Les eaux troubles [CLOS]

Il la regarda sans émotion. Mais intérieurement, il était assez déprimé par sa réaction. Ou plutot abasourdit par sa propre naiveté. Il avait cru pouvoir changé, soudainement. Mais c'etait une chimere, bien sur. Voila, exactement pourquoi il aurait du ne pas parler. Mais pas que cette fois. Pas du tout, en fait. Finalement, il avait vu juste. Il n’était qu'un idiot. Et si il avait totalement pensé ce qu'il avait dit, il aurait du le garder pour lui même, comme tout le reste. Il n'avait eu aucun tact, et choisi le pire moment. Mais d'un autre coté, si elle était morte avant de la soigner, il aurait aussi probablement regretter de ne rien avoir dit. Il n’était pas un sage. Ou un philosophe. Ou un penseur. Il n’était qu'un abruti.

- ...D'accord.

Il la regarda a moitié courbé en deux s'appuyer difficilement contre le mur. Il avait été si sur, pourtant, de voir, ou plutôt de sentir, cette sorte d'attrait qu'elle semblait avoir eu, lors de sa séance de « fouille ». Il avait vraiment cru qu'elle avait aimé ça. En fait, elle semblait le rejeter tellement fortement qu'il se demanda si il n'avait pas frappé trop juste.

- Ça ne change rien au fait que....

Il s’arrêta. Il venait de voir le résultat, quand il parlait. Et puis dans le fond, il ne la connaissait pas du tout. Les gens ne se parlaient pas ainsi, avec si peu de connaissance sur l'autre, non ? Peut être qu'il devrait le noter, pour la prochaine fois, dans deux ou trois cents ans, ou il ferait une rencontre comme elle, ou il aurait une chance de parler un peu. Noter de juste fermer sa gueule. Hocher la tête suffirait.

- Pardon.

Difficile de savoir si il le pensait ou non. Difficile de savoir tout court ce qu'il avait en tête, maintenant. Il semblait s’être renfermé comme un!:me huître. Il était redevenu aussi muralement neutre qu'au début, derrière le feu de camp. Il sembla si vieux, tout à coup. Et fatigué. Fatigué contre lui même.

- Je vais m'occuper de trouver l'antidote.

Il poussa la porte qui n’était pas fermé, comme prévu, et suivi les indications que la Sirene lui avait donné. Mais il suivait mécaniquement, les pensées répétant ce qu'elle avait dit. Parlant de la magie comme d'une créature fragile. La magie était une énergie pour lui. Un outil. Il ne voyait pas du tout le mal à s'en servir de la façon dont on le voulait. Il ne le lui avait même pas vraiment reproché. Ni quoi que ce soit. C'etait juste un constat. La prochaine fois, il ne dirait rien.

Ahah, il était idiot. Après ça.

Il n'y aurait pas de prochaine fois, tout simplement.

Il trouva le flacon exactement à l'endroit indiqué. Une armoire a double fond, pas difficile à débusquer. Probablement parce que personne ne venait la ou presque. Il trouva le flaçon, ainsi qu'un sac en toile. Il l'ouvrit et jeta un coup d'oeil distrait. D'autres fioles, le poison, sans doute. Et des documents. Il le referma et l'embarqua avec le reste. Puis ce qui lui parut une seconde plus tard, il fut dans la rue.

- Prenez la vite.

Il hésita a simplement tout lui donner, la simple idée d'un contact le révulsant soudainement, puis remarqua qu'elle etait trop faible et tremblante pour le faire correctement sans risquer de faire tomber la fiole et de briser ses chances de survie. Aussi, il se mit à sa hauteur, et laissa doucement le liquide couler dans sa bouche. Une fois fait, il laissa tomber le flacon dans le sac en toile. Avec un peu de chance, l'archimage pourrait utiliser le poison et son antidote pour travailler a la mise en place d'antidote pour ce poison précis ainsi que pour d'autres, par corrélation.

- Vous devriez aller mieux bientôt...madame.

Il détourna le regard, et recula un peu.

Le liquide coula entre ses lèvres et elle reposa la tête contre le mur derrière elle.

- Merci... " souffla-t-elle malgré la colère qu'elle ressentait.

Pendant qu'il s'aventurait à l'intérieur, après s'être placidement excusé, comme si de rien était, elle avait eu le temps de redescendre un peu. Ses mots de têtes ne l'aidaient pas à penser clairement, mais elle ne comprenait pas comment il pouvait sortir des choses si sombres et continuer à l'aider... Il n’oublierait pas, disait-il. Qu'il lui avait promis son aide, sans doute. Sa loyauté était effrayante en un sens, si même après ce qu'il avait cru discerner, il était près à continuer dans cette voie...

Un sourire mauvais avait affleuré sur les lèvres de la jeune femme pendant quelques secondes. Il n'oublierait pas, disait-il... Mais il oublierait comme tous les autres. Dans la chaleur lourde de cette nuit poissarde, elle se passa une main sur le front, y découvrant un filet de sueur froide. Puis il était réapparu.

Soit elle pensait très lentement, soit il avait fait particulièrement vite. Il l'avait aidé avec ses doigts raides. Et - pour les quelques prochaines semaines du moins - elle était sauvée.

Plus que l'effet de l'antidote, qui n'avait pas encore eu le temps de se répandre dans ses veines, le simple fait de savoir que cette course prenait fin lui faisait un bien fou. Dans l'ombre de la petite rue, elle le regarda se détourner... Comme quelques jours plus tôt dans la forêt. Distant.

Tant pis. Pour l'heure elle n'avait pas la force ni l'envie de pousser quelqu'un qui ne supportait pas ce qu'il imposait aux autres. La sociabilité n'était pas son point fort mais il se reprendrait... ou pas. ça dépendait de lui. Elle lui tendit plutôt une main dans l'espoir qu'il l'aide à se remettre sur pieds.

- Hors de question de dormir dans un endroit prévisible cette nuit... " souffla-t-elle une fois à peu près debout, une main appuyée contre le mur. " Je vais prendre une chambre dans un auberge. N'importe laquelle du moment qu'on y attrape pas de puces.

Elle ne tenait toujours pas bien sur ses jambes et le monde tanguait de droite et de gauche. Il faudrait surement une bonne nuit pour se remettre de tout ça. Mais la pause lui avait fait du bien et elle pouvait marcher à peu près seule.

- Si tu veux, je te paye une chambre. C'est le moins que je puisse faire.

Il ne croyait pas qu'elle allait se remettre d'un coup, mais elle sembla déjà bien moins pale. Comme si la vie qui avait lentement commencé à quitter son corps, revenait doucement. Comme si son corps, un village, avait vu ses habitants commencer à suivre a cause de l'arrivée d'un envahisseur, et que finalement, les renforts étaient enfin la. Il soupira, un poil, trop fort sans doute. Elle était sauve.

Il lui prit la main avec force pour l'aider a se relever, et hocha simplement la tête. Elle avait raison, il était obligatoire de trouver un endroit en sécurité pour récupérer. Ils auraient pu retourner chez l'archimage, mais ça faisait sacrément tard pour ce soir. Aussi, la meilleur solution était de retourner dans les quartier un peu plus correct, pour ne pas tomber dans un endroit sordide.

- Je voulais juste vous dire que....

Il s’arrêta finalement. Et lui proposa simplement son bras. Pour qu'elle s'appuie légérement. Elle irait mieux avec un bon repas, a boire a profusion et du sommeil. Lui, de son coté, avait simplement besoin de s'isoler un peu, pour reprendre son calme et réfléchir. La journée, puis la nuit, avait été longue. Mais dans un sens, il avait la sensation d'avoir vu Rowena plus intimement. D'une façon grâce a laquelle il l'a comprenait un peu mieux.

- Non. Rien. Oubliez.

Oui, ca valait mieux comme ça. Il n'avait pas envie de la voir s'énerver à nouveau. Il n'aurait qu'a partir le lendemain matin. Histoire de ne pas rompre la magie de cette rencontre. Si il le pouvait, il voulait garder uniquement le positif, dans un coin de sa tête. Une belle histoire a se raconter durant les mauvais soir. De comment il avait rencontrer une véritable œuvre d'art, unique, et qu'il avait partagé un moment avec elle.

Après quelques minutes de lenteur, ils furent dans la grande rue principale, plus éclairé a cette heure. Il s'écarta un peu d'elle, jetant un œil de temps en temps au cas ou elle soit prise d'une quelconque faiblesse. Mais ça sembla aller. Il ne fit pas de commentaire supplémentaire, ayant apprit sa leçon, désormais.

Ils s’arrêtèrent devant la première auberge. « Le Tonneau renversé », un endroit assez atypique de la ville, qui semblait spécialisé dans de la bière naine artisanale bouchonné pendant plusieurs années pour chaque fut. Pas que ce détail avait une quelconque signification pour l'elfe. Ils pénétrèrent à l'intérieur, et il laissa à Rowena le soin de parler au tenancier fatigué de poste pour accueillir les voyageurs. L'intérieur était à peine éclairé, et ne restait qu'une ou deux personnes a moitié assommé par l'alcool. Puis quand elle revint vers lui, il inclina la tête.

- Je suis content que vous soyez bientôt rétablis. Dormez bien, ma dame. Je suis désolé.

Il ne lui laissa pas le temps de déterminer si c’était des excuses pour ce qu'il avait dit plus tot, ou pour autre chose. Déja il repartait vers la sortie, sans un mot. Il ne comptait pas dormir tout de suite. Marcher un peu, aller chercher Zim. Peut etre récupérer ses affaires et sa monture pour les rapprocher. Peu importe, il serait la au petit matin. Et ça, elle le savait.

Dans sa démarche lente, il alla jusqu'à la porte, et la poussa doucement. Il se stoppa, l'observa, comme si c’était la toute dernière fois qu'il espérait poser les yeux sur elle. Une seconde. Dix secondes. Une minute. Il eu un très leger sourire, heureux. Sans savoir vraiment sa signification lui meme.

Un instant plus tard, il n’était plus la, avalé par la nuit.

Demain, ils pourraient recommencer.