Elle me remercie encore une fois et je lui souris, content de lui avoir fait plaisir. Elle a bien compris la situation et je hoche la tête pour manifester mon accord avec son raisonnement. Nous mettons ensuite au point un plan pour s’échanger des missives plus facilement et nous passons au sujet de sa fuite au Reike et pas en République.

J’écoute son argumentation sans l’interrompre, puis je réfléchis à son choix. J’ai un peu de mal à comprendre pourquoi elle pense qu’être dans l’Empire fait toujours d’elle une Shoumeienne ? Je vois bien son désir de reprendre ses terres, mais j’ai peur, que si le couple Impérial décide d’abandonner Maël, les fanatiques guider par Seagan prennent la ville et fasse régner la terreur. Mon amie risque d’être la première victime de tout ceci, car elle est une noble, avec de l’influence.

Nous passons ensuite à ma vie amoureuse et mon sourire s’éteint d’un coup, quand elle me parle de Mirari. Je lui réponds donc d’un ton triste :

Malheureusement, elle m’a quitté après que j’aie déplu au couple Impérial et aie reçu une forte amende qui m’a pratiquement ruiné, quelques semaines avant le début de la Guerre. Ma mère, qui se porte très bien, organise des rencontres arrangées avec des jeunes femmes de bonne famille, mais pour le moment, je n’ai pas trouvé la perle rare.

C’est la triste vérité et j’en suis le premier attristé. Mais je ne me laisse pas abattre et je lui demande :

Et pour toi ? As-tu pu trouver lors de tes aventures, une âme-sœur, capable de partager ta joie et tes peines ?

J’espère que c’est le cas, la personne que j’ai en face de moi, en plus d’être très jolie, possède un cœur pur et l’homme, ou la femme, qui saura le découvrir, puis le conquérir, sera l’être le plus heureux de tout le Sekai.

J’avais espéré pouvoir détendre l’atmosphère et nous permettre d’avoir une conversation plus légère que celle qui nous avait fait nous réunir ce matin-là. J’avais picoré dans les mignardises qui étaient sur la table et dont Tagar raffolait, cela faisait du bien au moral tout simplement.

Je vois le visage de mon ami qui se fige et devient empli d’une profonde tristesse. Je perçois ses sentiments et il éprouve de profondes émotions.

- Je suis sincèrement désolée pour cette histoire mais…

Ou comment toujours voir ce qu’il y a de bon dans chaque chose qui nous frappe.

- Si cette jeune femme t’a quitté pour des raisons politiques et financières sans même avoir un regard en arrière alors elle ne te méritait pas et tu n’aurais pas pu être heureux à ses côtés. Vois cela comme une chance de trouver celle qui fera battre ton coeur.

J’aimerais pouvoir faire plus mais je suis une piètre conseillère dans ses domaines du cœur avouons le, avec Tagar nous jouons dans la même catégorie “les gros benêts idéalistes avec un coeur à prendre”.

Il me renvoie la question, c’est légitime et je m’y attendais mais pour ma part cela ne m’attriste pas, mon coeur bat et j’ai le temps de me laisser porter par la passion et l’amour non? Je ne suis pas encore vieille et décrépie, il y a donc de l’espoir!

- Moi? J’ai cru être amoureuse pour tout t’avouer et j’ai même fait une déclaration enflammée à l’élu de mon coeur. Il s’agit de Wan Jing, mon mentor et ancien cardinal diviniste

Rien que d’y penser maintenant cela m’amuse même si sur le coup j’étais blessée, mais ce n’était qu’une question d’ego.

- Il m’a gentiment éconduite vois-tu et m’as prouvé que je n’étais pas amoureuse, que j’avais juste… porté sur ses épaules tous mes espoirs, l’amour en faisait parti mais il m’a rappelé qu’il était là pour me guider, moi, mes descendantes dans le besoin, tant que je porterai son médaillon, nous sommes liés. Mais il a du me trouver trop jeune pour lui l’élémentaire millénaire, je ne vois pas d’autres raisons.

Autant rendre cela drôle non? Cela étant dit, l’aubergiste me fit un signe de main discret, de l’autre côté de la place, les gardes arrivaient pour leur tournée. Il me restait quelques minutes.

Myriem essaye de me remonter le moral comme elle peut, et même s’il faut réussir à voir le verre à moitié plein et non à moitié vide, cela reste difficile pour moi. Heureusement, je reste une personne profondément optimiste et je lui réponds :

Tu as sans doute raison.

Puis elle me parle de sa propre déclaration et d’après ce que je comprends, elle pensait être amoureuse, mais non, enfin si. Cela me parait très compliqué, mais je ne retiens qu’une seule chose dans tout cela :

Sauf ton respect, ce fameux Wan Jing est un sacré idiot. Quand on a la chance d’avoir une femme telle que toi qui est intéressé, on doit la saisir sans perdre une seconde. En plus, tu es une des personnes les plus matures que je connaisse et tu peux me croire, car grâce à mon métier, j’en connais beaucoup.

Je vois le regard de mon interlocutrice se détourner pour regarder derrière moi et me retournant, je vois l’aubergiste faire un signe. Je suppose qu’il s’agit d’un code entre eux et je lui dis :

Je sais que le temps nous est compté, alors si tu as besoin de moi, n’hésite pas à m’envoyer un courrier, il me sera transmis où que je sois. De ton côté, dis-moi si tu as besoin de quoi que ce soit, je connais pas mal de nom dans la pègre que j’essaye de faire tomber depuis des années, signe qu’ils sont efficaces. Je peux t’aider à ce niveau-là, c’est le moins que je peux faire.

Je réfléchis à ce que je peux encore faire pour l’aider, mais je ne trouve pas et je conclus :

Je t’envoie un courrier par la méthode que tu m’as indiqué dès que j’ai pu mettre ton chevalier en sécurité. Tu peux compter sur moi, je m’en occupe dès que je sors d’ici.

Je suis sincère dans mes propos, il faudra que je vide mes comptes, mais si cela peut aider la jeune noble, cela en aura valu la peine, car c’est mon amie.

Je sens bien qu'il n'est pas convaincu mais il ne souhaite pas me contredire, quelle générosité du coeur il possède. Ma main se repose sur la sienne et l'enserre doucement alors que je souris malgré la tristesse et l'inquiétude qui habitent mon regard.

- Raison ou pas, sans espoir n'a aucun sens. Alors espérons que demain soit un meilleur jour tout simplement.

La suite me réchauffe le coeur et me surprend en un sens, il me défend avec ferveur et j'avoue avoir songé comme lui dans un premier temps.

- Il est probablement plus sage que nous ne le serons jamais. Son âge vénérable et sa vie monastique lui ont ouvert des perspectives que nous ne comprendrons jamais faute de temps. Mais je garderai tes paroles en mon coeur quand je douterai de moi, elles sont un véritable baume pour mon ego froissé depuis longtemps.

Je relâchais sa main et me réinstallais, il ne me restait plus de temps pratiquement mais nous allions devoir nous quitter, pour un temps, c'était un au revoir je le savais, nos routes se recroiseraient bientôt cette fois-ci, pour Ruyven et parce que je l'appréciais.

- Tagar, tu vas déjà mettre ta propre fortune en jeu pour t'assurer que Ruyven ne soit pas envoyé aux mines et qu'il parte dans l'arène de Zaïn, c'est déjà plus que je ne mérite. Je t'écrirai pour te donner de mes nouvelles. Je t'en fais la promesse. Je vais d'abord regagner la région des Oasis pour annoncer à Mélyssa ce qu'il vient de se passer et ensuite...

Cela me coûte mais cela va devoir être fait un jour tout de même.

- J'irai en République, je verai avec leurs.. avocats? c'est ainsi qu'ils disent je crois... ce que je peux faire pour rétablir ma situation auprès du Reike et ensuite je pourrai venir à Ikusa. Cela se fera, d'une manière ou d'une autre, nous nous retrouverons là bas, nous fêterons la libération de Ruyven entre amis.

C'était beau dit ainsi mais est-ce que j'y croyais vraiment? Je le voulais. Je réfléchis un instant et cherchais dans ma besace, j'en sortis une petite bourse dans laquelle se trouvait une petite statuette de bois grossièrement taillée, elle représentait un petit cheval.

- Tiens prends ça, tu le donneras à Ruyven, c'est lui qui l'a taillé pour sa fille. Tu lui diras qu'il lui offrira lui même un jour prochain.

Elle tient ma main contre la sienne et je peux sentir sa douce chaleur. Pourtant, je ne peux pas vraiment en profiter, car elle me la lâche trop tôt, bien trop tôt. La noble du Shoumei refuse de m’impliquer davantage, malgré mes sollicitations, elle a vraiment bon cœur. D’ailleurs, elle ne lâche pas l’affaire et m’indique qu’elle va se battre pour récupérer ses biens et je lui dis en souriant :

Je ne sais pas si cela va fonctionner, mais de mon côté, je vérifierai si je ne peux pas trouver une faille pour que tu puisses à la fois retrouver ton bien, ainsi que ton titre.
Je n’étais pas présent aux premières heures du débarquement, mais je sais que c’était l’anarchie et que beaucoup de soldats Reikois ont pu être tentés de profiter du chaos ambiant pour se remplir les poches. Je vais pouvoir examiner tout cela à tête reposé. Je lui dis même :

C’est ce que j’aime chez toi, ton optimisme. Si je deviens le Cœur, je ferai tout pour t’aider, sois-en convaincu.

Après tout, pendant qu’elle gérait le port de Maël, tout se passait bien et je suis convaincu que si l’on souhaite que le Reike reste une fois la guerre terminée, il faudra donner des preuves de bonne foi. Elle me remet ensuite, une sorte de mouton en bois, qu’elle m’explique être un cheval. C’est vraiment très moche et j’espère que le Chevalier ne compte pas changer de métier, car comme artisan, il n’a aucun talent.

Moi quand j’aurais des enfants, je leur offrirai bien mieux que ce machin. J’ai déjà fait deux listes, une pour un garçon et une pour une fille, je suis donc paré à toute éventualité. Je suis sorti de mes réflexions par Myriem qui se lève et je me lève également, la saluant par une brève inclinaison du torse, lui murmurant, pour qu'elle seule puisse entendre :

Rentre bien, mon amie.

Les paroles de mon ami coulent sur moi comme l’eau fraîche d’une rivière, c’est rafraichissant et cela fait un bien fou. Si on est honnête pour l’heure nous n’avons encore rien fait, rien réalisé, mais il y a des potentialités, des possibilités et donc un avenir qui se dessine. Je ne crois pas au destin gravé dans le marbre ou les étoiles, non je pense que chacun de nos actes forge notre avenir, chaque pas que nous faisons nous permet d’infléchir le cours des choses et faire souffler le vent dans notre sens.

- Et je sais que je peux te faire confiance pour m’aider. Fais attention à toi mon ami, j’espère que mon nom dans tes recherches ne sera pas associé à des ennuis. J’ai volé des marchandises à Mael destinées à la guerre pour construire un camp avec mes gens loin de ce conflit. Alors ne prends aucun risque pour moi. Occupe toi de sauver Ruyven des mines et cela sera déjà une grande victoire pour moi.

Je suis fondamentalement optimiste même si ces derniers jours, il est un peu en berne mais ce n’est que passager, après la pluie vient toujours le beau temps, c’est ainsi que va le monde et qu’il continuera d’aller. Et si les gens ouvraient les yeux ils verraient que la présence des Titans n’a rien changé au cours des choses, ils ont changé certaines villes, détruits des hérétiques athés, et des innocents, et cela je le regrette mais les saisons existent toujours, ma magie coule toujours dans nos veines, la vie suit son cycle et la mort avec.

Je me lève finalement moi aussi en souriant, oui je suis optimiste et quand c’est dur, je me force à l’être pour les autres.

- Il faut de l’optimisme en ce monde pour voir la beauté d’un lever de soleil ou celle d’une fleur qui éclos. Et aie confiance en toi, si tu es honnête et que tu poursuis ton travail avec ton sérieux coutumier tu obtiendras surement la distinction que tu souhaites, celle de devenir un jour le Coeur.

Son au revoir me semble trop froid cependant, alors je m’approche de lui et le serra brièvement dans mes bras en répondant à ses mots.

- A bientôt mon ami.

Cela étant dit je m’éclipse, ne sortant pas par la porte principale, je rejoins les cuisines de la taverne après avoir remercier le tenancier. Et une fois dans les cuisines, je passe par la cour de derrière, et je me faufile aussi discrètement que possible dans les ruelles pour rejoindre le bordel ou j’ai trouvé refuge. Les prostituées sont ravies d’héberger une mage guérisseuse et m’ont offert une chambre sordide certes mais à l’écart des leurs, je suis dans les combles, dans la poussière mais personne n’ira chercher une noble de Shoumei en exil en cet endroit.

Ruyven a un espoir de ne pas finir dans les mines qui repose sur Tagar et Zaïn, j’espère qu’ils pourront réaliser ce que propose Tagar mais je ne le saurais que plus tard.