Les Masques de la République [ft Orifa Sigrior]

Verndrick trouva le moment de silence qui suivit son serment agréable. Ce n’était pas le genre de phrase qui se disait à la légère, et contrairement au cas de Victor où il avait mis une contrainte avant que cela ne devienne une réalité, ici c’était une offrande sans attente en retour. Il n’avait jamais vraiment réfléchi ou préparé le moment. Très peu de Vindrœkir ont eu au cours de leur vie à prononcer ces paroles, elles étaient vieilles et il y avait des façons plus simples d’exprimer de l’amitié ou des liens profonds.

Mais Victor les avait ramenées à la surface de ses pensées, c’était aussi une promesse personnelle qui l’avait fait tenir pendant sa torture. De puissantes paroles de la valkyrie l’avaient sorti de sa transe et il avait enchaîné avec son engagement envers le SCAR. Tous ces événements l’avaient rendu d’humeur solennelle. Il fallait aussi avouer qu’il aimait ajouter de la gravité aux moments qu’il jugeait marquants dans sa vie, comme s’il était dans une représentation, l’honnêteté n’excluait pas un peu de mise en scène.

Cela étant dit, il n’attendait aucune réponse de la part d’Orifa, il savait que sa famille accordait beaucoup trop d’importance à la valeur des mots et que quand il s’agissait des autres, il ne fallait se fier qu’aux actions. Il l’informait juste qu’il serait à ses côtés quelles que soient les adversités. La réponse qu’elle lui donna le surprit autant qu’elle lui fit plaisir. Il apprécia le fait qu’elle ait pris le temps d’y réfléchir, il sourit et resserra un peu plus leur étreinte.

La nuit fut calme vu les circonstances. Étant un aventurier aguerri par ses voyages, Verndrick avait appris à dormir dans n’importe quelle situation tout en ayant un sommeil léger. Il fallait s’attendre au danger à n’importe quel moment, tout en profitant de la moindre occasion pour se reposer. Ces dernières semaines, il remettait de plus en plus ce talent en cause, Orifa semblait toujours se réveiller avant lui. Quand ils étaient au manoir, il mettait la chose sur les effets du confort qu’avait imposé Satoshi dans sa chambre, il baissait toujours un peu sa garde quand il se retrouvait dans la sécurité des murs de sa maison, il s’autorisait plus de repos quand il se sentait entouré de personnes couvrant ses arrières.

Il tenait une piste. S’il avait pu dormir aussi paisiblement, c’était peut-être à cause de la présence de la valkyrie, il se sentait en sécurité avec elle. “Les personnes qui nous sont chères sont nos plus grandes forces. Paradoxalement, elles sont aussi notre plus grande faiblesse. En tant que protecteur, il est vital de ne pas laisser le confort qui vient avec leur présence émousser la lame. Une lame qui a perdu de son tranchant ne peut rien défendre.” Depuis sa torture, son imagination avait créé une voix pour son ancêtre, et il l’entendait systématiquement chaque fois qu’il repensait à un passage de ses enseignements. Il n’avait pas tort, il se rappela de devenir plus prudent. Il s’était fait trop facilement droguer la nuit de son enlèvement.

Il n’était plus un simple aventurier, il était aussi un espion, un nouveau genre d’ennemis s’ajouterait à ceux qu’il connaissait déjà, il allait devoir mettre à jour son protocole de sécurité. Une partie de lui regrettait sa vie d’avant, il allait maintenant devoir ajouter un peu plus de paranoïa à son quotidien. L’idée de commencer à voir des ennemis un peu partout ne l’enchantait pas beaucoup, mais avec le temps, il savait qu’il finirait par s’y faire. Ce n’était pas si différent du fait de voir en tout le monde un adversaire potentiel, son père lui avait appris à calculer constamment ses chances au combat avec n’importe qui croisant sa route, c’était devenu un réflexe. Maintenant il allait devoir être plus méticuleux dans toutes ses interactions, faire attention à qui cherchait à le manipuler ou le démasquer, lui qui n’avait jamais rien eu à cacher, rien qui puisse susciter de l’intérêt.

Il se leva du lit et chassa d’un geste ses sombres pensées. La venue d’Orifa aida aussi. Il nota qu’elle était venue aussitôt à son réveil. Il ne put s’empêcher de trouver la chose un peu inquiétante, il déplorait le sort de n’importe quelle personne se retrouvant être la proie de la chasseresse.

Ils quittèrent l’auberge après le repas pour s’engager dans la partie la plus éprouvante, du moins physiquement, du voyage. Voyant que ses compagnons étaient des habitués de l’endroit, il poursuivit avec eux l’ascension sans broncher. En réalité, il cachait toute son excitation, dans les hauteurs, il se sentait dans son élément, le vent qui soufflait parlait à sa magie. Il avait toujours regretté de ne pas savoir voler, c’était une quête qu’il n’avait pas abandonnée, chaque fois qu’il voyageait à dos de griffon, il se rappelait que sa place était dans les cieux. Orifa ne savait pas combien elle avait raison en lui disant qu’il était chez lui.

“Bon, je dois demander. Je suis toujours pour un peu d’exercice, mais ce ne serait pas plus productif d’avoir une façon de venir ici plus rapidement, une sorte d’ascenseur magique secret ou des bêtes dressées spécialement pour l’occasion ?”

Pendant qu’il parlait, il se mit à marcher et inspecta plus en détail les lieux, réfléchissant aux stratégies possibles si quelqu’un décidait de s’en prendre au QG. Il s’adressa à la valkyrie et lui demanda :

“Qu’est-ce que tu peux me dire de ma nouvelle maison et surtout de ses défenses ?”

Il n’était jamais judicieux d’autoriser une telle expression à un noble, et Verndrick comptait absolument en jouer.

Les Masques de la République

Un moyen d’arriver plus vite ? C’était une bonne idée mais en même temps c’était le meilleur moyen d’augmenter les problèmes de sécurité. S’il y avait la possibilité de pouvoir arriver et repartir de la fortification plus rapidement c’était le meilleur moyen que des personnes mal intentionné de fuir tout aussi rapidement. Donc le choix des anciens était de ne pas proposer de voyage rapide jusqu’à la ville de Courage. Le plus simple serait de mettre en place un gardien qui serait le seul à pouvoir accepter les téléportations extérieures ainsi qu'intérieurs, mais bon actuellement ce n’était pas encore quelque chose de prévu malheureusement donc le seul moyen de pouvoir rejoindre ce QG était une chose aussi simple et millénaire qui s’appelait la marche.

- Peut-être que cela va évoluer avec le temps mais pour l’instant ce n’est pas encore prévu rien ne t’empêche de faire la proposition aux anciens une fois ta nomination actée. Le terrain est trop escarpé pour que des bêtes puissent aller jusqu’en haut, j’imagine que certaines pourraient être dressées pour y arriver et à la construction de la forteresse ça a certainement dû être le cas.

Commençant à marcher vers la zone du dortoir, en ville elle avait reçu l’indication de l’endroit où Verndrick allait avoir sa chambre, il était peut-être temps qu’il puisse prendre connaissance des lieux. Les autres membres du groupe s'étaient éclipsé chacun leur tour pour aller faire leurs petites affaires se préparant également pour la cérémonie qui allait avoir lieu.

- Pour les défenses je dois bien t’avouer ne pas connaître tout ce qui est mis en place malheureusement. Nous avons basiquement des rondes régulières pour vérifier l’intérieur en même temps que l'extérieur en plus d’avoir des points avancés tout autour dans les montagnes. Il y a également des senseurs magiques extrêmement puissant en plus d’avoir de nombreux pièges physiques et magiques de plus la position est très avantageuse en cas d’attaque mais il faut aussi avouer qu’avec les courants tout autour ça nous évite les attaques aériennes. Notre force est également un problème car en cas d’attaque ça rend tout de suite la situation bien plus compliquée pour recevoir des renforts … Mais c’est un mal pour un bien disons que notre discrétion doit rester notre priorité.

Le SCAR n’avait jamais été prévu pour être une force militaire capable de détruire le monde bien au contraire leur force principale était de pouvoir rester dans l’ombre mais il fallait tout de même se préparer au pire et quoi de mieux que de se concentrer activement sur la défense ? Orifa avait déjà pris part à plusieurs rondes pour être capable de comprendre ce que cela impliquait, de plus si elle devait un jour être virée du SCAR ou alors fuir de son propre chef après la mort de la présidente alors elle pourrait être capable de revendre les informations au plus offrant la connaissance était bien plus lucrative que n’importe quelle arme en ce monde.

Devant la chambre de Verndrick, la clé était sur la porte, s’écartant pour que l’elfe puisse rentrer le premier tout en lui permettant de garder la clé avec lui. À l’intérieur c’était assez sommaire de quoi pouvoir dormir ainsi que quelques meubles pour pouvoir entreposer ces affaires. A part la police interne du SCAR il n’y avait personne qui pourrait rentrer dans la chambre donc il n’était pas rare d’entreposer des objets importants à l’intérieur. Sur le lit on pouvait voir une tenue d’une magnifique étoffe sans le moindre doute elle était destinée aux cérémonies, la seule tenue qui était offerte par le SCAR en réalité. Du fait qu’il n’y avait pas de grade entre les membres de l’organisation, chacun avait réussi à trouver une autre manière de montrer son travail. Si certains avaient l’âme joaillier ou couturier, il était tout à fait possible de rajouter petit à petit des petits liserés d’or ainsi que des objets précieux sur des zones destinées à cet effet. Beaucoup demandaient l’aide d’autres membres plus compétents pour pouvoir le faire à leur place. Pour une personne extérieure au SCAR il était compliqué de pouvoir comprendre ce que cela pouvait impliquer surtout le fait de ne pas pouvoir retirer une décoration de sa tenue, il fallait faire très attention à ce que l’on pouvait ajouter. Du moins si on avait l’intention de s’établir sur une longue durée dans l’organisation.

Verndrick apprendra bien assez tôt toutes les petites subtilités de l’organisation mais ça devra attendre encore un peu Orifa avait d’autres choses à préparer également.

- Je te laisse prendre possession des lieux la céré … J’ai oublié de te présenter les lieux communs …

Ressortant de la chambre pour aller en direction de la salle de repos puis de la salle de bain cette dernière était évidemment divisée en deux entre les femmes et les hommes. Les bains étaient disponibles à toute heure de la journée même s’il fallait avouer qu’en grande majorité ils n’étaient utilisés qu’une petite partie du temps.

- Je te laisserais te familiariser avec les lieux si tu veux aller te purifier avant la cérémonie. La suite de la visite va devoir attendre, la cérémonie ne va pas tarder à commencer, je te laisse prendre possession de ta chambre ainsi que des lieux de vie on viendra te chercher pour la nomination donc il faut que tu sois prêt d’ici une heure.

Lui présentant un sourire assez tendre tapotant son torse du plat de sa main à plusieurs reprises comme pour lui montrer son impatience de ce qui les attendait. Le stress montait en elle due au fait qu’elle n’avait toujours pas réussi à trouver le nom qu’elle allait lui donner, mais il ne fallait rien laisser paraître. Finissant la dernière tape par laisser sa main tomber de son but pour rejoindre le long de sa jambe, faisant demi-tour pour aller elle-même se préparer.

La purification avait du sens au vu de la marche qu’ils avaient dû faire pour pouvoir venir jusqu’au QG et en même temps c’était une preuve de respect envers l’organisation et la cérémonie qui allait avoir lieu. En tant que marraine, il lui fallait être d’autant plus irréprochable. En rentrant des bains passant en revue sa tenue elle prit tout de même le temps d’arranger certaines petites gravures coupant les fils qui pouvaient ressortir. Une fois seulement qu’elle fut satisfaite, il lui fallait rejoindre les anciens, c’étaient eux qui organisaient réellement la cérémonie, Orifa n’en avait ni le pouvoir, ni l’autorité, ni la légitimité. Le vice-président était à n'en pas douter le plus haut dans la hiérarchie pourtant il ne prenait pas le temps de passer en revue les nouveaux membres du SCAR, laissant ces basses besognes aux membres. Au-dessus des directeurs ceux qui avaient le plus d’autorité étaient les anciens beaucoup provenaient d’organisations bien diverses, bien qu’ils n’allaient pas souvent sur le terrain, ils représentaient tout de même les sachant de l’organisations et les mentors.

Bien que c’était quelque chose d’assez important, ça restait une cérémonie à petit comité, les anciens, des membres la Sécurité Intérieure ainsi que le parrain ou alors dans le cas présent de la marraine. Dans une petite pièce en pierre, il y a une unique entrée et sortie par la porte principale, pas de fenêtre, pas d’ouverture des arches voûtées au niveau du plafond rendant l'ambiance plus morne. Des gardes en armure imposante sertie d’or montrant leurs différents exploits, ils n’étaient là que pour rendre le moment plus solennel tout en sécurisant les lieux, c’était la moindre des choses quand les anciens étaient présents.

Orifa rentra rapidement en fermant la porte derrière elle, un signe de révérence en attendant d’avoir l’autorisation de pouvoir avancer. Chaque petite chose étaient scriptés, mais c’était loin d’être la première fois de l’espionne, ce qui la perturbé toujours c’était la fraîcheur de ces lieux, c’était dû au fait que la pièce se trouvait dans un sous-sol. L’humidité dans l’air était présente, bien que les flammes des différents flambeaux rendaient la luminosité de l’endroit plus rougeoyant. A part lors de l’ouverture de la porte qui faisait un appel d’air faisant bouger les ombres le temps que le lourd manteau de bois et de fer ne ferme. Les bruits de pas sur la pierre résonnaient dans toute la salle tout autant que le craquement du bois sec se faisant toujours plus avaler par les flammes.

Se mettant à genoux devant l’ancien qui allait présider la cérémonie, elle finit par casser l’ambiance de recueillement de ces lieux.

- Moi, Orifa Sigrior, apporte mon soutien à la candidature de Verndrick Vindrœkir en tant que membre à part entière des opérations spéciales.

Ce n’était que pour rendre le moment plus solennel mais en réalité c’était déjà quelque chose qui avait été décidé un greffier était tout de même là pour pouvoir valider par écrit tout ce qui allait être dit en ces lieux. Personne n’irait le lire par la suite mais c’était tout de même une manière de noter ça pour la postérité. L’ancien fit un signe à deux gardes pour pouvoir aller chercher l’invité du jour, les vœux de Verndrick allaient être entre lui et le SCAR que représentait l’ancien, Orifa n’était là que pour lui donner son nouveau nom et surtout d’être le témoin de la suite de la cérémonie. L'intérêt d’être marraine allait être plus important pour la suite des événements.

Une fois les gardes sortis, elle s’était relevée pour se positionner en face de l’ancien, le silence de mort était revenu jusqu’à ce qu’on puisse entendre des bruits de pas arriver dans leur direction. Deux pas lourds d’armure contre la pierre alors que le troisième était beaucoup plus légué. Verndrick rentra la première une fois la porte ouverte suivit de prêt par les deux gardes qui reprirent leurs places.

- Verndrick Vindrœkir, avance.

L’elfe s’était rapprochée de l’ancien d’un pas décidé jusqu’à lui faire finalement face, Orifa était dans son dos étant là pour le soutenir.

- Verndrick Vindrœkir ta présence en ces lieux est la preuve que tu acceptes de rejoindre le SCAR, nous t’accueillons en ce jour d’une grande importance comme un nouveau membre à part entière des opérations spéciales.

Montrant de la main Orifa de la main pour que l’elfe se retourne dans la direction de sa marraine. Cette dernière montrait un visage froid de non-expression alors que c’était le moment le plus charnier de toute la cérémonie, pour elle tout du moins.

- A cet instant, moi Orifa Sigrior te donne le nom de Valskoed Tarvolan, celui-ci sera ta nouvelle identité et te suivra jusqu’à la fin de ton service à la république et donc jusqu’à ta mort. Si tu l'acceptes alors je te soutiendrais en tant que marraine.

- Je l'accepte.

- Alors relève-toi et prête serment.

Se retournant pour faire à nouveau face à l’ancien, Orifa déposa sa main sur son épaule en signe de soutien.

- Moi Valskoed Tarvolan accepté ce jour d’être l’ombre de la république, pour le protéger et la faire prospérer, pendants les troubles ou les jours glorieux et cela jusqu’à ce que mon devoir soit terminé ou que le mort le prenne.

Serrant la main sur l’épaule de l’elfe pour montrer qu’elle était heureuse de ce qu’il venait de dire, elle le fit tourner pour le prendre dans ses bras sans rien dire. Même si ce n’était pas dans le scénario de la cérémonie, personne nu rien à redire alors que l’ancien se retournant laissant le duo ressortir de la pièce allant tout droit vers la plus grande pièce du château ou les membres présents attendaient l'arrivée d’une nouvelle tête. Avant de pousser la porte pour rentrer, Orifa le pris à nouveau dans ses bras quelques secondes avant de lui faire face avec un sourire.

- Ce soir, c’est toi le personnage principal alors profite car on ne sait jamais quand un ennemi va nous poignarder dans le dos, en dehors de ces murs il faut être toujours sur ces gardes. Mais ici tu es chez toi et il n’y a pas d'endroit plus sûr en ce monde alors profite comme s’il n’y avait pas de lendemain.

Faisant le tour de l’homme pour le pousser légèrement dans le dos histoire de l’inciter à pousser la porte et à voir les membres présents s’arrêter de parler et s’incliner avec respect pendant plusieurs longues secondes, attendant que Valskoed fasse le premier pas indiquant qu’ils pouvaient se relever. Orifa resta en retrait fière de son nouveau poulain en espérant surtout qu’il n’allait pas perdre la vie bêtement.

La structure du SCAR était toujours un peu nébuleuse pour Verndrick. Il avait compris qu’il n’y avait aucune hiérarchie claire au sein de l’organisation. Il y avait des directions, mais pour l’instant, personne ne lui avait parlé de ceux qui les dirigeaient. Il se doutait bien que la cérémonie officielle de sa prise de fonction allait être présidée par quelqu’un ou un comité. Il voyait mal le vice-président souffrir l’ascension de leur base pour chaque nouvelle recrue. Et il était impossible qu’il chapote toutes les missions comme il était impossible pour la présidente de superviser directement toutes les activités de toutes les institutions. Orifa disait que son recrutement remontait à la création même de l’organisation, à qui rendait-elle compte ?

Il décida de laisser le temps lui fournir les réponses à ces questions. Orifa le guida jusqu’à sa nouvelle chambre. Elle était simple mais confortable. Il s’attarda sur la seule tenue présente dans la pièce. Au toucher, il nota la richesse du tissu et la qualité des coutures. Il savait que les espions n’avaient pas d’uniforme, c’était donc une tenue d’apparat pour des événements officiels comme la venue d’une nouvelle recrue.

Pendant toute la visite, la valkyrie lui avait paru nerveuse. Il l’était un peu lui aussi, mais elle devrait être habituée depuis le temps à ce genre d’événement. Il se demandait si la cérémonie n’impliquait pas une sorte de test qui expliquerait le comportement de son partenaire. Il aurait aimé passer un peu de temps seul avec elle avant l’officialisation de son poste, même la visite du QG avait été écourtée.

Il la regarda quitter la chambre avec un soupir de résignation et lui emboîta le pas pour se laver. Une fois propre et rafraîchi, il retourna enfiler la tenue prévue pour l’occasion. Il venait de mettre le pantalon quand on toqua à sa porte. Il cria qu’elle n’était pas verrouillée et fut surpris de voir qui venait lui rendre visite. Roque était dans la même tenue que lui, à la différence que sa chemise à lui était garnie de petites décorations : une petite broche en argent sur le torse à gauche, deux barrettes filées d’or sur chacune de ses épaules, des broderies sombres et discrètes le long de son col. Il remarqua la stupeur dans le regard de l’aventurier et lui répondit en fermant la porte.

“T’inquiète, tu personnaliseras ta tenue bien assez tôt. Le SCAR, ce n’est pas l’armée, on n’a pas de grades ou de médailles, mais chacun est libre d’immortaliser les missions dont il est le plus fier sur son costume, ou pas, rien n’est imposé.”

Il remarqua enfin que Verndrick était torse nu.

“Ou alors ta surprise n’a rien à voir avec mes habits. Tu attendais peut-être une autre visite. Orifa est occupée par les préparations, Julii donc ?”

Verndrick ignora la remarque et se mit à boutonner sa chemise.

“Tout le monde sera présent pour la cérémonie ?”

“Non, ton serment sera privé, ça ne concerne que ta marraine, les anciens et toi.”

“Oh ! Pourquoi le costume alors et c’est qui ces anciens ?”

“Demande à Orifa pour les anciens. Et le costume, comme tu dis, c’est pour la fête surprise après ta prise de fonction. Oui, je sais que je gâche la surprise et c’est le but.”

“Eh, tu as dit que tu ne m’en voulais pas pour les farces de Julii.”

“Rien à voir, je viens juste mettre un peu de stress dans ta journée. Ton recrutement jusqu’ici a été un peu trop facile à mon goût parce qu’Orifa t’a à la bonne.”

L’aventurier savait que son compagnon le taquinait, mais la remarque attira son attention.

“Orifa m’aime bien ?! Ah bon ! Je n’avais pas remarqué,” répondit-il innocemment.

Les deux espions éclatèrent de rire et Roque reprit la parole après quelques instants.

“Je ne suis pas aussi doué que Julii pour les blagues, mais il y a un fond de vérité dans ce que je dis. C’est rare qu'elle demande le soutien d’un soigneur pour la torture d’une recrue potentielle.”

“Vraiment ?! Je pensais que c’était normal. Torturer, soigner, torturer, soigner, je pensais que c’était justement le but.”

“Si, mais elle n’avait pas besoin d’un soigneur du calibre qu’elle a demandé. En général, on ne soigne que les blessures graves. Je dois vérifier, mais je pense que tu es le seul qui a été entièrement remis sur pied après coup.”

Il ignorait tout de ce fait. Il avait cru que c’était la procédure standard de complètement guérir une recrue qui avait passé le test. Quels autres privilèges avait-il bénéficié de la part de la valkyrie sans le savoir ? Heureusement, Roque ne remarqua pas son étonnement et enchaîna.

“Et je ne l’ai jamais vue stresser autant pour un nouveau. Elle doit être encore en train de réfléchir sur ton nom.”

“Mon nom ?”

Verndrick avait l’impression que la journée se transformait en une succession de surprises et de questionnements.

“Quoi, tu ne sais pas ! Je ne pensais pas Julii capable de retenir sa langue sur le sujet. Je peux encore me rattraper et t’angoisser un peu donc.”

“Roque !” Verndrick n’aimait pas du tout le nouveau ton de son visiteur.

Ce dernier se mit à rire doucement.

“Tu ne crois quand même pas que c’est mon vrai nom. Ce n’est pas comme si on se cachait nos identités entre collègues, sauf Orifa, elle, on ignore tout de son passé avant le SCAR, je doute que ce soit le nom que ses parents lui ont donné à la naissance. Nos vrais noms ne sont pas vraiment secrets si tu décides d’utiliser les ressources du SCAR pour te renseigner. Mais nous avons tous besoin d’un pseudo à utiliser en mission pour ne pas faciliter la tâche à nos ennemis.”

L’idée faisait sens.

“Et c’est la responsabilité du parrain ou de la marraine de choisir le nom d’un nouvel espion. Et sache que quand c’est officialisé au cours de la cérémonie, il n’y a plus aucune possibilité de le changer. Certains se sont retrouvés avec des pseudos dont ils avaient honte.”

L’inquiétude se lisait maintenant sur le visage de Verndrick. Il n’avait jamais discuté de ce point avec la valkyrie. Ils auraient pu se concerter pour trouver un nom approprié à sa personne. Il allait devoir le porter toute sa vie, vu qu’on ne démissionnait pas du SCAR. Les Vindrœkir accordaient beaucoup de valeur au poids et au sens des mots. Il craignait qu’elle choisisse un mauvais pseudo pour lui, il ne l’avait jamais vue se prêter à l’exercice. C’était lui qui avait justement choisi Sefi ou Ombre pour elle.

“Ah enfin le visage que tu aurais dû avoir depuis le début de ce voyage. Oui, ça peut être aussi pire que ce que tu crois. On a un collègue qu’on appelle Es. C’est le diminutif d’Espion-tout-terrain.”

Une grimace déforma les traits de Verndrick à l’écoute du nom.

“Son parrain ne pensait pas à mal, il voulait mettre en exergue la versatilité de son pupille. C’est juste qu’on n’est pas tous doués pour ce qui est de nommer. Et il y a aussi ceux qui aiment les pseudos insolites comme Youhabach.”

“You quoi ?”

“Oh, attends de voir comment ça s’écrit Y-h-w-a-c-h,” épela-t-il.

En remarquant les traits toujours tirés de Verndrick, il essaya de le rassurer.

“Eh, j’exagère. Elle a choisi les noms de tous ceux du groupe. On ne s’en sort pas trop mal. Mais la rumeur court qu’elle commence par être à court d’inspiration. Elle a recruté la majeure partie des membres actuels de l’organisation, ça en fait des noms à trouver. Ce n’est pas surprenant si elle se loupe de temps en temps.”

Il était trop tard pour se perdre en inquiétude. Il souffla un bon coup et abandonna son sort à Orifa. Il sentait que c’était quelque chose qu’il prendrait l’habitude de faire de toute façon.

Roque le guida dans les couloirs du QG en lui parlant un peu des ailes qu’il n’avait pas pu encore visiter avant que deux gardes en armure les rejoignirent. Roque ajusta le manteau de Verndrick avant de prendre congé.

“Je te laisse à ton escorte. À tout à l’heure.”

Verndrick profita du trajet vers les quartiers en profondeur pour saisir toute la gravité de sa situation. Il se sentait membre du SCAR depuis la nuit de son serment, mais dans quelques minutes, ce serait officiel, réel. Ajouté à cela qu’il prendrait un nouveau nom, il avait l’impression de renaître, comme si ses pas le menaient à son baptême.

La cérémonie fut solennelle mais brève. Il s’inclina devant les paroles de l’ancien, mais ce furent les mots d’Orifa qui marquèrent le début de sa nouvelle vie. Valskoed Tarvolan, elle avait encapsulé dans les deux noms les notions de puissance, de lutte, de résilience, de protection, de mouvement, de sagesse et tout ça en gardant une touche de mystère et d’ancienneté. C'était la voix chargée d’émotion qu’il prononça le serment et accepta sa nouvelle identité.

Elle le guida vers ce qu’il soupçonnait être la salle de réception et le poussa vers les portes. Il caressa les motifs de la porte, pensif, puis se retourna pour faire face à l’espionne. Il l’attira et la serra contre son torse. Il laissa le moment s’étaler jusqu’à ce qu’il ait fait la part des choses de toutes les émotions qui le traversaient. Sans mettre fin à leur étreinte, il recula pour observer son visage. D’un seul mot, il lui communiqua ce qu’il ressentait.

“Merci !”

Et il l’embrassa. Bientôt, ils seraient entourés de collègues et il avait envie de le faire depuis leur arrivée.

“Si je dois vivre cette journée comme s’il n’y avait pas de lendemain, je ne franchirai pas cette porte. Si cette journée est ma dernière, je préfère la passer seul avec toi. On a encore tellement de choses à explorer.”

Il l’embrassa à nouveau, plus tendrement, avant de se dégager.

“Mais ce serait dommage de priver les autres de la réception.”

Il poussa les battants de la porte et fut accueilli par une foule d’espions habillés pour l’occasion à la posture droite et militaire. Un peu comme la nuit de son recrutement, on lui offrit une haie d’honneur. Heureusement, elle fut aussi courte que cette fois-là. Il se dirigea vers une table chargée de boissons et se servit un breuvage de couleur rouge avant de porter un toast.

“Je... d’habitude je suis plutôt doué pour les discours mais je ne me sens pas trop d’humeur bavarde actuellement. Alors je vais me contenter de vous remercier pour l’accueil. Je suis sûr qu’on aura l’occasion de se connaître. Rien de tel qu’une bonne beuverie pour fraterniser. Ombre, Lumière et Secrets ! Cette journée est la nôtre, alors à nous !”