Huldrom avançait, seul, se trainant sur le chemin en s'appuyant sur son marteau de guerre. De nombreuses plaies ouvertes étaient visibles sur le visage et les bras dénudés du Nain, conséquence d'une terrible bataille qui s'était terminée depuis peu. Les reikois avaient remportés une victoire pyrrhique, si bien que les survivants des deux armées s'étaient éparpillés sur le champ de bataille, situé non loin de la majestueuse montagne abritant Célestia. Une pluie fine et froide tombait depuis des heures, glaçant le guerrier jusqu'aux os et lui minant le moral. Huldrom cherchait un abri pour la nuit qui tombait, et se dirigeait vers une ligne d'arbres bordant la base de la montagne, en espérant que la forêt de conifères serait assez dense pour l'abriter.

L'arrière-garde reikoise s'était déjà sûrement repliée non loin du lieu des combats, accueillant les survivants de son armée et achevant les fanatiques assez malchanceux pour s'être repliés dans la mauvaise direction. Huldrom, quant à lui, allait dans la direction opposée, et avait pour l'instant évité l'arrière-garde ennemie, si tant est qu'il y en avait encore une. La nuit s'apprêtant à tomber, le janissaire avait besoin d'un endroit pour se reposer et se soigner, en s'abritant au maximum de cette maudite pluie qui lui rouillait les articulations et lui tapait sur le système. La montagne de morts allait également attirer de nombreux monstres et autres nécrophages, ce qui rendrait la traversée encore plus dangereuse. Trop dangereuse pour la tenter de nuit en étant blessé et fatigué.

Huldrom ne s'attendait pas à ce qu'on vienne le secourir. Les janissaires étant censés tomber au combat, les autorités militaires se diraient simplement que le Nain avait rempli sa tâche. Huldrom était livré à lui-même dans ce pays hostile, au moins pour cette nuit.

Arrivé à l'orée de la forêt, à l'ombre de la montagne, le Nain marqua une pause avant de s'enfoncer au beau milieu des arbres. Il avait besoin d'un feu de camp pour se réchauffer et passer la nuit, mais l'allumer ici trahirait sa position tel un phare éclairant la nuit. Il lui fallait trouver un endroit au milieu des arbres pour masquer la lumière du feu, tout en s'assurant qu'aucun monstre ne viendrait le déranger.

Après plusieurs instants passés à marcher et à écouter les sons de la forêt, Huldrom tomba sur un espace qui pourrait faire l'affaire : À l'ombre d'un arbre énorme dont les branches se déployaient dans le sol, un petit terrain plat paraissait propice pour s'y installer. Dégainant sa hache, le Nain se mit à couper du bois, et bientôt un petit feu se mit à crépiter, éclairant la forêt sombre. Tout en mangeant ses maigres rations, le Nain soupira, se concentrant pour utiliser sa régénération. Il aurait largement préféré retourner dans sa geôle dans la caserne de Maël plutôt que de passer la nuit ici. Au moins, on le nourrissait convenablement, et il pouvait ingurgiter sa bière sereinement. Ici, dans la nature, sans compagnon pour monter la garde, le Nain ne dormirait que d'un oeil ...  


CENDRES

Erzett observait des hauteurs enneigées la conclusion de la terrible bataille qui venait de se dérouler. Une énième démonstration de forces entre les forces du Sekai d’une part, et des serviteurs des Titans de l’autre. Des centaines, si ce n’est des milliers de morts pour quoi ? Absolument rien, visiblement. L’élémentaire avait beau vagabonder régulièrement à travers le monde, il ne se passait rarement plus de quelques semaines sans qu’il soit témoin de ce genre d’affrontements. Mais ces guerres à grande échelle ne le concernaient pas.

Prendre part à ces grands conflits était la dernière chose que souhaitait Erzett. Se battre pour des dirigeants égocentriques ou pour des Dieux tout-puissants ne l'intéressait pas. Sa liberté et son libre arbitre sont bien trop précieux à ses yeux. Il n'empêche que ce spectacle le frappait toujours d'une  profonde tristesse. La vie doit être chérie, pas sacrifiée sur l'autel de la démesure de quelques âmes perdues.

Détournant son regard des montagnes de cadavres encore frais, le martialiste renforça brièvement la bulle d’air autour de lui, la pluie se faisant de plus en plus glaçante en ces terres gelées. Dansant à travers la densité de la forêt, il chercha à regagner rapidement l’abri de bois et de piere qu’il avait érigé il y a de cela quelques jours. Cette zone reculée lui plaisait et il sera probablement amené à y revenir, pour se recentrer ou s’entraîner loin de tout. Sautillant au rythme des craquements d’écorces et du tintement des gouttes sur les feuilles, Erzett perçut une faible lueur au cœur des bois. Des bandits ou des blessés, il n’y avait pas d’autres possibilités pour s’arrêter dans cette zone hostile sous la pluie et la noirceur de la nuit.

« Tssch. » siffla-t-il en s’y dirigeant d’un pas vif.

Le vacarme gracieusement offert par le ciel suffisant à étouffer le moindre bruit, Erzett s’approcha sans vraiment faire attention. Un rapide coup de tête derrière un immense arbre lui permit d’y voir plus clair. Une seule personne, probablement blessée vu sa posture. Petite taille, un enfant ? Avec une barbe pareille ? Un nain, pour sûr.

Comme à son habitude lorsqu’il fait face au besoin, l’élémentaire partit rassembler quelques baies et pourquoi pas un petit animal si la chance lui sourit. Affairé à cueillir quelques victuailles sur les buissons alentours, il entendit faiblement le bruissement d’un cours d’eau, et s’y dirigea en vitesse. Une bourrasque plus tard, deux poissons de taille moyenne parent les épaules musclées du pêcheur improvisé.

Le chemin du retour jusqu’au campement de fortune se fit sans encombre, et Erzett balança sans délicatesse aucune les vivres aux pieds du nain. Il partagea sa bulle protégeant des intempéries pour lui permettre de se sécher. L’auto-proclamé sauveteur posa finalement son arrière-train en tailleur à côté du soldat blessé et lui adressa ces mots.

« Un petit creux ? », gratifié d’un sourire jusqu’aux oreilles.


CENDRES

Le Nain avait fermé les yeux et s'était installé dans la position la plus confortable que le lui permettaient ses blessures. Ses gènes Nain l'immunisaient à la douleur physique, mais les blessures restaient réelles, et pouvaient s'infecter ou s'aggraver si Huldrom ne faisait pas attention. Concentré sur sa régénération, il ne repéra pas le nouveau venu avant que des victuailles ne soient jetées sur le sol avec un bruit sourd.

En ouvrant les yeux, le Nain tomba nez à nez avec un grand homme à la silhouette fine, vêtu uniquement de bandes de cuir et de fibres tressées recouvrant une partie de son torse, donnant un aspect sauvage à son corps fin et musclé. Sa chevelure blanche semblait briller à la lumière du feu, encadrant un visage sûrement très agréable à regarder pour la gent féminine, le tout ponctué par deux oreilles pointues. Un hybride, peut-être ? Sûrement le résultat d'une nuit de plaisir vécu par un humain du Reike s'étant arrêté à Melorn, engrossant une Elfe.

Bizarrement, le Nain ne sentait plus les gouttes ruisseler sur sa figure et le long de sa barbe trempée. Pourtant, il pleuvait toujours, et bien que l'arbre fournît une bonne protection, de fines gouttes d'eau arrivaient jusqu'à Huldrom en temps normal. L'hybride était-il un mage ? Ici ? Au beau milieu de nulle part ?

Ces réflexions ne durèrent qu'une seconde, car le Nain réagit au quart de tour, saisissant sa hache à une main, sautant sur ses pieds d'un geste vif et se mettant en position, arme pointée devant lui. Dans une taverne, une arrivée de la sorte n'aurait choqué personne. L'endroit où ils se trouvaient, en revanche, n'avait rien d'une taverne. On était dans une forêt sombre, en pleine zone de guerre, où tout peut arriver. De plus, le Nain ne voyait pas de tatouage du Reike sur le corps du grand bonhomme. Tous les soldats du Reike le portaient sur une partie visible de leur anatomie ou de leur armure, afin d'être facilement identifiable.

- T'es qui, la brindille ? Qu'est-c'tu veux ? Tu t'bats pour qui ? -

Huldrom avait pratiquement aboyé ses questions sur l'inconnu qui était arrivé comme une fleur, un effet de la surprise, de la peur et de l'adrénaline qui prenait le pas sur la fatigue, et se préparait à combattre à nouveau. Il avait guerroyé toute la journée, alors un combat de plus ou de moins ... . La perspective d'affronter un mage ne lui plaisait guère, mais au moins il le tenait à portée de hache. Une mauvaise réponse, et le janissaire abattrait l'inconnu sur-le-champ.


CENDRES

Comme il fallait s’y attendre, le soldat réagit vivement. Bien que mal en point, il avait adopté une posture solide, signe d’une certaine expérience du combat et de maîtrise de soi. Erzett ne percevait pas de grimaces ou de signes de douleur sur le visage du nain. Peut-être une des particularités liées à sa race. Ses blessures sont cependant elle bien réelles, et ses vêtements imbibés de sang n’augurent rien de bon. Un tatouage sur l’épaule permit au Danseur de comprendre que le soldat blessé se battait pour l’Empire du Reike.

« Ola, ola, doucement. Une question à la fois, cher ami. » lui soufflait l’élémentaire en levant les mains.

Une hache pointée vers lui, Erzett secouait vivement ses mains pour tenter d’apaiser le guerrier. Il reprit place sur le sol, et commença à écailler les deux poissons à proximité. Saisissant deux branches relativement droite à quelques centimètres de sa position, il s’en servit pour transpercer les deux mets de part en part, avant de les planter près du feu. Il frotta soigneusement chaque baie pour pouvoir les déguster. Les déposant près du nain qui le fixait toujours d’un regard menaçant, l’élémentaire entreprit de répondre à ses questions.

« Mon nom est Erzett. Je t’ai surpris en difficulté, alors je suis simplement venu te donner un coup de main. Quant à savoir pour qui je me bats… Je dirai le monde. Ou pour moi. Tout dépend d’à quel point ta vision peut être fermée. »

Ce nain représentait une belle mine d’informations sur la situation actuelle de la guerre. Bien que n’appartenant à aucun camp, Erzett utilisait ces données pour rejoindre les villages ou habitations reculés ayant pu être ravagés par ces batailles. Il y trouverait forcément des gens dans le besoin. Quel que soit leur faction.

Le nain, visiblement peu convaincu par ce premier échange, maintenait sa position, empoignant toujours le manche de sa hache d’une main ferme. Erzett lui fit lentement signe de prendre place en face de lui, tout en réaffirmant sa volonté pacifique. La pluie se faisant de plus en plus forte, le martialiste éleva la voix pour se faire entendre.

« Si tout savoir de moi peut te rassurer… Je suis un élémentaire d’Air, un ermite vivant loin de vos civilisations depuis cinq siècles. Tu ne ressens plus la pluie car j’ai érigé une bulle autour de nous. De récents évènements me poussent à agir dans l’intérêt des victimes de vos guerres. Peut-être pourrais-tu me parler de l'état de la guerre pendant qu'on mange un bout ? » lui confia-t-il en lui tendant un des poissons désormais délicieusement cuits.

CENDRES

Un élémentaire ? Huldrom avait déjà entendu parler de cette ancienne race, mais n'en avait jamais vu jusqu'à maintenant, si bien que le Nain les avait relégué au statut de simple légende, un peu comme le yéti. En même temps, il est normal de douter quand la personne qui vous a raconté l'histoire en est à sa cinquième chope de bière. A vrai dire, Huldrom était plutôt déçu par l'apparence de l'élémentaire, s'attendant à quelque chose de plus ... impressionnant, pour un être de la sorte. Sa bulle d'air, en revanche, arrivait à point nommé pour les protéger de la pluie qui s'intensifiait.

Restait le problème de son allégeance, apparemment neutre. Le grand bonhomme n'était apparemment pas un ennemi, mais pour un Nain conditionné à la guerre, cela n'en faisait pas un allié non plus, car disant se battre pour le monde. Une chose était sûre, l'élémentaire avait un côté assez pompeux. Huldrom avait bien noté l'emploi de "vos guerres", qui laissait sous-entendre que son compagnon d'infortune tenait également pour responsable le Reike de la désolation environnante. Jusqu'à présent, l'élémentaire faisait très mauvaise impression au janissaire.

A l'évidence, Huldrom n'aurait pas à se battre à nouveau. Il abaissa donc sa hache et s'empara du poisson embroché, qu'il commença a dévorer. Un met bien plus savoureux que les rations militaires reikoises, bourrées de calories mais au goût discutable. Le poisson fut avalé en quelques instants, suite à quoi le Nain poussa un soupir de soulagement, avant de se tourner vers son interlocuteur, pour enfin lui répondre :

- L'état d'la guerre, hein ? R'gardes autour de toi, la brindille, c'pays appartient plus à personne ! Y'a qu'des monstres, des morts-vivants, et des fanatiques qui suivent ces foutus Titans ! -

En évoquant ces derniers, Huldrom cracha par terre pour afficher son mépris. De son point de vue, les habitants de Shoumei étaient soit des couards préférant mourir plutôt que se défendre, ou des traitres ne méritant que d'être passés au fil de l'épée. Le Janissaire avait déjà expédiés de nombreux fanatiques dans l'au-delà, et la guerre n'était pas terminée.

- C'est quoi exact'ment, "se battre pour le monde" ? M'est avis qu'le seul ennemi, c'est les Titans, non ? T'insinues qu't'es pas concerné par "nos guerres" ? -

Huldrom avait brusquement changé le sujet, et s'était exprimé avec un ton condescendant, afin de provoquer l'élémentaire. Celui-ci avait peut-être vécu reclus pendant cinq siècles, mais son discours lui donnait un air supérieur, presque moralisateur, que le Nain n'allait pas supporter bien longtemps.


CENDRES

Le nain ne mâchait clairement pas ses mots. Une des caractéristiques de sa race reconnue à travers le monde. De toutes évidences très attachées à son pays et ses croyances, il semblait contrarié par la façon avec laquelle l’élémentaire se présenta. Son tatouage à l’épaule en est une preuve irréfutable, il se bat pour le Reike, et il aime sa patrie. Cependant, Erzett n’était là ni pour ébranler ses convictions, ni pour lui faire la morale. Il ne cautionnait pas le choix du nain de se battre pour des rois ou des empereurs égocentriques, mais sa voie lui dicte que chacun est libre de suivre ce que lui dicte sa conscience.

« Seulement les Titans ? Pour toi et les tiens, peut-être. Pour moi, l’ennemi est celui qui s’en prend à celui qui ne peut se défendre. »

Témoin de l’appétit du nain, Erzett lui tendit la moitié de poisson qu’il lui restait. Il n’avait de toutes façons pas spécialement faim, et partageait le repas par convenance. L’élémentaire ne comprenait pas vraiment l’animosité que lui portait le soldat, il n’était pas là pour se battre ou l’échauffer encore plus. Sa naïveté dû à sa récente découverte des normes sociales et l’art du dialogue lui jouait décidemment bien des tours.

« Ecoute. Je ne suis pas là pour parler de qui a raison ou qui a tort dans ce conflit. Les batailles que vos armées mènent laissent des villages dévastés, des enfants orphelins, des femmes à la merci des bandits guettant l’occasion parfaite de commettre leurs horreurs. Je suis là pour ça. J’aide ces gens à s’en sortir après qu’ils aient tout perdu. »

Guettant une réaction quelconque sur le visage du nain, il fallait reconnaître que leurs traits en rendaient la lecture ardue. Le soldat restait impassible, sans doute le fruit de son entrainement et de ses nombreuses expériences du combat. Sa réticence était compréhensible, il s’agissait d’un être probablement jeune en ce monde, qui ne connaissait qu’une seule facette de la réalité de ce monde. Pour l’élémentaire, il n’était qu’une pauvre victime de plus de la folie des grands.

« Libre à toi de me donner ces informations. Un village détruit, ou la direction qu’ont prit les serviteurs des Titans, la moindre donnée m’intéresse. Si ça ne te va pas, je m’éclipse aussi vite que je suis arrivé, et nous ne nous croiserons probablement plus jamais. Mais tu te retrouveras à nouveau sous la pluie. » concluait Erzett, un sourire amical fiché sur son visage.

CENDRES

A l'évidence, l'énergumène qui se tenait assis devant Huldrom tenait à réparer tous les torts du monde, tel un bon samaritain. Si seulement il savait qu'il s'adressait à un esclave enrôlé dans l'armée pour expier ses crimes. Si seulement l'élémentaire savait que le Nain avait tué des civils sans défense, aveuglé par la flamme de la vengeance ... . Huldrom ne pouvait pas comprendre les arguments de son interlocuteur, car il avait lui même perpétré des actions irréparables, à sa propre échelle. La mort était un compagnon de route pour le Nain, et un jour viendrait où celle-ci l'emporterait. Peu importe le moyen ou le moment, la mort vient pour tous, et il n'y a aucune justice là dedans. Le Sekai n'était rien de plus qu'un monde remplis de tueurs, où seuls les plus forts et les plus malins survivent, et Huldrom n'était pas particulièrement malin.

Inutile, donc, de continuer à débattre sur la guerre, se dit le Nain. De toute façon, il n'avait pas vraiment la tête à ça, voulant plutôt se reposer, et la perspective de se retrouver à nouveau sous la pluie ne l'enchantait guère. Le Nain n'avait pas tant d'informations que ça, mais il pouvait partager quelques nouvelles :

- Hum, j'préfère autant qu'tu restes, c'te foutue pluie va finir par m'geler sur place ! Bon, j'peux déjà t'parler d'la baston d'y a quelques heures. Ces fanatiques nous sont rentrés dans l'lard comme des acharnés, on s'est battus comme des chiens enragés pour gagner ! Pour eux comme pour nous, ç'a été la branlée du siècle, même si c'est nous qu'avons gagné en fin d'compte ! -

Le Nain s'interrompit un court instant, la gorge sèche. Il attrapa sa gourde et but à grandes gorgées avant de continuer :

- J'suppose que les survivants sont partis vers le Nord, dans c'te foutue ville de morts-vivants ! J'sais pas c'qui a là-bas, et après la bataille d'aujourd'hui, on est pas prêt d'nous y envoyer ! -

Le Nain n'avait pas grand chose à rajouter sur l'offensive d'aujourd'hui, et changea donc de sujet pour faire une proposition :

- J'crapahute sur c'bout d'terre depuis pas mal de temps maintenant, donc des informations, j'peux t'en donner. Par contre va falloir qu'tu fasses un truc pour moi si tu veux qu'je parle : Tu restes ici cette nuit et tu montes la garde pendant que j'refais mes forces. J'ai besoin d'quelques heures, et ça m'arrangerait d'pas être interrompu, si tu vois c'que j'veux dire ! -


CENDRES

Pouvait-on vraiment parler de victoire quand un soldat en était réduit à refaire ses forces seul, sous la pluie, en plein milieu d’une forêt ? Erzett retournait la question dans son esprit, et en vint à conclure que cela devait être une habitude pour le nain. L’écart entre ses mots et les faits laissait transparaître une routine dérangeante. Se réveiller, partir au combat sous les directives de quelques nobles bien habillés et confortablement installés dans leur demeure, et ne même pas savoir si l’on passera la journée. C’était définitivement une façon de vivre que l’élémentaire ne pourrait jamais comprendre.

Le nain divulgua quelques informations, bien que maigre, au martialiste. Comme un appât. Ce n’est que quelques secondes plus tard que son intuition se confirma, devant jouer le garde nocturne pour en savoir plus. En pleine nuit, et sous une pluie battante, il n’aura de toutes façons rien de mieux à faire.

« Je n’'ai rien d'autre de prévu à cette heure, alors j’accepte ton marché. Je te réveillerai aux premiers rayons du soleil. »

Il ne fallut que quelques minutes au nain pour trouver le sommeil, ses ronflements en étant de très bons indicateurs. Erzett décida de partir à la recherche de quelques herbes et plantes médicinales, sans s’éloigner de plus de dix mètres du soldat épuisé. Une maigre récolte dans les bras, l’élémentaire sortit un petit mortier de sa besace, et broya ses trouvailles à l’aide de ses pouces. Il en ressortit une faible quantité d’onguent, qu’il ne pût appliquer délicatement que sur les plaies les plus profondes. Cela aidera sans doute un peu le soldat à récupérer plus efficacement. Réussissant l’opération sans réveiller le Reikois, Erzett pris place face au nain, assis en tailleur. Plongeant dans une légère méditation, il se concentra cependant sur les éventuelles fluctuations de l’air à proximité, pouvant annoncer l’arrivée de visiteurs indésirables. Cette posture lui permettait également de se reposer sereinement, bien que cela ne soit pas aussi efficace qu’une vraie nuit de sommeil. Un bon compromis, en quelques sortes.


La nuit passa calmement, au son du déluge qui commençait enfin à se calmer. Seuls quelques animaux curieux étaient venus voir ce que ces deux intrus faisaient dans leur bois, mais ceux-ci furent rassurer par quelques caresses de la part de l’élémentaire. Une faible lumière commençait à s’infiltrer entre les épais feuillages des nombreux arbres alentours, signe d’une nouvelle journée.

Erzett se leva, et tapota légèrement l’épaule du nain à l’aide d’une branche.

« Aller bonhomme, la sieste est terminée. Je suis tout ouï. »

CENDRES

Le Nain se réveilla en sursaut, ponctué par un ronflement disgracieux, suivi d'un de ses légendaires grognements. Le sommeil lui avait fait le plus grand bien, et il aurait certainement dormi plus longtemps si l'élémentaire ne l'avait pas réveillé. L'aube pointait le bout de son nez, et des rais de lumière éclairait la forêt. Il y a quelques heures, la pénombre donnait une allure inquiétante aux arbres, mais le soleil les dévoilait tels qu'ils étaient vraiment : de simples plantes ligneuses accusant le coup de la guerre.

Son compagnon d'infortune l'avait vraiment réveillé aux premiers rayons de soleil. Littéralement. On aurait dit un sergent-chef réglé comme une horloge, à bougonner des ordres et être sur le dos des simples bidasses pour maintenir la discipline. Il semblait être pressé d'obtenir des informations, sans doute pour aller sauver la veuve et l'orphelin. Un marché étant un marché, Huldrom se mit à parler. Son récit retraçait majoritairement les batailles auxquelles il avait participé, et les mouvements de son unité, sans trop en dévoiler non plus. Autant éviter de donner trop d'informations à quelqu'un qui pourrait attaquer un jour le Reike, pour n'importe quelle raison :

- Écoute, la majorité des civils que j'ai vu étaient à Mael. Soit y z'ont pris les armes pour s'battre avec nous, soit y se sont barrés d'Shoumei. On a trouvé quelques villages, mais y z'étaient soit vides, soit envahis par les monstres. Si tu veux aller voir, y s'trouvent pas loin de Mael, à l'ouest de la cité. Si j'dis pas d'conneries, c'est au Sud d'ici. -

L'unité du Nain n'avait trouvé aucun survivant dans les villages qu'Huldrom venait de mentionner, mais ça restait une piste pour l'élémentaire. Peut-être que des gens y avaient élus domicile depuis ?

- On a eu quelques petites bagarres dans ces villages, des monstres où des unités ennemies, mais rien de bien particulier. Après la bataille rangée d'hier, j'dirais qu'ces foutus fanatiques sont du côté d'Sancta, au Nord d'ici. J'peux rien te dire en ce qui concerne les Rocheuses et le Sud de c'pays, j'y ai jamais foutu les pieds. Par contre, j'ai entendu des rumeurs comme quoi les Rocheuses grouillent de monstres. J'suis pas sûr que tu trouveras des gens à sauver par là-bas, la brindille -

Le Nain avait délivré ses informations, comme promis. Reste à voir si elles se révèleraient utile pour l'élémentaire.


CENDRES

Les informations fournies par le nain étaient assez évasives : soit son grade ne lui permettait pas d’en savoir plus que ça, soit il était volontairement flou par méfiance. Toujours était-il que cela donnait Erzett assez d’éléments pour savoir qu’il ne servait plus à rien de s’attarder dans cette région. Si chaque village était inoccupé, leurs habitants devaient être soit morts, soit escortés à Maël par une troupe identique à celle de Tagar.

La destination suivante sera donc Sancta ? La ville a paraît-il été le théâtre de l’attaque d’un Titan. Si tel était le cas, l’élémentaire doutait de trouver quelques malheureux dans la région, d’autant plus que la zone sera probablement extrêmement dangereuse. Il ne fallait pas s’y aventurer sans s’y être rudement préparé. Le martialiste songeait donc à se rendre lentement sur place tout en s’entraînant sur la route. Est-ce que quelques mois de perfectionnement seront utiles ? Probablement pas assez, mais si cela pouvait permettre de sauver quelques vies, il fallait essayer.

Quittant ses pensées, et désormais baigné dans les timides premiers rayons du Soleil, Erzett redirigea son attention sur le nain. Celui-ci semblait s’être formidablement bien remis de ses blessures et de la bataille qu’il a mené la veille. Une récupération aussi rapide semblait presque surnaturelle.

« Merci pour ces informations mon ami, j’étais il y a quelques jours dans un de ces fameux villages. Je les ai aidés à repousser une attaque de morts-vivants avant d’être rejoint par une petite unité du Reike. Ils les ont escortés à Maël par la suite. Je n’ai rien vu depuis. Je vais donc reprendre lentement ma route vers le Nord. » lui répondait-il en s’étirant.

Conscient d’être au cœur d’une immense forêt, Erzett repéra rapidement les points cardinaux et à quelle distance ils se trouvaient des différentes orées de ces bois. Devinant rapidement qu’un soldat ne devait pas vraiment être informé de la géographie de la région hormis celle où se déroulerait une bataille, il fit une proposition au nain.

« Est-ce que tu sais retourner d’où tu viens ? Si tu ne reconnais pas le coin, je pourrai te guider vers votre avant-poste. Cependant, ne compte pas sur moi pour m’en approcher plus que nécessaire. »

L’élémentaire attendait patiemment sa réponse, tout en commençant à grignoter les restes de repas de la veille.

CENDRES

L'élémentaire avait digéré les informations, et prit une décision concernant sa future étape. Tout compte fait, un échange de bons procédés rondement mené ! Alors que les rayons du soleil commençaient à éclairer l'endroit où les deux compagnons d'infortune se trouvaient, Huldrom devait maintenant songer au voyage retour pour rejoindre l'armée reikoise. Le problème, c'est qu'il ne savait pas comment sortir de cette forêt, et que se diriger dans la mauvaise direction pourrait l'amener droit vers l'ennemi. Il répondit donc à la proposition de l'élémentaire :

- Pour c'qui est d'trouver l'Reike, j'pourrai m'débrouiller. Par contre, c'te forêt m'est inconnue ! Si tu peux m'amener aux champs d'bataille d'hier, j'saurais retrouver mon chemin à partir de là ! -

Le Janissaire n'avait pour ainsi dire aucun compagnon au sein de l'armée, juste des ordres et des affectations. Puisque quelqu'un lui proposait de lui-même son aide pour retrouver son chemin, autant en profiter ! Jusqu'ici, son interlocuteur ne lui avait donné aucune raison de douter de son allégeance, à moins d'être un très bon menteur. Il pouvait s'agir d'un piège, et Huldrom restait méfiant, mais quelque chose lui disait qu'il n'en était rien. De toute façon, le bonhomme serait à portée de hache, et le Nain n'hésiterait pas une seconde s'il sentait que quelque chose clochait.

Rassemblant ses affaires, et faisant passer la courroie de son marteau de guerre en travers de son torse, afin qu'il repose sur son dos, le Nain se tourna vers l'élémentaire, prêt à lever le camp, attendant que celui-ci finisse de manger.


CENDRES

Observant le nain préparer ses affaires après avoir été informé de sa décision, Erzett finissait tranquillement son bout de repas. Quelques restes de poissons et de baies sauvages trouvés la veille. Une fois ingurgités, il nettoya sa bouche en vitesse et procéda à quelques étirements. Après tout, cette nuit de veille l’avait engourdi, bien que la fatigue restât parfaitement supportable.

Le soldat Reikois semblait s’impatienter, probablement pressé de retourner auprès des siens et de répondre à nouveau aux ordres de ses supérieurs. Quelle triste vie. Peut-être un jour se rendra-t-il compte qu’il est en droit de vivre comme un homme libre, et non pas enchaîné à des principes de servitude obscurs.

L’élémentaire grimpa rapidement à un arbre, pour repérer la position du soleil. L’épaisse densité de la forêt l’empêchait de le faire au niveau du sol. Il en profita pour sentir la douce brise matinale caresser son visage, ne serait-ce que quelques secondes. Il sauta directement de la cime du pin, et atterrit devant le nain.

« Et bien, en avant, cher ami. » lui lança-t-il tout sourire.

Une chaleur toute relative fût leur seule compagnonne durant le trajet. La pluie avait cessé, et de discrets rayons de soleil passaient à travers les épais feuillages, ça et là. Erzett prenait son temps, lui pourtant si habitué à voyager à toute vitesse grâce à ses facultés. Le nain se remettait encore de la bataille, et… c’était un nain, avec ses quelques lacunes en termes de rythme de marche.

Le duo arriva après une bonne heure de trajet sur la même formation rocheuse de laquelle Erzett observait la bataille la veille. Il ne restait plus âme qui vive, des centaines de corps entremêlées dans la neige et la boue. Un triste spectacle, qui n’avait rien amené de bon. L’élémentaire leur souhaita silencieusement à tous un bon retour auprès de Mère Nature. Il regarda rapidement vers le Nord, pour se faire une image mentale de son prochain trajet, et se retourna vers le nain.

« Nous y voilà, maître nain. De ce que j’ai vu hier, la majorité des tiens sont partis dans cette direction » lui expliquait-il en pointant une direction du doigt.

« Je te souhaite un bon retour auprès de ton peuple. Cependant, j’aimerai ajouter quelque chose. » s’interrompit soudainement l’élémentaire. « N’oublie pas que parmi toutes les vies que vous fauchez, ou que les serviteurs des Titans prennent, il y a nombre d’individus ne souhaitant vivre qu’en paix loin de cette guerre. »

CENDRES

Huldrom regardait le champ de bataille, là où il avait donné la mort et failli la recevoir. De nombreux charognards se pressaient déjà sur les corps, effectuant leur triste besogne de nettoyage. La traversée n'était pas sûre, mais au moins le Nain était en pleine possession de ses moyens, parfaitement capable de se défendre si l'une de ces bestioles trouvait le courage de s'en prendre à un être vivant plutôt qu'à un cadavre sans défense.

L'élémentaire prit alors la parole, histoire de prononcer de dernières paroles se voulant sage, mais plutôt naïves du point de vue d'Huldrom. Vivre en paix, hein ? Le Nain se hâta de répondre :

- Merci bien, la brindille, mais moi aussi j'vais ajouter une chose : Arrête de t'bercer d'illusions. Le Reike a pas commencé la guerre, mais va bien falloir qu'on la termine. On a pas d'aut' choix que d'gagner maintenant, à moins qu'tu veuilles que les Titans nous écrasent sous leurs pieds ? Si tu veux qu'la paix revienne, va bastonner du fanatique, où tire toi d'ici ! Y'a que mort et désolation sur c'maudit bout d'terre -

Pour marquer son propos, le Nain pointa du doigt le champs de bataille qu'il apprêtait à arpenter. Ses paroles étaient peut être biaisées par un point de vue typiquement reikois, mais est-ce que cela les rendait fausses ? Ce serait à l'élémentaire de décider, car Huldrom réajustait les lanières de son équipement, et se mettait déjà en marche pour revenir au camp de son armée.


CENDRES