Invité
Invité
AN 3 – À Liberty
Bernard Mongo n’était pas un homme au destin exceptionnel. Simple domestique, il aimait aussi prendre du bon temps dans des établissements de plaisir, sa paie étant suffisamment conséquente pour qu’il s’autorise à fréquenter les filles de joie d’un standing convenable. Depuis quelque temps, il avait jeté son dévolu sur une femme à la peau brune qui, en plus de lui procurer satisfaction, savait apaiser les regrets qui le rongeaient. C’est que le grand-père de sa maîtresse s’était donné la mort dans des circonstances « particulièrement horribles et déroutantes ». À force de regards enjoliveurs et de caresses, il révéla le nom de famille de sa maîtresse. Casris.
AN 4 – À Liberty
Bonne comédienne, sa moue déçue était criante de vérité et elle laissa l’homme déposer un dernier baiser sur ses lèvres avant de lui réclamer son dû. Une fois au loin, elle compta les piécettes en remettant son jupon en place. Le bougre l’avait insultée, la payant deux fois moins que la dernière fois alors qu’elle avait consenti à ce qu’ils se fréquentent dans un lieu public. Les cheveux encore légèrement en bataille, le corset pas tout à fait en place et le visage en sueur, elle ramena les pans de sa cape contre elle et fit volte-face pour repartir en sens inverse. Les journées n’étaient pas très prolifiques ces derniers temps et ses économies flambaient à vue d’œil. Frais médicaux, frais de vêtements, frais de parfums, des frais et encore des frais auxquels s’ajoutaient même des taxes. Elle avait bien quelques secrets en poche, mais aucun acheteur suffisamment intéressé ou sérieux à qui elle puisse les revendre. Elle se trouvait donc à devoir patienter et à survivre avec le peu de revenus versés par son employeur ou ses clients. Un bruit proche attira son attention et elle pressa le pas. Elle risquait gros, surtout si un officier républicain passait dans le coin et décidait que sa journée avait été suffisamment ennuyante pour qu’il cherche des noises à une fille comme elle.
Elle fonça donc tête baissée dans une masse chaude et vivante, avec un tel choc qu’elle recula d’au moins trois pas. Elle mordit sa langue dans l’action et elle pestait en Commun lorsqu’elle leva les yeux pour toiser ce dans quoi – ou qui plus exactement – elle était rentrée. Une autre femme à l’allure svelte et athlétique, pas du genre trop rondouillard et qui aurait pu amortir la rencontre. À la bonne heure, elle ne portait aucun uniforme et ne semblait pas accompagnée.
Bernard Mongo n’était pas un homme au destin exceptionnel. Simple domestique, il aimait aussi prendre du bon temps dans des établissements de plaisir, sa paie étant suffisamment conséquente pour qu’il s’autorise à fréquenter les filles de joie d’un standing convenable. Depuis quelque temps, il avait jeté son dévolu sur une femme à la peau brune qui, en plus de lui procurer satisfaction, savait apaiser les regrets qui le rongeaient. C’est que le grand-père de sa maîtresse s’était donné la mort dans des circonstances « particulièrement horribles et déroutantes ». À force de regards enjoliveurs et de caresses, il révéla le nom de famille de sa maîtresse. Casris.
AN 4 – À Liberty
Bonne comédienne, sa moue déçue était criante de vérité et elle laissa l’homme déposer un dernier baiser sur ses lèvres avant de lui réclamer son dû. Une fois au loin, elle compta les piécettes en remettant son jupon en place. Le bougre l’avait insultée, la payant deux fois moins que la dernière fois alors qu’elle avait consenti à ce qu’ils se fréquentent dans un lieu public. Les cheveux encore légèrement en bataille, le corset pas tout à fait en place et le visage en sueur, elle ramena les pans de sa cape contre elle et fit volte-face pour repartir en sens inverse. Les journées n’étaient pas très prolifiques ces derniers temps et ses économies flambaient à vue d’œil. Frais médicaux, frais de vêtements, frais de parfums, des frais et encore des frais auxquels s’ajoutaient même des taxes. Elle avait bien quelques secrets en poche, mais aucun acheteur suffisamment intéressé ou sérieux à qui elle puisse les revendre. Elle se trouvait donc à devoir patienter et à survivre avec le peu de revenus versés par son employeur ou ses clients. Un bruit proche attira son attention et elle pressa le pas. Elle risquait gros, surtout si un officier républicain passait dans le coin et décidait que sa journée avait été suffisamment ennuyante pour qu’il cherche des noises à une fille comme elle.
Elle fonça donc tête baissée dans une masse chaude et vivante, avec un tel choc qu’elle recula d’au moins trois pas. Elle mordit sa langue dans l’action et elle pestait en Commun lorsqu’elle leva les yeux pour toiser ce dans quoi – ou qui plus exactement – elle était rentrée. Une autre femme à l’allure svelte et athlétique, pas du genre trop rondouillard et qui aurait pu amortir la rencontre. À la bonne heure, elle ne portait aucun uniforme et ne semblait pas accompagnée.
- Pardon, lança-t-elle en posant sa main sur sa joue. Le goût du fer l’empêchait de sourire.
Ses yeux, par contre, étaient toujours en parfait état de marche alors elle en profita pour détailler un peu plus le type de femme qu’elle avait sous les yeux et qui se remettait, elle aussi, du choc de leur rencontre. Le soleil, qui n’était pas encore couché, faisait briller de mille feux sa chevelure de flammes et une lueur presque espiègle semblait transparaître dans ses yeux d’or. Une lueur qui fut bien vite remplacée par un voile sombre, probablement le même qu’arborait le regard de la serveuse lorsque les souvenirs remontèrent à la surface.
AN -13 – À Justice
Ils étaient chez Miriel et Ciryon, qui avaient invité la famille Casris pour un dîner d’affaires. Liz, neuf ans, était en retrait, les bras sagement croisés dans son dos et la tête haute en attendant que les adultes achèvent leur discussion. Ils étaient arrivés cinq minutes auparavant, mais elle avait l’impression que cela faisait déjà des heures qu’elle se tenait debout, à se contenter de regarder les nouveaux arrivants. Parfois, son regard croisait celui de la jeune fille, un peu plus grande qu’elle, qui était aussi en retrait. Elle aurait voulu lui parler mais son éducation l’en empêchait. Il fallait supporter cette interminable discussion jusqu’à ce qu’un des adultes consente à les relâcher. Ce qui ne tarda finalement pas à arriver, les responsables des deux fillettes ayant pris en considération leur tempérament bouillonnant. Quand l’autorisation fut donnée, elle invita d’un signe de tête l’autre fille à venir la rejoindre dans le jardin. Tout empêtrée qu’elle était dans sa robe à rubans et à froufrous, elle ne pourrait pas vraiment jouer mais elle comptait bien essayer. Dans la pire des situations, Irène accepterait sûrement de l’aider à retirer les tâches de boues. Lorsqu’elles foulèrent enfin la verdure, elle darda son regard vers l’héritière Casris.
AN -13 – À Justice
Ils étaient chez Miriel et Ciryon, qui avaient invité la famille Casris pour un dîner d’affaires. Liz, neuf ans, était en retrait, les bras sagement croisés dans son dos et la tête haute en attendant que les adultes achèvent leur discussion. Ils étaient arrivés cinq minutes auparavant, mais elle avait l’impression que cela faisait déjà des heures qu’elle se tenait debout, à se contenter de regarder les nouveaux arrivants. Parfois, son regard croisait celui de la jeune fille, un peu plus grande qu’elle, qui était aussi en retrait. Elle aurait voulu lui parler mais son éducation l’en empêchait. Il fallait supporter cette interminable discussion jusqu’à ce qu’un des adultes consente à les relâcher. Ce qui ne tarda finalement pas à arriver, les responsables des deux fillettes ayant pris en considération leur tempérament bouillonnant. Quand l’autorisation fut donnée, elle invita d’un signe de tête l’autre fille à venir la rejoindre dans le jardin. Tout empêtrée qu’elle était dans sa robe à rubans et à froufrous, elle ne pourrait pas vraiment jouer mais elle comptait bien essayer. Dans la pire des situations, Irène accepterait sûrement de l’aider à retirer les tâches de boues. Lorsqu’elles foulèrent enfin la verdure, elle darda son regard vers l’héritière Casris.
- On m’avait pas dit que y’aurait une autre enfant comme moi. Tu veux jouer à quoi ? D’habitude j’utilise un peu de magie pour pouvoir faire fonctionner ma balançoire… Tu veux qu’on essaie à deux ? Je suis presque sûre qu’on pourrait faire des loopings !
Pour illustrer ses propos, elle leva les deux mains et se concentra de toutes ses forces pour envoyer une impulsion d’air magique vers l’escarpolette, un peu plus loin, qui commença à se balancer. Satisfaite du résultat, elle se tourna vers l’autre en plantant ses mains sur ses hanches, comme elle avait déjà vu les adultes le faire lorsqu’ils voulaient parler de choses sérieuses.
- Enfin, on est pas obligées de faire ça, hein. Je sais que t’es plus grande que moi, papa me l’a dit. Mais mes cousins, qui ont ton âge, ils aiment bien quand on joue comme ça. À chaque fois ils me disent de les faire aller plus vite, c’est parce que je contrôle mieux ma magie qu’eux. Mais ils se rendent pas compte que ça fatigue.
Son débit de paroles était impressionnant car, ce qui manquait cruellement à Liz dans son enfance, c’était un compagnon de jeu. Quelqu’un qui serait comme elle, prêt à partir à l’aventure et à tenter les expériences les plus folles à ses côtés sans la considérer comme un bébé. C’est souvent ce que lui répétaient ses cousins, mais ils étaient bien contents lorsqu’elle utilisait sa magie pour les amuser. Le dos droit, comme on le lui avait appris, elle admirait l’autre enfant. Elles étaient si différentes. Elle avec boucles noires et son teint bronzé, l’autre avec sa chevelure rousse et sa peau pâle.
- On s’est même pas présentées officiellement ! Moi c’est Elizabeth Nahesa, mais tu peux m’appeler Liz, déclara-t-elle en tendant sa main vers l’autre jeune fille qui était présente ce soir-là. Et toi c’est… ?
AN 4 – À Liberty
- Rim Casris, lâcha-t-elle avec dédain.
Elle posa sa main sur son thorax et mima une révérence bien guindée et pathétique, à cause de laquelle sa tignasse brune dissimula une grande partie de son visage. Plutôt désireuse de lui montrer le regard noir qu'elle lui réservait et le sourire forcé qui étirait ses lèvres pleines, la jeune femme attrapa de sa dextre une partie de sa chevelure pour la repousser sur le côté, avant de se relever tout aussi magistralement. Son cœur battait la chamade. C'était bien la dernière personne qu'elle s'était attendue à croiser dans les rues d'une ville peuplée de trois millions d'habitants. Elle lui rappelait son enfance, son adolescence mais, surtout, son échec. La posture et l'attitude de l'héritière Casris ne laissaient que peu de place au doute ; celle-ci n'avait pas terminé dans la boue et devait, tous les matins, se réveiller dans des draps de soie et fouler des sols dorés. Un destin qui lui avait été refusé.
Invité
Invité
An 4 ▬ Liberty
Son paquet avait roulé au sol. Le gâteau -elle ne prenait jamais de gâteau d’ordinaire- s’était extrait de sa prison cartonné, en partie réparti sur les dalles boueuses de Liberty. Rim se redressa, appliquant la paume fraiche de sa dextre sur son front malmené où plusieurs mèches flammes vinrent s’emmêler à ses doigts. Manque de chance la passante qui venait tout bonnement de lui rentrer dedans faisait exactement la même taille qu’elle, décuplant les dégâts occasionnés par une telle embrassade non désirée…
« Aïe… Excusez-moi, vous allez bien ? se reprit-elle machinalement. »
Ce n’était pas sa conscience qui parlait, mais son éducation qui avait pris le relai. Car avant même que sa phrase ne s’achève, ses yeux s’étaient heurtés à ce visage si familier. Ses prunelles s’agrandirent sous la surprise et une ombre voila ses traits. Soudain, il ne lui fut plus possible de percevoir le brouhaha ambiant de la Capitale, les silhouettes diaphanes des badauds qui les doublaient non sans leur jeter un coup d’œil d’étonnement. Le paysage s’était embrumé d’un trop plein d’émotion, une cavalcade qui débordait son cœur à la manière d’une inondation : ses lèvres s’entrouvrirent sur un premier souffle au silence assourdissant et le vertige des années enserra ses griffes contre ses côtes.
« Liz Nahesa. »
Une constatation. Une réponse qui n’en était pas une, feulée si elle l’avait pu. A la place, sa voix avait d’elle-même optée pour un ton abrasif, deux bêtes sauvages à la fourrure hérissée. La foule devait percevoir inconsciemment la tension sous-jacente de leur échange, évitant leurs corps inamovibles tel un duo de rochers ancrés dans le lit d’une rivière furieuse. Rim s’arracha malgré elle à l’étreinte de son regard d’une rare intensité, le cuivre de ses iris longeant les courbes de son ancienne partenaire de crime. Si son ample chevelure de jais aux boucles magnifiquement tortueuses n’avait pas changé, Liz était méconnaissable. Ce n’était pas une question de physique. Certes, ses vêtements n’étaient pas tout à fait en place, peut-être la conséquence d’un travail physique difficile peu avant qu’elles ne se croisent, mais ce n’étaient pas eux qui donnaient la sensation à Rim d’avoir affaire à une inconnue.
Liz était effilée comme une lame de rasoir. Ses yeux, son comportement, ses lèvres pleines qui dévoilaient ses crocs à la manière d’un animal prêt à mordre, familier des abysses dangereux. Il n’y avait plus rien de cette lumière qui environnait autrefois ses gestes, de cette candeur irremplaçable qui avait façonné leur adolescence. Elle se tenait alerte sur ses pieds, le menton droit en l’occurrence mais la posture preste et efficace. Il y avait là un avertissement masqué dans cette aura rugueuse, la promesse de blessures plus graves qu’un simple affront verbal. Avec un temps de retard, Rim lui rendit sa révérence. Plus sincère toutefois, ou du moins exécutée plus traditionnellement en cela que son cerveau était aux abonnés absents et que son corps reproduisait un mouvement maintes fois exécuté en haute société. Liz avait de toute façon toujours été la plus maligne des deux.
►◄
An -13 ▬ JusticeRecroquevillée dans un épineux buisson, Rim ne pleurait pas. A onze ans, elle avait pris la décision de laisser cela derrière elle afin de se décréter grande fille. Elle siégeait en son royaume végétal, arrière du jardin Casris qui n’avait plus vu la cisaille d’un jardinier depuis sa naissance. Une grâce qu’elle devait peut-être à sa mère, à moins qu’il ne s’agisse plutôt de son indifférence. Bien sûr, elle fréquentait l’endroit pour son bon plaisir et certainement pas parce qu’elle venait de subir le terrible courroux de son père. Encore. Elle haïssait sa manière de lui parler comme si elle était toujours une enfant à qui l’on jetait des ordres à la figure, elle détestait le regard détourné de sa mère, sifflotant rêveusement dans la pièce d’à côté. Et elle détestait plus que tout la pitié qu’elle devinait dans l’attitude des domestiques tandis qu’elle fuyait la demeure en direction de la touffeur protectrice et anonyme des jardins. Fuir ? Non, elle n’avait pas fui, se corrigea-t-elle, serrant ses petits poings égratignés par les épines. Elle laissait un temps de répit à son père ennemi, parce que c’était ainsi que faisait les grandes dames.
« Je veux retourner chez papi… murmura-t-elle la tête enfoui contre ses genoux, un sanglot dans la voix. »
« Mademoiselle ? »
« Mademoiselle ? »
Rim sursauta, aussitôt dressée sur ses pieds comme une enfant en faute. Isabelle n’était pourtant pas un adversaire. La gouvernante la gâtait souvent et ne la punissait jamais – elle était celle dont les bras s’ouvraient lorsque l’héritière Casris était prise de chagrins inconsolables. Cette même héritière qui présentait une apparence pour le moins désastreuse en cet instant, ses longs cheveux embroussaillés de nœuds innombrables, de la terre maculant ses joues et sa jolie robe de jeune noble. Elle était telle une statue toute de dureté contenue, ses fins sourcils froncés sur une moue d’enfant frustré et farouche. Animal surpris parmi les fourrées, elle fit volte-face vers sa gouvernante et nounou, pinçant les lèvres à l’image de quelque furet grondant.
« La jeune demoiselle Nahesa est là pour vous voir, reprit Isabelle, armée d’un sourire encourageant. »
Elle pivota, dévoilant la petite brune derrière ses jupons. Alors, mue par une étrange magie souterraine, Rim se métamorphosa. Sa moue se mua en un immense sourire, presque un glapissement de joie aux oreilles d’Isabelle. Elle dut fournir un effort incommensurable pour hocher sobrement la tête et remercier la gouvernante pour lui donner congé en accord avec la politesse en vigueur, assez risible en comparaison de son âge juvénile :
« Merci Isabelle, vous pouvez disposer. »
Et puis elle s’élança tout bonnement au cou de Liz, partageant sa boue et son enthousiasme avec elle. Elles ne se connaissaient que depuis quelques mois par le biais d’une heureuse amitié entre les Casris et les Nahesa, mais le coup de foudre avait été immédiat. Esseulée, adoptée en secret, Liz avait su trouver en Rim un parfait reflet de son désir de sociabilité. Elle était après tout le fruit de voyages permanents tandis qu’elle instaurait progressivement ses quartiers à Liberty dans la demeure familiale…
« J’ai préparé du gâteau pour vous deux, précisa Isabelle en s’éloignant. »
Cela allait de soi. On leur préparait toujours du gâteau lorsqu’elles se retrouvaient. Et c’était devenu le signe annonciateur de leurs longues après-midis de jeux, le goût du sucre se mêlant à leurs paroles essoufflées…
- Rim à 11 ans :
►◄
An 4 ▬ LibertyRim baissa les yeux sur son dessert morcelé à leurs pieds. Immangeable. La crème avait coulé entre les pavés de la rue comme une ancienne cicatrice, ses nuances de fruits rouges s’assombrissant déjà sous les semelles empressées des passants, piétinées dans l’indifférence générale. Elle n’avait plus mangé de pâtisserie de cet acabit depuis l’enfance. Le gâteau était un cadeau pour Salem, sa secrétaire, à mi-chemin d’une envie subite de sucre. Elles n’en mangeraient finalement pas ce soir.
« … Est-ce que tu as faim ? lâcha alors Rim tout de go, s’arrachant au spectacle de son dessert pour relever les prunelles vers le regard défiant de Liz. »
Impossible de dire quelle mouche l’avait piquée. Et voilà qu’elle lui avait soumis cette question, une méfiance défensive tangible dans la voix. Mais qu’est-ce que tu fais ?! se réprimanda-t-elle intérieurement, enjoignant ses jambes à tourner derechef les talons pour ne plus percevoir la tension qui rôdait entre elles. Son corps ne bougea pas. A la place, ses lèvres se fendirent d’un fin sourire crispé, une zébrure tranchée de rouge sur sa peau blanche.
« Il est bientôt midi. Je t’invite où tu veux. »
Hé quoi ? En souvenir du bon vieux temps ? Ce bon vieux temps qu’elles n’avaient plus partagé depuis le début de l’an -3, lorsque Liz avait mis prématurément un terme à ses études ? Accaparée par son service militaire, Rim n’avait appris que tardivement l’histoire… Leur existence entière était de toute façon faite de contre-temps et de carrefours ratés. La joie, la culpabilité, la colère, et la crainte de ce miroir d’elle-même qu’elle rencontrait soudainement, roulaient leurs eaux troubles dans sa poitrine au point qu’elle en avait presque la nausée. Elle n’avait aucune envie de croiser son regard. Ces yeux qui lui reprochaient d’exister, et qui lui rappelaient dans le même temps qu’elle siégeait sur un passé heureux où son grand-père Jeschen était toujours en vie…
A cause de qui… ?
Invité
Invité
AN 4 – À Liberty
- Non merci, marmonna-t-elle de but en blanc.
Elle n’arrivait pas à soutenir le regard de son amie d’enfance. Elle ne voulait pas y voir leur passé commun, lointain, dont l’inaccessibilité rendait les souvenirs encore plus amers. Tout avait changé. Qui étaient-elles, l’une pour l’autre ? Celle pour qui elle aurait donné sa vie était-elle toujours digne de confiance ? N’était-ce pas sa faute si elle avait rompu tout contact ? C’était un sentiment étrange que celui qui serrait sa gorge et poignardait son estomac à cet instant précis. La honte. La peur. La colère. Les trois mélangés. Mais honte de qui ? Peur de qui ? En colère contre qui ? Rim ou elle ? Sa bouche était devenue pâteuse, c’est à peine si elle avait réussi à articuler les deux mots prononcés quelques secondes auparavant. Elle n’avait pas réfléchi plus loin que le bout de son nez et, si elle avait eu les idées en place, elle aurait sûrement regretté de ne pas l’avoir fait. Elle était tiraillée, incapable de savoir sur quel pied elle voulait danser mais le tempo ne l’attendait pas et sa partenaire aurait bien raison de s’éloigner et de la laisser se débrouiller seule. C’était sans compter le tempérament de Rim. Et, malgré toutes ces années, Liz s’en souvenait encore.
- Pas ici, ajouta-t-elle d’une voix plus forte et assurée. Je voulais dire « pas ici ».
Elle releva la tête vers son ancienne partenaire de crime, un semblant de sourire, qui s’apparentait plus à une grimace, animant le bas de son faciès. De l’eau avait peut-être coulé sous les ponts mais les litres d’encre qu’elles avaient utilisés ne s’oubliaient pas si facilement…
AN -11 – À Liberty
« Chère Rim,
J’espère que ma missive te trouvera saine et sauve. Cela fait déjà deux mois que tu es partie et tu me manques terriblement. Tout est plus fade sans toi ici ! Mes parents m’ont dit qu’ils essaieront de m’envoyer à Melorn sitôt qu’ils le pourront. Si j’ai bien compris, il faut encore qu’ils s’assurent que le trajet sera sans encombre. Ils espèrent pouvoir me faire arriver le 12 du mois d’octobre. J’ai hâte que tu me montres tout ce que tu me racontes dans tes lettres ! La cité elfique a l’air incroyable. Toutes ces plantes et ces fleurs qui parcourent les avenues rendraient folle de jalousie ma mère – tu sais comme elle est attachée à ses plantations. Si seulement il existait un moyen que tu me fasses parvenir une copie visuelle de ce que tu vois. J’en profiterai aussi pour t’envoyer des pépites. Hier, j’ai croisé Edmond et, me rappelant du sale tour qu’on lui a joué la dernière fois, je me suis cachée derrière un arbre pour l’épier en cachette. Figure-toi qu’il n’avait toujours pas réussi à se débarrasser des horribles furoncles* haha ! C’était trop dur de ne pas rigoler en voyant ça**.
Mince, je n’ai pas vu l’heure passée et papa pense que je suis encore en train de réviser mon Elfique, je vais vite confier la lettre à Irène qui devrait la faire suivre au contact habituel d’Isabelle !
À très vite,
Liz
*Je pense avoir trouvé une méthode pour rendre encore plus facile l’apparition des furoncles, je t’en parlerai dans une prochaine lettre.
**La prochaine fois on rira ensemble. »
La fillette, qui avait onze printemps à son actif, referma précautionneusement l’enveloppe avec le cachet familial avant de sauter à pieds joints sur le sol pour aller retrouver sa gouvernante. Ses boucles brunes rebondissaient au rythme de son petit pas rapide. Octobre n’allait pas tarder à arriver et, au plus profond d’elle-même, elle espérait que le voyage pourrait se faire. Ici, c’était l’ennui depuis le départ de Rim. Il n’y avait rien à faire, à part étudier. Son amie lui semblait toujours avoir été douée dans tout ce qu’elle entreprenait, alors elle l’avait prise pour modèle et comptait bien lui montrer toute l’étendue de ses nouvelles connaissances et capacités quand elles se reverraient.
J’espère que ma missive te trouvera saine et sauve. Cela fait déjà deux mois que tu es partie et tu me manques terriblement. Tout est plus fade sans toi ici ! Mes parents m’ont dit qu’ils essaieront de m’envoyer à Melorn sitôt qu’ils le pourront. Si j’ai bien compris, il faut encore qu’ils s’assurent que le trajet sera sans encombre. Ils espèrent pouvoir me faire arriver le 12 du mois d’octobre. J’ai hâte que tu me montres tout ce que tu me racontes dans tes lettres ! La cité elfique a l’air incroyable. Toutes ces plantes et ces fleurs qui parcourent les avenues rendraient folle de jalousie ma mère – tu sais comme elle est attachée à ses plantations. Si seulement il existait un moyen que tu me fasses parvenir une copie visuelle de ce que tu vois. J’en profiterai aussi pour t’envoyer des pépites. Hier, j’ai croisé Edmond et, me rappelant du sale tour qu’on lui a joué la dernière fois, je me suis cachée derrière un arbre pour l’épier en cachette. Figure-toi qu’il n’avait toujours pas réussi à se débarrasser des horribles furoncles* haha ! C’était trop dur de ne pas rigoler en voyant ça**.
Mince, je n’ai pas vu l’heure passée et papa pense que je suis encore en train de réviser mon Elfique, je vais vite confier la lettre à Irène qui devrait la faire suivre au contact habituel d’Isabelle !
À très vite,
Liz
*Je pense avoir trouvé une méthode pour rendre encore plus facile l’apparition des furoncles, je t’en parlerai dans une prochaine lettre.
**La prochaine fois on rira ensemble. »
La fillette, qui avait onze printemps à son actif, referma précautionneusement l’enveloppe avec le cachet familial avant de sauter à pieds joints sur le sol pour aller retrouver sa gouvernante. Ses boucles brunes rebondissaient au rythme de son petit pas rapide. Octobre n’allait pas tarder à arriver et, au plus profond d’elle-même, elle espérait que le voyage pourrait se faire. Ici, c’était l’ennui depuis le départ de Rim. Il n’y avait rien à faire, à part étudier. Son amie lui semblait toujours avoir été douée dans tout ce qu’elle entreprenait, alors elle l’avait prise pour modèle et comptait bien lui montrer toute l’étendue de ses nouvelles connaissances et capacités quand elles se reverraient.
AN 4 – À Liberty
- Je préfère crever l’abcès tout de suite : je ne sais pas si je suis contente de te revoir et, si j’avais développé cette compétence, je serais probablement devenue un oiseau pour m’envoler loin d’ici et m’éloigner de toi.
Elle s’approcha d’un pas, avant de s’agenouiller pour sauver ce qui pouvait l’être de la pâtisserie et la remettre dans la jolie boîte en carton. La crème collait sur ses doigts et elle attrapa un morceau de tissu dans le fond de sa poche pour les essuyer, avant de se relever en tendant ce qui restait du contenant à Rim. Elle ne se sentait pas à sa place, elle était gênée, ce qui ne lui était pas arrivé depuis de longues années. Devant celle qui était devenue diplomate et ambassadrice pour le compte de la République, elle avait la désagréable impression de n’être qu’une étrangère. Là où Rim brillait de mille feux, que ce soit par la couleur de ses cheveux, ses bijoux ou ses vêtements, Liz se confondait avec le décor maussade environnant.
Comme si ça ne suffisait pas, quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber sur les pavés.
Comme si ça ne suffisait pas, quelques gouttes de pluie commencèrent à tomber sur les pavés.
AN -10 – En chemin vers Melorn
Liz, les bras croisés sur la poitrine, n’arrivait plus à détacher ses yeux de l’imposante cité qui se dressait en face de la voiturette, tractée par chevaux, dans laquelle elle était installée depuis de nombreux jours. Le voyage n’avait pas été de tout repos et ils étaient passés par de nombreuses terres désolées avant d’atteindre les vestiges de l’antique cité elfique. Malgré la pluie qui ruisselait abondement, le spectacle était magnifique et se frayait une place de choix dans les souvenirs de la jeune noble.
- Irène ! Irène ! Quand arriverons-nous ? Il me tarde de retrouver Rim.
- Je crains qu’il ne vous faille attendre encore plusieurs heures, Mademoiselle.
En guise de réponse, Liz soupira et s’enfonça davantage entre les coussins de velours. La fin du voyage lui parut interminable et l’avait grandement fatiguée. Ce n’est que lorsqu’elle put, enfin, mettre pied à terre devant une imposante demeure et qu’elle aperçut une chevelure de feu que toute sa vigueur revint au grand galop. Les bras grands ouverts, faisant fi des protestations d’Irène qui lui demandait de se comporter convenablement, elle se précipita vers son amie de toujours. Pour elle, la petite dernière des Nahesa n’avait pas hésité une seule seconde à parcourir de longs kilomètres ; même si elle avait été placée sous très bonne escorte.
AN -10 – À Melorn
- C’était vraiment trop facile de lui chiper ça sous son nez. T’aurais vu sa tronche ! T’es vraiment trop forte pour embobiner les gens en parlant.
Liz avait rejoint Rim à Melorn depuis presque deux semaines. Ensemble, elles avaient déjà fait plusieurs bêtises, sous couverts de visites touristiques et de découvertes culinaires. La fillette, désormais âgée de douze ans et demi, se plaça à quatre pattes pour passer une tête discrète derrière la porte de la bâtisse délabrée qu’elles avaient repéré quelques jours plus tôt, s’assura que personne ne passait dans le coin et retourna s’asseoir à côté de Rim. Entre elles, le résultat de leur méfait : une bouteille de vieux rhum. Elles avaient réussi à le chaparder quelques minutes plus tôt et avaient couru se réfugier dans ce qui était devenu leur quartier général. L’endroit où vivait Rim était correct – elle préférait quand même la maison des Casris en République – mais les parents de son amie étaient un peu trop autoritaires et ne manquaient jamais de les rabrouer pour un rien. Ici, elles étaient à l’abri.
- T’es sûre de toi ? Demanda-t-elle à son amie quand elle entendit le « ploc » caractéristique de la bouteille qu’on ouvre.
Le regard hésitant fut bien vite remplacé par une confiance aveugle pour celle avec qui elle était prête à tout. Sa petite main attrapa à son tour la bouteille et elle but cul sec une grande lampée de la boisson, ne sourcillant même pas lorsqu’elle sentit la brûlure caractéristique de l’alcool déchirer sa gorge.
AN 4 – À Liberty
Elles s’étaient réfugiées sous un des nombreux portiques qui ornaient la cité. Il y avait encore tant à dire et à faire. Si Liz n’était pas encore partie, c’est bien qu’elle le voulait, non ? Si elle se fichait éperdument de la personne en face d’elle, elle serait déjà partie. Elle se le répéta une troisième fois, comme si elle voulait être sûre de son choix. Son regard trahissait encore la colère sourde qui l'habitait et, comme un animal blessé, elle restait prête à déguerpir au moindre geste brusque de son interlocutrice.
Une petite voix dans sa tête ne cessait de lui murmurer que tout était de sa faute.
Une petite voix dans sa tête ne cessait de lui murmurer que tout était de sa faute.
- Tu es sûre de ne pas avoir d'obligations ? Tu ne me dois rien, ne te sens pas obligée.
Invité
Invité
An -5 ▬ Liberty
Safira s’était positionnée de sorte à bloquer le passage, ses mains sur les hanches dans une posture de pur agacement. Ses sourcils broussailleux s’étaient plissés sur une moue colérique de mauvais augure.
La Rouge se tint silencieuse tandis que le regard de son amie la sondait. Laisse-la en venir à ses propres conclusions. Un éclat de compréhension illumina le visage de Safira, très vite suivi d’une étincelle mutine. Gagnant en esbroufe, la jeune fille libéra le passage pour mieux s’accaparer le bras de sa collègue tel un charognard flairant une belle aubaine.
Rim courba ses lèvres en un sourire affable. Masquer les craquelures de son cœur, pousser Safira à s’enliser définitivement dans son hypothèse erronée. Un exercice auquel elle excellait de mieux en mieux chaque jour. Safira n’était pas une proie particulièrement ardue : elle débitait quarante cinq phrases minutes péchant par amour pour la badinerie et les potins qui la distrayaient de ses études difficiles. Et c’était précisément pour cette raison que Rim l’avait choisie ces derniers jours, orchestrant soigneusement le bruit de couloir qu’elle avait conçu pour cacher la vérité. Une histoire d’amour dramatique occuperait bien mieux des adolescents en perdition que les restes d’une amitié fracturée. Pardon Ceoke, de me servir de toi comme prétexte…
Car Liz, Liz Nahesa avait rejoint l’Université. Une première année qui avait laissé Rim démunie lors de la cérémonie d’ouverture, la contraignant à redoubler d’astuce pour demeurer invisible et lointaine. C’est qu’elle se souvenait. Elle se souvenait de la claque monumentale de son père, des coups qui avaient suivi, essoufflée, percluse et vacillante sous ce torrent de mots et de mains. Elle se souvenait surtout de son avertissement plein de fiel, cette menace voilée qui annonçait en réalité bien pire que tous les sévices physiques susceptibles de lui être portés :
Elle se mordit la lèvre inférieure, grimpant les escaliers aux côtés de Safira. Elle luttait pour résister à la tentation de se retourner et fouiller des yeux la salle quotidienne des Assistanats magiques. Tout cela n’importait plus de toute manière. Cinq années étaient passées.
Elle avait bien essayé de la contacter les premiers temps. Envoyer des missives, tenter de contourner la surveillance parentale. Mais les domestiques ne lui faisaient plus non plus confiance et ses lettres disparaissaient mystérieusement avant d’avoir atteint leur destinatrice… A moins que ce ne soit Liz, qui refusait de répondre à ses courriers ? Devant les prunelles de Rim dansait encore les convulsions désordonnées de son amie, méfaits imprévus de l’alcool lorsque l’on a que quatorze ans d’expérience. Et douze ans de vie pour sa brune confidente.
Elle s’était dénoncée aux gardes de Melorn. Impuissante à aider Liz, paniquée face à ces symptômes de haute alcoolémie qu’elle ne reconnaissait guère pour ne les avoir jamais vécus elle-même. Rim n’en menait pas large non plus, certes plus âgée que son amie, toute aussi ivre et perdue cependant. La blague était allée trop loin : il leur fallait des adultes pour les aider avant qu’un véritable drame ne survienne.
Oui. Liz vivrait mieux sans elle. Elle s’épanouirait dans une famille décente, apprendrait son véritable rôle au sein de la haute société. Elle était brillante, d’une intelligence que Rim admirait.
Elle s’en sortirait bien mieux loin de son cercle social.
Parce qu’il était temps d’arrêter.
Etonnant comme une simple confirmation de ses angoisses pouvait consteller sa poitrine d’un invisible fardeau. Elle frémit à peine lorsque Liz annonça n’être pas certaine de vouloir la revoir. Son masque se reconstitua une énième fois, trop rapidement pour laisser ses plaies à vif plus longtemps que nécessaire. Elles marchèrent jusqu’à la protection d’un portique et Rim prit conscience de l’étonnant froid qui la traversait.
Qu’était devenue Liz pendant toutes ces années ? Rim s’était noyée dans son service militaire pour ne plus avoir à entendre les ragots inévitables de la caste noble. Moins elle en savait alors sur Liz, plus il devenait aisé de faire son deuil. Oh, elle avait bien saisi quelques remous sur les Nahesa, des disputes familiales autour de la répartition de leurs richesses, mais ce milieu appartenait à ses parents et elle avait juré de ne plus y remettre les pieds. Elle avait plutôt travaillé à se construire ses propres alliés hors de Justice, entretenant uniquement de distants rapports cordiaux avec les familles amies de ses géniteurs. Le futur jouait contre eux : ils perdaient chaque jour en emprise au profit de la nouvelle lignée des Casris que Rim incarnait. Ils n’argumentaient plus lorsqu’elle leur ordonnait de se trouver d’autres occupations et ne venaient guère rôder sur son terrain de chasse.
Elle savait en outre que Liz avait mis prématurément un terme à ses études du fait d’une grossesse. Et que cette maternité impromptue s’était fort mal achevée. Quant aux altercations avec les Nahesa, la brune avait forcément trouvé une solution de secours, ingénieuse qu’elle était. Il était tout bonnement impossible qu’elle n’ait pas recouvré sa stabilité et son confort.
La tonalité, un peu sèche, couvrit la rumeur de la pluie. Le ciel s’était ourlé d’une morne grisaille et ce trop plein d’eau tombait dans la rue en longues rigoles éreintées, brassant la poussière et la saleté des pavés en d’indésirables amats.
Elle leva les yeux vers Liz et leurs regards se heurtèrent. L’intensité de ses prunelles ne décrut pas, l’or de son pouvoir intérieur teintant le cuivre de ses iris.
Alors, elle s’avança hors de la protection du portique, droit sous l’intempérie. Sa dextre décrivit un souple arc de cercle, figeant la pluie et pailletant la proximité de sa silhouette d’une constellation de perles argentées brusquement suspendues dans les airs. Repoussée par sa télékinésie, une fine pellicule d’eau dessinait à présent une couronne aquatique sur sa chevelure flamme, tel le voile d’une mariée surmontant le regard farouche d’une louve refusant d’être acculée.
Une constatation. Malgré le temps passé, malgré les divergences et tous les obstacles rencontrés, voilà soudain qu’elles se connaissaient toujours sur le bout des doigts. Car c’était là une invitation, la plus ancienne de toutes, celle de leurs jeux magiques lorsque enfant elles s’égayaient dans les jardins pour mieux tester leurs limites. Et, intouchable sous la pluie à la manière d’une impératrice, Rim offrait cette ultime provocation complice à sa plus chère amie : Viens. Redeviens le vent libre que tu avais l’habitude d’être. Liz, le chef d’orchestre aux ordres duquel l’air se pliait, les brises ronronnant sous ses doigts habiles.
Un fin semi sourire insolent incurva ses lèvres. Et au fond, tout au fond, se terrait une douce tendresse masquée. Quel meilleur palliatif à la honte et à la gêne que de les engloutir sous un feu piqué à vif, une subtile confrontation de leurs âmes d’adulte ? Si la pluie pouvait dissoudre les formes et avaler la ville, peut-être pourrait-elle remplir l’abîme qui les séparait.
« Qu’est-ce qui ne va pas avec toi ces derniers jours ? »
Safira s’était positionnée de sorte à bloquer le passage, ses mains sur les hanches dans une posture de pur agacement. Ses sourcils broussailleux s’étaient plissés sur une moue colérique de mauvais augure.
« Empruntons un autre couloir, répéta Rim. Ici ce sont les Assistanats Magiques. »
« Et alors ? … C’est à cause de Ceoke ? »
« Et alors ? … C’est à cause de Ceoke ? »
La Rouge se tint silencieuse tandis que le regard de son amie la sondait. Laisse-la en venir à ses propres conclusions. Un éclat de compréhension illumina le visage de Safira, très vite suivi d’une étincelle mutine. Gagnant en esbroufe, la jeune fille libéra le passage pour mieux s’accaparer le bras de sa collègue tel un charognard flairant une belle aubaine.
« Je devine que cela ne s’est pas très bien passé entre vous hier soir… Et tu ne m’as rien dit ! Vous ne vous voyez plus ? … Non, il coucherait avec quelqu’un d’autre ?! »
Rim courba ses lèvres en un sourire affable. Masquer les craquelures de son cœur, pousser Safira à s’enliser définitivement dans son hypothèse erronée. Un exercice auquel elle excellait de mieux en mieux chaque jour. Safira n’était pas une proie particulièrement ardue : elle débitait quarante cinq phrases minutes péchant par amour pour la badinerie et les potins qui la distrayaient de ses études difficiles. Et c’était précisément pour cette raison que Rim l’avait choisie ces derniers jours, orchestrant soigneusement le bruit de couloir qu’elle avait conçu pour cacher la vérité. Une histoire d’amour dramatique occuperait bien mieux des adolescents en perdition que les restes d’une amitié fracturée. Pardon Ceoke, de me servir de toi comme prétexte…
Car Liz, Liz Nahesa avait rejoint l’Université. Une première année qui avait laissé Rim démunie lors de la cérémonie d’ouverture, la contraignant à redoubler d’astuce pour demeurer invisible et lointaine. C’est qu’elle se souvenait. Elle se souvenait de la claque monumentale de son père, des coups qui avaient suivi, essoufflée, percluse et vacillante sous ce torrent de mots et de mains. Elle se souvenait surtout de son avertissement plein de fiel, cette menace voilée qui annonçait en réalité bien pire que tous les sévices physiques susceptibles de lui être portés :
« Tu as brisé l’avenir de ton amie. Tu n’es plus seulement un danger public pour nous, il a fallu que tu l’entraines avec toi, que tu la pourrisses de l’intérieur Rim ! »
Elle se mordit la lèvre inférieure, grimpant les escaliers aux côtés de Safira. Elle luttait pour résister à la tentation de se retourner et fouiller des yeux la salle quotidienne des Assistanats magiques. Tout cela n’importait plus de toute manière. Cinq années étaient passées.
« Désormais tu ne la verras plus jamais. Ne lui adresse plus la parole. A moins que tu n’aies aucun respect pour son bienêtre ? Que tu ne veuilles pas la voir heureuse ? »
Elle avait bien essayé de la contacter les premiers temps. Envoyer des missives, tenter de contourner la surveillance parentale. Mais les domestiques ne lui faisaient plus non plus confiance et ses lettres disparaissaient mystérieusement avant d’avoir atteint leur destinatrice… A moins que ce ne soit Liz, qui refusait de répondre à ses courriers ? Devant les prunelles de Rim dansait encore les convulsions désordonnées de son amie, méfaits imprévus de l’alcool lorsque l’on a que quatorze ans d’expérience. Et douze ans de vie pour sa brune confidente.
« C’était quoi, l’étape d’après ? La prostitution ?! Elle n’a que douze ans ! Bon sang c’est toi l’aînée, TU aurais dû montrer l’exemple, pas l’abâtardir et mettre à mal nos relations avec Melorn et les Nahesa ! »
Elle s’était dénoncée aux gardes de Melorn. Impuissante à aider Liz, paniquée face à ces symptômes de haute alcoolémie qu’elle ne reconnaissait guère pour ne les avoir jamais vécus elle-même. Rim n’en menait pas large non plus, certes plus âgée que son amie, toute aussi ivre et perdue cependant. La blague était allée trop loin : il leur fallait des adultes pour les aider avant qu’un véritable drame ne survienne.
« Les parents de Liz sont déçus. Choqués. Elle aurait pu mourir ! Ils ne te laisseront plus approcher leur fille. Et ce n’est que justice si tu veux mon avis, on ne devrait pas laisser une bête folle approcher les honnêtes gens. Tu as fait trop de mal à trop de monde. Il est temps d’arrêter. »
Oui. Liz vivrait mieux sans elle. Elle s’épanouirait dans une famille décente, apprendrait son véritable rôle au sein de la haute société. Elle était brillante, d’une intelligence que Rim admirait.
Elle s’en sortirait bien mieux loin de son cercle social.
Parce qu’il était temps d’arrêter.
►◄
An 4 ▬ Liberty« Merci, répondit sombrement Rim en récupérant ce qu’il restait du gâteau. »
Etonnant comme une simple confirmation de ses angoisses pouvait consteller sa poitrine d’un invisible fardeau. Elle frémit à peine lorsque Liz annonça n’être pas certaine de vouloir la revoir. Son masque se reconstitua une énième fois, trop rapidement pour laisser ses plaies à vif plus longtemps que nécessaire. Elles marchèrent jusqu’à la protection d’un portique et Rim prit conscience de l’étonnant froid qui la traversait.
Qu’était devenue Liz pendant toutes ces années ? Rim s’était noyée dans son service militaire pour ne plus avoir à entendre les ragots inévitables de la caste noble. Moins elle en savait alors sur Liz, plus il devenait aisé de faire son deuil. Oh, elle avait bien saisi quelques remous sur les Nahesa, des disputes familiales autour de la répartition de leurs richesses, mais ce milieu appartenait à ses parents et elle avait juré de ne plus y remettre les pieds. Elle avait plutôt travaillé à se construire ses propres alliés hors de Justice, entretenant uniquement de distants rapports cordiaux avec les familles amies de ses géniteurs. Le futur jouait contre eux : ils perdaient chaque jour en emprise au profit de la nouvelle lignée des Casris que Rim incarnait. Ils n’argumentaient plus lorsqu’elle leur ordonnait de se trouver d’autres occupations et ne venaient guère rôder sur son terrain de chasse.
Elle savait en outre que Liz avait mis prématurément un terme à ses études du fait d’une grossesse. Et que cette maternité impromptue s’était fort mal achevée. Quant aux altercations avec les Nahesa, la brune avait forcément trouvé une solution de secours, ingénieuse qu’elle était. Il était tout bonnement impossible qu’elle n’ait pas recouvré sa stabilité et son confort.
« Je ne t’invite pas pour te rendre service. »
La tonalité, un peu sèche, couvrit la rumeur de la pluie. Le ciel s’était ourlé d’une morne grisaille et ce trop plein d’eau tombait dans la rue en longues rigoles éreintées, brassant la poussière et la saleté des pavés en d’indésirables amats.
« Je l’ai fait parce que j’en avais envie. »
Elle leva les yeux vers Liz et leurs regards se heurtèrent. L’intensité de ses prunelles ne décrut pas, l’or de son pouvoir intérieur teintant le cuivre de ses iris.
« Il y a un vendeur de rue un peu plus loin. De la nourriture chaude et un auvent. »
Alors, elle s’avança hors de la protection du portique, droit sous l’intempérie. Sa dextre décrivit un souple arc de cercle, figeant la pluie et pailletant la proximité de sa silhouette d’une constellation de perles argentées brusquement suspendues dans les airs. Repoussée par sa télékinésie, une fine pellicule d’eau dessinait à présent une couronne aquatique sur sa chevelure flamme, tel le voile d’une mariée surmontant le regard farouche d’une louve refusant d’être acculée.
« Nous ne sommes pas vraiment retenues ici par la pluie, n’est-ce pas. »
Une constatation. Malgré le temps passé, malgré les divergences et tous les obstacles rencontrés, voilà soudain qu’elles se connaissaient toujours sur le bout des doigts. Car c’était là une invitation, la plus ancienne de toutes, celle de leurs jeux magiques lorsque enfant elles s’égayaient dans les jardins pour mieux tester leurs limites. Et, intouchable sous la pluie à la manière d’une impératrice, Rim offrait cette ultime provocation complice à sa plus chère amie : Viens. Redeviens le vent libre que tu avais l’habitude d’être. Liz, le chef d’orchestre aux ordres duquel l’air se pliait, les brises ronronnant sous ses doigts habiles.
« A moins que tu n’en sois plus capable ? »
Un fin semi sourire insolent incurva ses lèvres. Et au fond, tout au fond, se terrait une douce tendresse masquée. Quel meilleur palliatif à la honte et à la gêne que de les engloutir sous un feu piqué à vif, une subtile confrontation de leurs âmes d’adulte ? Si la pluie pouvait dissoudre les formes et avaler la ville, peut-être pourrait-elle remplir l’abîme qui les séparait.
Invité
Invité
AN 4 – À Liberty
Un pas, pour les retrouver : son insouciance, son enfance, Rim.
Une pensée, pour mettre en mouvement la mécanique agile de son corps meurtri.
Une éternité, pour se décider.
Ses doigts se plièrent dans le creux de ses mains et elle serra les poings, avec presque l'écume de la rage sur le bord des lèvres. Elle était tiraillée. N'avait-elle pas fait tout ce chemin pour se débarrasser de sa frivolité, son inconscience et sa légèreté d'adolescente ? À quoi bon ce travail minable, détestable, les raclures et le trafic de ses charmes si c'était pour endosser une nouvelle fois le rôle d'un personnage qu'elle détestait ? Le détestait-elle vraiment ? Se détestait-elle vraiment ? La Liz passée devait-elle vraiment être supprimée pour devenir plus forte, plus féroce et mener à bien sa vengeance ? La Liz d'hier aurait répondu oui sans la moindre hésitation. La Liz d'aujourd'hui doutait.
Mais alors.
Pourquoi ce silence, cette absence, cet abandon ? Où était Rim quand elle avait le plus eu besoin d'elle ? Où était-elle, pour l'aider quitter la voie qui menait à la dépravation ? Où était-elle quand elle avait découvert l'arrêt de ses saignements mensuels puis ce ventre rond qu'elle avait tour à tour chérit et haït ?
Et Liz, où avait-elle été ?
Elle se souvenait des cris et des larmes qui avaient suivi cette journée fatidique. Ce jour où elle était devenue non pas une femme, comme on pouvait s'y attendre pour n'importe quelle jeune fille humaine qui entrait dans l'âge ingrat, mais une dépravée. Ce jour où tout avait basculé, où son encéphale lui avait dit : « Recommence ! » au lieu de lui dire : « Tu as assez joué avec le feu, tu as inquiété tes parents et Rim a dû quitter Melorn par votre faute. Ce n'est pas le chemin à emprunter. ». Douze ans et des doutes qui commençaient à s'installer sur ses origines. Comment voulaient-ils qu'elle n'emprunte pas le boulevard sur lequel le destin l'avait nerveusement déposé ?
Pourtant.
À son tour, elle leva sa dextre puis fit claquer son pouce et son majeur entre eux pour balayer d'une petite bourrasque les gouttes de pluie au-dessus de sa tête. Pourquoi ? Pas en souvenir du bon vieux temps. Parce qu'elle n'avait qu'une parole avec ceux qui lui étaient proches, quand bien même ça pouvait la mettre dans une situation inconfortable. L'air frais balayait sa figure et plaquait en arrière les mèches rebelles qui n'étaient pas maintenues dans son fichu. Elle regarda son compère et, pour la première fois en quatre ans, un éclat d'espoir y brilla avant d'être remplacé par la dureté sauvage imposée par son histoire.
Un pas, pour les retrouver : son insouciance, son enfance, Rim.
Une pensée, pour mettre en mouvement la mécanique agile de son corps meurtri.
Une éternité, pour se décider.
Ses doigts se plièrent dans le creux de ses mains et elle serra les poings, avec presque l'écume de la rage sur le bord des lèvres. Elle était tiraillée. N'avait-elle pas fait tout ce chemin pour se débarrasser de sa frivolité, son inconscience et sa légèreté d'adolescente ? À quoi bon ce travail minable, détestable, les raclures et le trafic de ses charmes si c'était pour endosser une nouvelle fois le rôle d'un personnage qu'elle détestait ? Le détestait-elle vraiment ? Se détestait-elle vraiment ? La Liz passée devait-elle vraiment être supprimée pour devenir plus forte, plus féroce et mener à bien sa vengeance ? La Liz d'hier aurait répondu oui sans la moindre hésitation. La Liz d'aujourd'hui doutait.
Mais alors.
Pourquoi ce silence, cette absence, cet abandon ? Où était Rim quand elle avait le plus eu besoin d'elle ? Où était-elle, pour l'aider quitter la voie qui menait à la dépravation ? Où était-elle quand elle avait découvert l'arrêt de ses saignements mensuels puis ce ventre rond qu'elle avait tour à tour chérit et haït ?
Et Liz, où avait-elle été ?
Elle se souvenait des cris et des larmes qui avaient suivi cette journée fatidique. Ce jour où elle était devenue non pas une femme, comme on pouvait s'y attendre pour n'importe quelle jeune fille humaine qui entrait dans l'âge ingrat, mais une dépravée. Ce jour où tout avait basculé, où son encéphale lui avait dit : « Recommence ! » au lieu de lui dire : « Tu as assez joué avec le feu, tu as inquiété tes parents et Rim a dû quitter Melorn par votre faute. Ce n'est pas le chemin à emprunter. ». Douze ans et des doutes qui commençaient à s'installer sur ses origines. Comment voulaient-ils qu'elle n'emprunte pas le boulevard sur lequel le destin l'avait nerveusement déposé ?
Pourtant.
À son tour, elle leva sa dextre puis fit claquer son pouce et son majeur entre eux pour balayer d'une petite bourrasque les gouttes de pluie au-dessus de sa tête. Pourquoi ? Pas en souvenir du bon vieux temps. Parce qu'elle n'avait qu'une parole avec ceux qui lui étaient proches, quand bien même ça pouvait la mettre dans une situation inconfortable. L'air frais balayait sa figure et plaquait en arrière les mèches rebelles qui n'étaient pas maintenues dans son fichu. Elle regarda son compère et, pour la première fois en quatre ans, un éclat d'espoir y brilla avant d'être remplacé par la dureté sauvage imposée par son histoire.
- Pfeuh, un jeu d'enfant, répliqua-t-elle aussitôt. J'ai appris plein d'autres choses depuis, tu sais.
Le port de tête de Rim, son attitude, son œillade un tantinet provocateur et son apparente facilité à exister avec autant d'insolence et de simplicité les faisaient rajeunir d'une douzaine d'années. Et, même s'il ne lui était pas simple de se débarrasser de son air revêche et que son esprit la torturait toujours autant, elle était bien décidée à voir où ce nouveau coup du sort les emmènerait.
-Tu es restée ici ou tu es de passage ? S'enquit-elle tandis qu'elles marchaient côte-à-côte. Tu as terminé tes études, non ? Si je compte bien ça fait au moins...
La langue pincée entre ses lèvres, elle commença à compter les années sur ses doigts, ses marmonnements interrompus en intermittence par le bruit de ses chaussures dans les flaques qui s'étaient formées sur les rues pavées de la cité.
-On est en l'an 4... J'y suis entrée en l'an -9... Euh non, -5... Putain, ce calendrier, quel enfer ! Déjà que je n'aime pas compter, alors compter à l'envers... Donc, j'y étais en -5 et toi ça faisait déjà... Bon, si tu devais l'avoir terminé, ça serait le cas.
Parce qu'elle avait su. Elles s'étaient vues.
An -4 – Université Magic, Liberty
Ses mains n'arrêtaient pas de trembler. Les yeux rivés sur son livre de Droit Constitutionnel, incapable de se concentrer, les mots se brouillaient et ce n'était pas à cause de la fatigue. C'était pire. Les lèvres sèches, elle se pencha pour attraper sa sacoche de cours et chercha frénétiquement sa gourde. Son palpitant tambourinait dans sa poitrine, menaçant de sortir de sa cage thoracique d'un moment à l'autre. Ses doigts rencontrèrent enfin la surface dure et froide du précieux contenant, qu'elle ouvrit avec autant de précaution que possible pour se désaltérer d'une grande lampée d'eau fraîche. Une eau fraîche mélangée avec un peu de boisson énergisante qu'elle avait achetée à un élève de quatrième année en cursus politique. Elle ne savait pas trop ce qu'il y avait dedans, mais ça lui permettait de rester éveillée plus longtemps et c'était, avait dit le vendeur, un gros plus pour rester concentré des heures entières lorsqu'il fallait encore réviser après une journée de cours magistraux ou de travaux pratiques. Elle sursauta en sentant une main masculine se poser sur son bras. C'était Osha, un elfe avec lequel elle s'était liée d'amitié quelques semaines auparavant. Ensemble, ils passaient le plus clair de leur temps à réviser... Lorsqu'elle n'était pas fourrée dans les coups les plus susceptibles de la faire renvoyer de l'université.
An -4 – Université Magic, Liberty
Ses mains n'arrêtaient pas de trembler. Les yeux rivés sur son livre de Droit Constitutionnel, incapable de se concentrer, les mots se brouillaient et ce n'était pas à cause de la fatigue. C'était pire. Les lèvres sèches, elle se pencha pour attraper sa sacoche de cours et chercha frénétiquement sa gourde. Son palpitant tambourinait dans sa poitrine, menaçant de sortir de sa cage thoracique d'un moment à l'autre. Ses doigts rencontrèrent enfin la surface dure et froide du précieux contenant, qu'elle ouvrit avec autant de précaution que possible pour se désaltérer d'une grande lampée d'eau fraîche. Une eau fraîche mélangée avec un peu de boisson énergisante qu'elle avait achetée à un élève de quatrième année en cursus politique. Elle ne savait pas trop ce qu'il y avait dedans, mais ça lui permettait de rester éveillée plus longtemps et c'était, avait dit le vendeur, un gros plus pour rester concentré des heures entières lorsqu'il fallait encore réviser après une journée de cours magistraux ou de travaux pratiques. Elle sursauta en sentant une main masculine se poser sur son bras. C'était Osha, un elfe avec lequel elle s'était liée d'amitié quelques semaines auparavant. Ensemble, ils passaient le plus clair de leur temps à réviser... Lorsqu'elle n'était pas fourrée dans les coups les plus susceptibles de la faire renvoyer de l'université.
- Tu vas bien ? T'as pas l'air dans ton assiette ?
- Si, si... Je pense que je vais aller prendre un peu l'air. Ce putain de bouquin commence à me sortir par les yeux.
- Tu veux que je t'accompagne ?
- Tu viens déjà de prendre ta pause. T'en fais pas pour moi. J'ai juste besoin de m'aérer un peu l'esprit.
Le regard suspicieux d'Osha aurait presque pu lui mettre la larme à l’œil, tant elle était ébranlée par ce qu'elle venait de voir. Une chevelure flamboyante à nulle autre semblable, une démarche de suzeraine, un profil anguleux et, surtout, ses yeux de cuivre et ses grandes prunelles de chat. C'était bien Rim Casris qu'elle avait aperçue. Le cœur battant encore à tout rompre, elle sortit aussi discrètement que possible de la pièce, résistant à l'envie de courir pour s'éloigner à tout prix de celle par qui elle considérait avoir été abandonnée.
Là encore, elle se souvenait.
An -7 – À Liberty
Là encore, elle se souvenait.
An -7 – À Liberty
- Laissez-moi rentrer, s'il-vous-plaît ! Je vous promets que nous serons discrètes, nous ne dirons rien à nos familles, s'il-vous-plaît Madame Isabelle ! Je n'ai pas beaucoup d'heures devant moi.
La gouvernante soupira mais ne bougea pas. Peu importait ce qu'elle pensait de la situation, elle avait à cœur que sa jeune protégée ne revive plus les tourments qui l'avait, quelques années auparavant, fait couper les ponts avec ses parents.
- Mademoiselle Nahesa, je ne sais pas comment vous avez fait pour nous retrouver, mais je vais vous demander de partir. Vous ne pouvez pas voir Mademoiselle Casris. Faites-vous une raison ! Voulez-vous vraiment que sa vie soit une nouvelle fichue en l'air par votre impertinence et même, oserais-je dire, votre simple présence en ces lieux ? Monsieur et Madame Casris ne sont peut-être plus ici mais...
- Alors c'est vrai ? Rim s'est vraiment fâchée avec ses parents ?
- … Vous êtes insupportable ! Allez, fichez-moi le camp d'ici, je vous prie. Vos parents à vous doivent être morts d'inquiétude de vous savoir ici !
- Ils sont encore à l'hôtel ! J'ai prétexté une course pour...
- Prétexté ! Voilà le problème. Vous n'êtes qu'une menteuse et une enquiquineuse. Ne revenez plus.
Elle ponctua son ordre d'un claquement de langue et referma brutalement la porte au nez de Liz qui se retrouvait, une fois encore, seule. Enfouissant ses mains dans ses poches, elle pesta et s'éloigna de la maisonnée en cherchant une solution à ses problèmes. Elle était de passage avec ses parents à Liberty, c'était leur dernier jour ici et elle cherchait désespéramment à rentrer en contact avec Rim. Il fallait qu'elle lui parle, qu'elle lui fasse part de sa découverte. Elle était adoptée ! Ce n'était pas une vraie Nahesa. Elle avait, des semaines durant, gardée cette connaissance sans en parler à personne, aussi dur cela soit-il, avec pour seule idée, malgré toutes ces années, de se confier à la seule personne qui avait toujours été honnête avec elle. Malgré les années, elle savait et sentait au fond d'elle que Rim ne l'avait pas encore tout à fait abandonnée et la discussion avec Dame Isabelle avait confirmé ses soupçons. Elles avaient été séparées de force.
Quelle ironie.
An 4 – À Liberty
Elle était pensive. Pourquoi l'avait-elle emmenée sur le sujet de l'université ? Il lui semblait que leur dernière rencontre remontait à ce moment-là et ne s'était pas bien terminée, le comportement de la jeune héritière Casris confirmant ses pires craintes ; elle l'évitait. Mais, surtout, cette pente l'obligerait à mentionner son abandon et, pis encore, les raisons de son échec. Elle se racla finalement la gorge, grattant machinalement son bras par-dessous sa blouse en coton.
Quelle ironie.
An 4 – À Liberty
Elle était pensive. Pourquoi l'avait-elle emmenée sur le sujet de l'université ? Il lui semblait que leur dernière rencontre remontait à ce moment-là et ne s'était pas bien terminée, le comportement de la jeune héritière Casris confirmant ses pires craintes ; elle l'évitait. Mais, surtout, cette pente l'obligerait à mentionner son abandon et, pis encore, les raisons de son échec. Elle se racla finalement la gorge, grattant machinalement son bras par-dessous sa blouse en coton.
-Enfin, je comprendrai que tu n'aies pas envie d'en parler, hein. C'était un peu chaotique la dernière fois qu'on s'est vues, là-bas.
Elle ricana. Elle essayait de noyer le poisson tant bien que mal. Comment parler normalement quand tant de non-dits et de silences subsistaient entre elles ? Tous les sujets qu'elles pouvaient aborder les mettraient à nu, perspective désopilante à laquelle elle ne voulait pas se frotter. Oh et puis merde. On avait qu'une vie. Elle s'arrêta net et attrapa le bras de Rim pour la forcer à s'arrêter et lui faire face.
Elle était toute en contradiction. Ce moment ne ferait pas exception à la règle. Elle avait le regard plus âpre que ce qu'elle voulait et le ton sec, cassant. Non, la courtisane ne savait plus comment se comporter et, en l'espace d'une seconde, sa colère sourde était remontée à la surface et menaçait d'exploser.
Elle était toute en contradiction. Ce moment ne ferait pas exception à la règle. Elle avait le regard plus âpre que ce qu'elle voulait et le ton sec, cassant. Non, la courtisane ne savait plus comment se comporter et, en l'espace d'une seconde, sa colère sourde était remontée à la surface et menaçait d'exploser.
-Pourquoi tu m'as esquivé ? Pourquoi tu m'as jamais contacté ? Pourquoi t'as jamais été là ? Je croyais... Je croyais qu'on était inséparables !
Et voilà, c'était dit. Même pas foutue d'attendre qu'elles aient commandé quelque chose pour se mettre à parler des sujets qui fâchent. Son mécontentement avait eu raison de sa concentration, elle était trempée.
Et, sur sa joue, une larme de rage se mêlait aux gouttes de pluie.
Et, sur sa joue, une larme de rage se mêlait aux gouttes de pluie.
Invité
Invité
An -1 ▬ Courage
Le monde avait un goût de terre et de métal. Elle racla sa joue, ôtant le sang qui lui voilait la vue et rendait ses mains poisseuses. Le manche de son coutelas glissa contre ses phalanges, mêlées de pluie et d’hémoglobine, et elle jura lorsque la lame manqua son vis-à-vis pour ricocher contre le mur. L’arme se perdit dans la boue en un appât qu’elle ne saisit pas. Elle recula plutôt d’un mètre et réarma ses poings. Elle passa sa langue pâteuse sur ses lèvres écorchées, crénelées de sel : cela avait formé une croute de cristaux sales et brunis sur sa peau, ramassés contre le bois du quai lors de sa précédente chute. Rim gronda. Son adversaire lui retourna un semblable regard, juste avant qu’elle ne perçoive dans ses tâtonnements des velléités de récupérer sa lame à son actif.
Elle pivota sur ses hanches. Sa jambe se tendit comme un ressort, heurtant de plein fouet l’épaule de sa cible, manquant de peu le fragile cartilage de son oreille. Pas assez. Et suffisant. Il vacilla, mis à mal sur ses appuis, agrippa son avant-bras dans le but de le lui tordre. Partout alentour des gerbes de boue pesaient sur leurs membres, entravaient leur geste dans la pluie diluvienne qui avait choisi ce jour-là de déverser des trombes d’eau sur Courage. Elle ahana sous l’effort, flanqua toute la puissance de ses phalanges dans sa mâchoire, grognant tous deux tels des pantins désarticulés et aux prises avec quelque invisible démon. Elle essuya un coup dans son estomac, la nausée au bord des lèvres et le souffle coupé - sa dextre parvint pourtant à empoigner sa nuque avec l’énergie que l’on confère au désespoir. Alors, elle vit dans son regard surpris qu’il n’avait pas vu le prochain coup venir.
Car elle remonta brusquement son genou dans son visage avec la rage d’un chien galeux. Cela fit comme un bruit d’os mouillés. Les ligaments explosèrent sous l’impact, ses traits pulvérisés par un fil invisible qui n’en finissait plus de se disloquer. Soudain, tout partait à vau-l’eau. Il voulut hoqueter, un filament de sang éclatant en une dernière bulle à la surface de ce qui était auparavant sa bouche pour dernier borborygme. Il s’effondra et ses doigts gourds entortillés dans les cheveux crasseux de Rim emportèrent avec eux une poignée de mèches trempées faute d’avoir pu s’en défaire. Elle feula, manqua se vautrer dans la fange de la ruelle à cause de ce poids inattendu, une main ramassée contre son ventre malmené d’un immense hématome.
En vie. Elle était en vie.
Sa colère était-elle apaisée ?
Ses yeux glissèrent sur son genou et elle fut surprise d’y retrouver une dent, la chair boursouflée et brunâtre de sa jambe cisaillée sur plusieurs centimètres.
Non. La fureur était viscéralement ancrée dans ses entrailles. Elle cracha comme une panthère acculée. A ses pieds, la forme non identifiable de ce connard de Davy gémit dans l’eau sirupeuse du caniveau.
Elle ne bougea pas, statue immobile cristallisée de sel. Les contours diaphanes d’Aaron se dessinèrent derrière elle dans la grisaille de la pluie. Elle le devinait prudent et méfiant dans son uniforme, n’osant tout à fait s’approcher pour la calmer, lui qui appartenait à une autre escouade.
Elle le regarda. Un regard étrange, déformé. La bruine sifflait en bouillonnant au contact de sa peau anormalement brûlante, un voile d’évaporation qui courbait son corps d’un gondolement évanescent. Elle cligna des yeux, chassant l’eau qui s’était amoncelée sur ses cils, et le monde redevint détestable bruit.
Aaron n’avait pas la moindre idée de qui était cette Liz. Et cela lui était foutrement égal.
Ah. Cette Liz. L’homme se gratta la barbe, circonspect. Il était vrai que Davy avait grandi à Justice et qu’il prétendait connaitre une information sur une amie d’enfance de sa collègue. Il n’avait eu de cesse que d’essayer de la provoquer sur ce sujet dès lors qu’il avait obtenu par mégarde cet atout contre sa rivale – une missive de sa mère apparemment, qui lui faisait part des derniers racontars des voisins. Aaron était subitement fatigué. Bon. Sa pote était une salope sur qui était peut-être passé tout Liberty, mais heh, il n’y avait pas d’honnête travail en République. Davy était de toute façon prêt à inventer n’importe quoi pour la faire sortir de ses gonds : si cela n’avait pas été ce mensonge, il aurait trouvé à dire que son grand-père lui-même se faisait sauter par Mikael Goldheart.
Il sursauta. Merde, et c’était encore à lui de nettoyer ce bordel ?!
La pluie. Toujours. Elle en percevait les frissonnements contre la paroi souple de son pouvoir, une ambition contraire à la sienne et multipliée en autant de goûtes versatiles. Liberty pleurait et pourtant… Pourtant elle ne ressentait rien. Là, debout face à cette Liz qui n’était plus tout à fait familière ni tout à fait une étrangère. Une créature bicéphale qu’elle ne connaissait plus - qu’elle n’avait jamais connue. Elle plissa les yeux et des ridules incertaines naquirent à l’aune de ses paupières. Peut-être que si sa vision se troublait, Liz redeviendrait celle d’avant… ? Et Rim refusait. Refusait de voir ce qui lui était pourtant jeté au regard, les hurlements silencieux de la criante vérité qui se devinait dans chaque microfibre des vêtements de la jeune femme, dans ses épaules alourdies du poids du labeur et dans ses iris débordant d’une fierté toutes en crocs et en escarres rentrées. Cette inconnue qui portait des tissus élimés par le travail, ces colorations et cet art de l’apprêtement que l’on ne trouvait que dans les quartiers pauvres… Non. Non non non.
La fureur s’arcbouta dans sa poitrine. Arracha ses mots sur les pavés, haletante dans toute cette mascarade en contre-plaqué de son existence. Alors, là où la magie de Liz s’était retirée, celle de Rim faucha brutalement l’espace, engloutissant le quartier dans un dôme d’absolu silence.
Elle avait crié. Sa voix fut absorbée par les rideaux d’eau argentés qui coulaient leurs franges scintillantes le long des masures. Cette drôle absence d’écho demeura une interminable seconde, de légers bancs de brume emmêlant leurs anneaux vaporeux contre leurs chevilles. Et ce fut comme si la simple extirpation de ce cri l’avait réveillée d’une très longue absence.
Un aveu d’échec ? La conclusion de leur relation ratée ?
Qui tu es. Ce que nous sommes. Où nous allons.
Elle regarda cette sœur qui n’en était plus une, cette sœur qu’elle avait lâchement laissé tomber par crainte d’aggraver sa situation. Et plus elle l’observait, plus il lui devenait ardu de confronter sa culpabilité, cette peste noire qui lui ravageait le cœur et acidifiait sa langue. Elle l’avait abandonnée. Elle avait tranché le dernier lien sororal qui les retenait. Et elle ne parvenait pas même à s’en expliquer ou à s’en excuser, anéantie d’abîmes et d’ombres. Elle se mordit la lèvre inférieure et rompit son pouvoir, prise d’un nouvel élan sous la pluie diluvienne qui les recouvrait désormais toutes les deux :
Avait-elle complètement perdu l’esprit ?
Ses prunelles s’appesantirent de désespoir.
Un silence. Presque une supplication.
Le monde avait un goût de terre et de métal. Elle racla sa joue, ôtant le sang qui lui voilait la vue et rendait ses mains poisseuses. Le manche de son coutelas glissa contre ses phalanges, mêlées de pluie et d’hémoglobine, et elle jura lorsque la lame manqua son vis-à-vis pour ricocher contre le mur. L’arme se perdit dans la boue en un appât qu’elle ne saisit pas. Elle recula plutôt d’un mètre et réarma ses poings. Elle passa sa langue pâteuse sur ses lèvres écorchées, crénelées de sel : cela avait formé une croute de cristaux sales et brunis sur sa peau, ramassés contre le bois du quai lors de sa précédente chute. Rim gronda. Son adversaire lui retourna un semblable regard, juste avant qu’elle ne perçoive dans ses tâtonnements des velléités de récupérer sa lame à son actif.
« Sale fils de pute ! »
Elle pivota sur ses hanches. Sa jambe se tendit comme un ressort, heurtant de plein fouet l’épaule de sa cible, manquant de peu le fragile cartilage de son oreille. Pas assez. Et suffisant. Il vacilla, mis à mal sur ses appuis, agrippa son avant-bras dans le but de le lui tordre. Partout alentour des gerbes de boue pesaient sur leurs membres, entravaient leur geste dans la pluie diluvienne qui avait choisi ce jour-là de déverser des trombes d’eau sur Courage. Elle ahana sous l’effort, flanqua toute la puissance de ses phalanges dans sa mâchoire, grognant tous deux tels des pantins désarticulés et aux prises avec quelque invisible démon. Elle essuya un coup dans son estomac, la nausée au bord des lèvres et le souffle coupé - sa dextre parvint pourtant à empoigner sa nuque avec l’énergie que l’on confère au désespoir. Alors, elle vit dans son regard surpris qu’il n’avait pas vu le prochain coup venir.
Car elle remonta brusquement son genou dans son visage avec la rage d’un chien galeux. Cela fit comme un bruit d’os mouillés. Les ligaments explosèrent sous l’impact, ses traits pulvérisés par un fil invisible qui n’en finissait plus de se disloquer. Soudain, tout partait à vau-l’eau. Il voulut hoqueter, un filament de sang éclatant en une dernière bulle à la surface de ce qui était auparavant sa bouche pour dernier borborygme. Il s’effondra et ses doigts gourds entortillés dans les cheveux crasseux de Rim emportèrent avec eux une poignée de mèches trempées faute d’avoir pu s’en défaire. Elle feula, manqua se vautrer dans la fange de la ruelle à cause de ce poids inattendu, une main ramassée contre son ventre malmené d’un immense hématome.
En vie. Elle était en vie.
Sa colère était-elle apaisée ?
Ses yeux glissèrent sur son genou et elle fut surprise d’y retrouver une dent, la chair boursouflée et brunâtre de sa jambe cisaillée sur plusieurs centimètres.
Non. La fureur était viscéralement ancrée dans ses entrailles. Elle cracha comme une panthère acculée. A ses pieds, la forme non identifiable de ce connard de Davy gémit dans l’eau sirupeuse du caniveau.
« Rim. »
Elle ne bougea pas, statue immobile cristallisée de sel. Les contours diaphanes d’Aaron se dessinèrent derrière elle dans la grisaille de la pluie. Elle le devinait prudent et méfiant dans son uniforme, n’osant tout à fait s’approcher pour la calmer, lui qui appartenait à une autre escouade.
« Je dirais que c’est lui qui a commencé. On sait tous qu’il te cherchait depuis des mois. Tu auras un blâme, mais au moins tu pourras rester et faire profil bas… N’implique pas la magie dans cette altercation. Je t’en prie. Vous pouvez encore tous les deux être soignés. »
Elle le regarda. Un regard étrange, déformé. La bruine sifflait en bouillonnant au contact de sa peau anormalement brûlante, un voile d’évaporation qui courbait son corps d’un gondolement évanescent. Elle cligna des yeux, chassant l’eau qui s’était amoncelée sur ses cils, et le monde redevint détestable bruit.
« Il a parlé de Liz, répondit-elle enfin d’une voix blanche, râpeuse. »
Aaron n’avait pas la moindre idée de qui était cette Liz. Et cela lui était foutrement égal.
« Personne ne parle de Liz. »
Ah. Cette Liz. L’homme se gratta la barbe, circonspect. Il était vrai que Davy avait grandi à Justice et qu’il prétendait connaitre une information sur une amie d’enfance de sa collègue. Il n’avait eu de cesse que d’essayer de la provoquer sur ce sujet dès lors qu’il avait obtenu par mégarde cet atout contre sa rivale – une missive de sa mère apparemment, qui lui faisait part des derniers racontars des voisins. Aaron était subitement fatigué. Bon. Sa pote était une salope sur qui était peut-être passé tout Liberty, mais heh, il n’y avait pas d’honnête travail en République. Davy était de toute façon prêt à inventer n’importe quoi pour la faire sortir de ses gonds : si cela n’avait pas été ce mensonge, il aurait trouvé à dire que son grand-père lui-même se faisait sauter par Mikael Goldheart.
« Je me casse. »
Il sursauta. Merde, et c’était encore à lui de nettoyer ce bordel ?!
►◄
An 4 ▬ LibertyLa pluie. Toujours. Elle en percevait les frissonnements contre la paroi souple de son pouvoir, une ambition contraire à la sienne et multipliée en autant de goûtes versatiles. Liberty pleurait et pourtant… Pourtant elle ne ressentait rien. Là, debout face à cette Liz qui n’était plus tout à fait familière ni tout à fait une étrangère. Une créature bicéphale qu’elle ne connaissait plus - qu’elle n’avait jamais connue. Elle plissa les yeux et des ridules incertaines naquirent à l’aune de ses paupières. Peut-être que si sa vision se troublait, Liz redeviendrait celle d’avant… ? Et Rim refusait. Refusait de voir ce qui lui était pourtant jeté au regard, les hurlements silencieux de la criante vérité qui se devinait dans chaque microfibre des vêtements de la jeune femme, dans ses épaules alourdies du poids du labeur et dans ses iris débordant d’une fierté toutes en crocs et en escarres rentrées. Cette inconnue qui portait des tissus élimés par le travail, ces colorations et cet art de l’apprêtement que l’on ne trouvait que dans les quartiers pauvres… Non. Non non non.
La fureur s’arcbouta dans sa poitrine. Arracha ses mots sur les pavés, haletante dans toute cette mascarade en contre-plaqué de son existence. Alors, là où la magie de Liz s’était retirée, celle de Rim faucha brutalement l’espace, engloutissant le quartier dans un dôme d’absolu silence.
« JE N’AI JAMAIS VOULU TOUT ÇA ! »
Elle avait crié. Sa voix fut absorbée par les rideaux d’eau argentés qui coulaient leurs franges scintillantes le long des masures. Cette drôle absence d’écho demeura une interminable seconde, de légers bancs de brume emmêlant leurs anneaux vaporeux contre leurs chevilles. Et ce fut comme si la simple extirpation de ce cri l’avait réveillée d’une très longue absence.
« J’aurais tué pour toi, laissa-t-elle tomber dans l'air lourd entre elles deux. »
Un aveu d’échec ? La conclusion de leur relation ratée ?
« A présent… Je ne sais plus. »
Qui tu es. Ce que nous sommes. Où nous allons.
Elle regarda cette sœur qui n’en était plus une, cette sœur qu’elle avait lâchement laissé tomber par crainte d’aggraver sa situation. Et plus elle l’observait, plus il lui devenait ardu de confronter sa culpabilité, cette peste noire qui lui ravageait le cœur et acidifiait sa langue. Elle l’avait abandonnée. Elle avait tranché le dernier lien sororal qui les retenait. Et elle ne parvenait pas même à s’en expliquer ou à s’en excuser, anéantie d’abîmes et d’ombres. Elle se mordit la lèvre inférieure et rompit son pouvoir, prise d’un nouvel élan sous la pluie diluvienne qui les recouvrait désormais toutes les deux :
« J’ai fini mes études ! s’exclama-t-elle, une fissure dans la voix tandis qu’elle débitait ces absurdités. Je… Je suis ambassadrice à présent ! »
Avait-elle complètement perdu l’esprit ?
« Je suis heureuse, je crois, et j’ai beaucoup pensé à toi. A nous. Je t’ai fait du mal ! J’ai essayé, je te jure que j’ai essayé. »
Ses prunelles s’appesantirent de désespoir.
« J’ai essayé, répéta-t-elle. Liz. Es-tu… Heureuse ? A Justice ? Avec ta famille ? »
Un silence. Presque une supplication.
« S’il-te-plait… Liz… Es-tu… Heureuse... ? »
Invité
Invité
AN 4 – À Liberty
- Tu ne vas pas me faire croire que tu ignores qu'ils sont morts ! souffla-t-elle rageusement. Il semblait que c'était le vent lui-même qui portait les mots jusqu'à la concernée.
- Es-tu venue, le jour de l'enterrement ? Leur as-tu rendu hommage ? As-tu aussi pensé à Irène, présente ce jour-là dans le carrosse ? poursuivit-elle sur un ton sec, avant de s'interrompre car elle manquait d'air.
- Je suis désolée... J'aurais pas dû te parler comme ça. Je ne sais pas ce que je veux pour toi, pour nous, avoua-t-elle à son tour.
- Qu'est-ce que vous faites ? Attendez, il y a erreur !
- Erreur, vraiment ? Se gaussa l'un des deux hommes de paix. On nous a signalé qu'une métisse et une rousse faisaient étalage de leurs pouvoirs en pleine rue.
- Non mais on...
- Pas d'argumentation avec moi. À première vue, aucun dégât matériel et pas de mise en danger d'autrui. Mais vous avez quand même foutu un sacré boxon et on s'est déplacés. Ça va vous coûter cher.
- Combien?
- Au moins 5 po. Chacune. Et maintenant, sinon ce sera doublé.
Que voulait-elle entendre ?
Les excuses et les explications ne combleraient pas le fossé qui les séparait. Les mensonges, quand ils étaient maîtrisés et dosés, étaient efficaces jusqu'à ce que la vérité éclate et fragilise encore plus une relation déjà bien abîmée. Liz était toujours ignorante sur ce qu'elle avait envie de bâtir avec Rim. La blessure était encore à vif, quand bien même l'héritière déchue pensait qu'elle avait cicatrisé depuis de longues années. Pourtant, elle refusait d'admettre que c'était la preuve de son attachement. Son propre corps faisait tout pour la contredire : si elle se fichait de la flamboyante, alors pourquoi, par les divins, sentait-elle ce poids dans sa poitrine et sa gorge se contractait-elle si douloureusement à chaque respiration ?
Autour d'elles, la vie poursuivait son cours. Il pleuvait, alors les passants étaient moins nombreux et ne s'attardaient pas dans les rues non abritées. Lorsque Rim haussa le ton de sa voix, seuls quelques curieux téméraires tournèrent la tête. Des scènes de ce genre étaient monnaies courantes dans une ville comme Liberty. Elles tenaient en haleine pendant quelques dizaines de secondes, voire une ou deux minutes, avant que les plus pressés ne reprennent leur chemin et que les autres finissent par s'éloigner d'eux-mêmes. Cette accroche ne faisait pas exception à la règle, quand bien même la magie se manifestait autour d'elles. Liz frissonna en ressentant la puissance qui émanait de cette figure sororale, bénie par le feu depuis sa plus tendre enfance. Interdite, les yeux rivés sur cette inconnue connue – ou bien connue inconnue –, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait totalement arrêté de respirer.
Elle s'attendait, à son tour, à être blâmée, accusée, montrée du doigt pour ses inactions. Ô comme le destin avait été cruel avec ces deux vies, si fragiles et éphémères, perdues dans l'immensité du Sekai. Un renâclement accueillit les propos de Rim sur son poste d'ambassadrice. « Qu'est-ce que j'en ai à foutre ! » avait-elle envie de hurler. Une infime partie d'elle était fière de cette nouvelle ; aussi ridicule soit cette part sous la carapace, elle existait. Encore une fois, elle était tiraillée. Encore une fois, c'était trop à supporter.
Es-tu heureuse? Elle sentait presque ses forces la quitter. Elle avait besoin de s'asseoir, de s'effacer du monde. Es-tu heureuse? Liz glissa sa main dans sa tignasse, attrapa nerveusement une boucle sur laquelle elle tira jusqu'à la distendre complètement. Lorsqu'elle la relâcha, plusieurs bourrasques de vent se levèrent et encerclèrent les deux jeunes femmes.
Les excuses et les explications ne combleraient pas le fossé qui les séparait. Les mensonges, quand ils étaient maîtrisés et dosés, étaient efficaces jusqu'à ce que la vérité éclate et fragilise encore plus une relation déjà bien abîmée. Liz était toujours ignorante sur ce qu'elle avait envie de bâtir avec Rim. La blessure était encore à vif, quand bien même l'héritière déchue pensait qu'elle avait cicatrisé depuis de longues années. Pourtant, elle refusait d'admettre que c'était la preuve de son attachement. Son propre corps faisait tout pour la contredire : si elle se fichait de la flamboyante, alors pourquoi, par les divins, sentait-elle ce poids dans sa poitrine et sa gorge se contractait-elle si douloureusement à chaque respiration ?
Autour d'elles, la vie poursuivait son cours. Il pleuvait, alors les passants étaient moins nombreux et ne s'attardaient pas dans les rues non abritées. Lorsque Rim haussa le ton de sa voix, seuls quelques curieux téméraires tournèrent la tête. Des scènes de ce genre étaient monnaies courantes dans une ville comme Liberty. Elles tenaient en haleine pendant quelques dizaines de secondes, voire une ou deux minutes, avant que les plus pressés ne reprennent leur chemin et que les autres finissent par s'éloigner d'eux-mêmes. Cette accroche ne faisait pas exception à la règle, quand bien même la magie se manifestait autour d'elles. Liz frissonna en ressentant la puissance qui émanait de cette figure sororale, bénie par le feu depuis sa plus tendre enfance. Interdite, les yeux rivés sur cette inconnue connue – ou bien connue inconnue –, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait totalement arrêté de respirer.
Elle s'attendait, à son tour, à être blâmée, accusée, montrée du doigt pour ses inactions. Ô comme le destin avait été cruel avec ces deux vies, si fragiles et éphémères, perdues dans l'immensité du Sekai. Un renâclement accueillit les propos de Rim sur son poste d'ambassadrice. « Qu'est-ce que j'en ai à foutre ! » avait-elle envie de hurler. Une infime partie d'elle était fière de cette nouvelle ; aussi ridicule soit cette part sous la carapace, elle existait. Encore une fois, elle était tiraillée. Encore une fois, c'était trop à supporter.
Es-tu heureuse? Elle sentait presque ses forces la quitter. Elle avait besoin de s'asseoir, de s'effacer du monde. Es-tu heureuse? Liz glissa sa main dans sa tignasse, attrapa nerveusement une boucle sur laquelle elle tira jusqu'à la distendre complètement. Lorsqu'elle la relâcha, plusieurs bourrasques de vent se levèrent et encerclèrent les deux jeunes femmes.
- Tu ne vas pas me faire croire que tu ignores qu'ils sont morts ! souffla-t-elle rageusement. Il semblait que c'était le vent lui-même qui portait les mots jusqu'à la concernée.
Es-tu heureuse? Elle n'avait jamais été aussi malheureuse. Elle s'était battue, jour et nuit, pour en arriver là quand tout s'était effondré. Liz, passée de grande héritière à simple fille des rues et de joie. Pauvre paysanne à qui aucun privilège ne saurait être accordé. Manante qui ne devait sa survie qu'à elle-même et les quelques bonnes âmes qu'elle avait rencontrées.
- Es-tu venue, le jour de l'enterrement ? Leur as-tu rendu hommage ? As-tu aussi pensé à Irène, présente ce jour-là dans le carrosse ? poursuivit-elle sur un ton sec, avant de s'interrompre car elle manquait d'air.
Les bourrasques s'arrêtèrent, elle les fit tournoyer autour de son propre corps. C'était comme une seconde peau qu'elle manipulait à sa guise. Elle avait conscience qu'elle s'en sortait relativement bien dans cet échange ; elle en était presque à incomber tous ses malheurs à la jeune ambassadrice. Liberty l'avait-elle donc transformée à ce point ? Liz ferma les yeux. Elle avait envie de disparaître.
C'est ce qu'elle fit. Les bourrasques s'arrêtèrent.
C'est ce qu'elle fit. Les bourrasques s'arrêtèrent.
- Je suis désolée... J'aurais pas dû te parler comme ça. Je ne sais pas ce que je veux pour toi, pour nous, avoua-t-elle à son tour.
Elle retira son invisibilité en guise de sa bonne foi. Puis, une paire de mains l'attrapa par le bras et la tira sur le côté. C'était des officiers républicains. Le capharnaüm qu'elles avaient produit dans les rues de la ville n'était probablement pas au goût du quartier, entre volutes de fumée et bourrasques de vent à faire claquer les volets et décoller des tuiles sur les toits, le voisinage avait de quoi être mécontent. Et, plutôt que de régler leurs affaires dans l'intimité, elles s'étaient offertes en spectacle. Ce n'était pas sans lui rappeler nombre de méfaits qu'elles avaient accomplis par le passé.
- Qu'est-ce que vous faites ? Attendez, il y a erreur !
- Erreur, vraiment ? Se gaussa l'un des deux hommes de paix. On nous a signalé qu'une métisse et une rousse faisaient étalage de leurs pouvoirs en pleine rue.
- Non mais on...
- Pas d'argumentation avec moi. À première vue, aucun dégât matériel et pas de mise en danger d'autrui. Mais vous avez quand même foutu un sacré boxon et on s'est déplacés. Ça va vous coûter cher.
- Combien?
- Au moins 5 po. Chacune. Et maintenant, sinon ce sera doublé.
Liz souffla du nez. C'était donc ça la justice de Liberty ? Un peu de vent dans l'air et on se faisait attraper quand de véritables criminels couraient les rues en toute liberté, elle en savait quelque chose ; c'était toujours les honnêtes citoyens qui payaient. Surtout qu'ils devaient avoir d'autres chats à fouetter, avec l'arrivée des réfugiés de Kaizoku en plus de ceux de Shoumei.
Cette situation sentait les problèmes à plein nez. À se demander s'ils étaient bien ce qu'ils prétendaient être. Liz jeta un coup d’œil à Rim. C'était comme si elles se comprenaient sans avoir besoin de parler, pendant une fraction de seconde elle avait bel et bien de nouveau une douzaine d'années. Une évidence s'imposait : quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire.
Cette situation sentait les problèmes à plein nez. À se demander s'ils étaient bien ce qu'ils prétendaient être. Liz jeta un coup d’œil à Rim. C'était comme si elles se comprenaient sans avoir besoin de parler, pendant une fraction de seconde elle avait bel et bien de nouveau une douzaine d'années. Une évidence s'imposait : quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire.
Invité
Invité
Était-elle redevenue cet être craintif qui se recroquevillait derrière les acacias du jardin, n’ayant que ses douze années d’expérience pour lutter contre les aléas de l’existence ? Elle serra les dents. Ravala ses mots, sa folie, l’hystérie qui menaçait de poindre sous le vernis de ses supplications. Elle déraillait. Elle s’en voulait. Pour tout, si une telle rédemption lui était possible, si s’assujettir les vices universels du Sekai suffisait pour effacer leur ardoise commune. Elles s’étreindraient alors, peut-être en versant quelques larmes, en se promettant de tout oublier et de repartir du bon pied… Rim ne croyait cependant plus aux contes de faes, ni même aux miracles salvateurs qui ne relevaient pas d’un sort offensif de feu suprême incanté dans la face d’un ennemi. En l’occurrence, ses propres démons n’étaient pas particulièrement inflammables en cela qu’ils étaient déjà décédés de belle lurette : Miriel, Ciryon. Irène. La mort avait en effet un humour grinçant. Elle abolissait tout, les injustices et les espoirs, les devenir et les attentes. Il n’était plus guère possible pour les vivants que de vivre dans le passé au travers de lointains regrets impossibles à modifier, une vie de deuil à marche forcée. Et si cette nouvelle l’avait tant impactée, qu’en avait-il été de Liz dont le quotidien s’effondrait… ?
« Je l’ai su… Pour leur décès. »
Sa voix n’était qu’un mince filet aux intonations spectrales. Elle n’était pas venue à l’enterrement. Ses études et sa carrière lui paraissaient alors prioritaires sur le malheur d’une famille devenue étrangère à son cercle proche au fil des années. Miriel et Ciryon avaient qui plus est été progressivement cristallisés dans sa mémoire sous la forme d’antagonismes effrayants, personnes autrefois aimées qu’elle avait terriblement déçus lors de cet accident fatidique d’alcoolisme… Etonnant comme ce que nous vivons enfant reste ancré en nous même à l’âge adulte. Rim s’était battue durant l’ensemble de son adolescence pour s’extraire des griffes de sa famille, et voilà que la simple apparition d’une amie d’enfance ravivait son âme de petite fille comme si leurs déboires dataient d’hier. Elle voulut s’ébrouer, voulut expliquer à Liz combien elle avait pensé à eux ce jour-là, agenouillée dans le silence de sa chambre en songeant aux souvenirs désormais révolus et de longue date dépassés… Elle les avait pleurés. S’était accrochée avec l’énergie du désespoir à l’idée que Liz devait s’en être sortie, à tout prix, quoi qu’il advienne. Le reste de sa famille n’était pas des sauvages non… ? Non… ? Qui rejetterait la prunelle des yeux des Nahesa, leur plus belle réussite et progéniture chérie, leur héritière légitime ?
Elle sortit péniblement du marasme de ses pensées d’une part car les excuses de Liz la prenaient par surprise, et d’autre part parce que des voix masculines étaient venues s’ajouter à ce tableau avec la tonalité désagréable d’un évènement malvenu. Ses sourcils se froncèrent en une fine ligne circonspecte tandis que la contrariété la gagnait. Leurs mains avaient bousculé la jolie brune sans égard aucun jusqu’à les contraindre à reculer « par mégarde » sous l’ombre d’un balcon. Si elles demeuraient visibles des badauds qui traversaient la rue, leurs silhouettes étaient indétectables des maisons alentours ou d’un potentiel curieux à plusieurs mètres de distance. La figure de Rim s’était figée dans une expression indéfinissable, ses prunelles d’or glacé arrimées aux serres crochues qui quittaient à peine les vêtements de Liz. Son regard capta le bref coup d’œil de connivence glissé par sa compagne. Avec lenteur, elle passa sa langue sur sa lippe et releva les yeux vers les deux officiers de la GAR. Un sourire à nul autre pareil gagna ses lèvres.
« Naturellement, vous ne faites que votre devoir. Je suis heureuse de voir que nos jeunes officiers dynamiques veillent aussi durablement à la sécurité de nos habitants. »
Le port altier, sa dextre se dirigea avec grâce vers la bourse subtilement cachée dans le tissu luxueux de sa robe. Tout chez elle respirait l’aristocratie, et elle ne se leurrait point sur le fait qu’ils l’avaient également saisi. Tant mieux, c’était précisément là où elle désirait les mener.
« Maintenant, nous pourrions peut-être convenir d’une entente… ? »
Impossible de ne pas négocier sans attirer les soupçons. Ils ne croiraient pas en la version d’une noble assurée de son pouvoir et parfaitement docile dans une telle situation.
« Dites toujours ? s’impliqua le deuxième luron, l’œil aiguisé d’une étincelle cupide. Ils mordaient. »
« J’ignorais que le Capitaine Pancrace Dosian avait autant augmenté ses prix, fit mine de pester Rim, nous avions pourtant un accord sur ce quartier. »
« J’ignorais que le Capitaine Pancrace Dosian avait autant augmenté ses prix, fit mine de pester Rim, nous avions pourtant un accord sur ce quartier. »
Un coup de bluff monumental, dans la mesure où elle ne connaissait rien de ce Pancrace. Hormis qu’il était passé récemment dans les promotions fraiches de République, un nom qui avait accroché son attention au détour d’une conversation mondaine.
« Ola nous on fait qu’exécuter les ordres du Capitaine Dosian, ma petite dame ! Si vous ne voulez pas qu’on vous traine en cellule faudrait voir à payer rapidement ces pièces d’or que vous nous devez… Et l’envie d’augmenter votre amende commence à démanger mon collègue. »
Ah les charognes. Il était temps d’enfoncer le clou et de s’assurer de la véritable nature de cette mascarade. Elle avait pris le risque d’utiliser un Capitaine existant et connu pour les appâter, que diraient-ils à présent d’une personne inventée ? Soutiendraient-ils la supercherie ?
« Je n’aime pas votre ton mon cher Monsieur, je paye mes impôts comme tout bon citoyen de cette République ! S’il est impossible de discuter avec le Capitaine Dosian, se radoucit-elle, nous pourrions au moins négocier cette affaire avec son supérieur, le Commissaire Chauvrai ? »
« Oubliez notre bon vieux Commissaire Chauvrai, c’est avec NOUS que vous négociez, commença-t-il à s’énerver. Vous faites un grabuge intolérable pour le voisinage et vous cherchez à faire appel à notre hiérarchie ? On passe à 8 PO chacune. »
« Liz ? »
« Oubliez notre bon vieux Commissaire Chauvrai, c’est avec NOUS que vous négociez, commença-t-il à s’énerver. Vous faites un grabuge intolérable pour le voisinage et vous cherchez à faire appel à notre hiérarchie ? On passe à 8 PO chacune. »
« Liz ? »
Elle pivota vers sa brune amie, subitement dénuée de tous ses précédentes simagrées. L’attitude tranquille et désinvolte, elle lâcha l’évidence qui s’imposait :
« Ces types-là sentent la charogne. »
Les griffes de sa télékinésie se refermèrent sur les restes de gâteaux méticuleusement récupérés par Liz, et la pâtisserie vola avec une certaine grandiloquence dans le visage du plus proche adversaire. Cela produisit une sorte de « sploutch » spongieux imbibé d’eau de pluie boueuse, la surprise peinte comme un masque sur la face de l’autre faux officier de la GAR.
« COURS ! »
Courir, mais où ? Elle ne connaissait pas extrêmement bien les parages de ces quartiers, plus habituée aux rues classieuses de République lorsque ce n’était pas carrément les bas-fonds de la Capitale… Elle avait en revanche rarement l’occasion de visiter les rues semi résidentielles et anonymes des classes moyennes. Ses prunelles cherchèrent spontanément la silhouette de Liz, cette ultime interrogation vitale transparaissant dans ses gestes.
Oui, par où ?
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum