit enfin la nature de la supercherie car sous cette barbe se cachait en réalité le fameux marchand d'arme faisant l'objet de ses recherches ! Rassuré et également impressionné par le petit tour de passe-passe, Kahl abaissa son doigt et ramena ses paluches contre ses hanches, heureux de constater que le commerçant n'avait pas passé l'arme à gauche mais surtout de voir qu'il était resté pour participer à l'altercation, chose rare et particulièrement courageuse de la part d'un simple vendeur. Satisfait, le colosse ajusta son masque puis enjamba une pile de vivres éparpillés pour écourter la distance entre lui et son vis-à-vis.
"Etonnant."
Jaugeant du regard le commerçant, il l'écouta tranquillement lors de son discours, l'adrénaline du combat ayant grandement participé à réduire les effets de l'alcool sur sa psyché. Les bras croisés, il opinait silencieusement du chef lorsque son interlocuteur expliquait pourquoi il avait choisi de rester malgré l'immense danger qu'avait suscité une rencontre avec la bande du serpent machin, ou quelque chose dans le genre. Adepte de la bataille, il avait une fâcheuse tendance à oublier ses adversaires après leur avoir réglé leur compte et c'était d'autant plus vrai lorsque lesdits ennemis opposaient une si fébrile résistance. Il fut alors question d'un second rendez-vous, chose que le géant accueillit d'un signe de tête approbateur.
"Cela me convient parfaitement. Après un tel coup d'éclat, je me vois mal commercer avec quelqu'un d'autre que toi."
Il n'était jamais question ni de sympathie ni de loyauté dans l'esprit tourmenté du colosse, toutefois ce dernier savait reconnaître que ce mystérieux marchand disposait de qualités qui se faisaient rares dans le milieu. Outre son attitude parfaitement adaptée à la situation, il avait su briller en refusant d'abandonner un potentiel client et avait mis sa vie en jeu pour s'assurer de conserver le contrat, un élément qui jouait évidemment en sa faveur dans le cœur du guerrier. Kahl jeta un coup d'œil en arrière pour chercher l'approbation de ses pairs mais ces derniers, déjà bien affairés à s'équiper sur les cadavres jonchés un peu partout, semblaient n'avoir que faire d'un tel accord commercial.
Ce fut donc après un très bref balayage de la zone que Kahl tendit énergiquement sa main griffue pour saisir celle de son interlocuteur avant de lui serrer la paluche avec toute la force qu'on lui connaissait. Tout enthousiaste à l'idée d'avoir réussi à conclure un accord, il ne cacha pas sa satisfaction et fut évidemment d'avis qu'un dernier verre était de mise, en vue de ce qui venait de se dérouler. Il se tourna vers l'assistance puis, de sa voix tonitruante, il beugla à en faire vibrer les murs rocheux :
"Messieurs ! On va s'en jeter un de plus à la santé du gaillard ! Amenez-vous !"
On en venait presque à oublier qu'au fin-fond de la caverne, le malheureux type passé à tabac quelques minutes plus tôt gisait dans son propre sang, combattant pour sa survie tandis que chacun festoyait.
Pour l'Ogre et sa bande de crapules, c'était une bien belle nuit. Peut être l'une des dernières.
"Etonnant."
Jaugeant du regard le commerçant, il l'écouta tranquillement lors de son discours, l'adrénaline du combat ayant grandement participé à réduire les effets de l'alcool sur sa psyché. Les bras croisés, il opinait silencieusement du chef lorsque son interlocuteur expliquait pourquoi il avait choisi de rester malgré l'immense danger qu'avait suscité une rencontre avec la bande du serpent machin, ou quelque chose dans le genre. Adepte de la bataille, il avait une fâcheuse tendance à oublier ses adversaires après leur avoir réglé leur compte et c'était d'autant plus vrai lorsque lesdits ennemis opposaient une si fébrile résistance. Il fut alors question d'un second rendez-vous, chose que le géant accueillit d'un signe de tête approbateur.
"Cela me convient parfaitement. Après un tel coup d'éclat, je me vois mal commercer avec quelqu'un d'autre que toi."
Il n'était jamais question ni de sympathie ni de loyauté dans l'esprit tourmenté du colosse, toutefois ce dernier savait reconnaître que ce mystérieux marchand disposait de qualités qui se faisaient rares dans le milieu. Outre son attitude parfaitement adaptée à la situation, il avait su briller en refusant d'abandonner un potentiel client et avait mis sa vie en jeu pour s'assurer de conserver le contrat, un élément qui jouait évidemment en sa faveur dans le cœur du guerrier. Kahl jeta un coup d'œil en arrière pour chercher l'approbation de ses pairs mais ces derniers, déjà bien affairés à s'équiper sur les cadavres jonchés un peu partout, semblaient n'avoir que faire d'un tel accord commercial.
Ce fut donc après un très bref balayage de la zone que Kahl tendit énergiquement sa main griffue pour saisir celle de son interlocuteur avant de lui serrer la paluche avec toute la force qu'on lui connaissait. Tout enthousiaste à l'idée d'avoir réussi à conclure un accord, il ne cacha pas sa satisfaction et fut évidemment d'avis qu'un dernier verre était de mise, en vue de ce qui venait de se dérouler. Il se tourna vers l'assistance puis, de sa voix tonitruante, il beugla à en faire vibrer les murs rocheux :
"Messieurs ! On va s'en jeter un de plus à la santé du gaillard ! Amenez-vous !"
On en venait presque à oublier qu'au fin-fond de la caverne, le malheureux type passé à tabac quelques minutes plus tôt gisait dans son propre sang, combattant pour sa survie tandis que chacun festoyait.
Pour l'Ogre et sa bande de crapules, c'était une bien belle nuit. Peut être l'une des dernières.
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