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  • Mar 26 Mar - 9:18
    Le 15 novembre de l'an 4,

    Sous un soleil éclatant, Vandaos observait la masse grouillante d’ouvriers qui s’affairait sur le “Parangon de Justice” depuis le quai. Difficile de dire qui faisait quoi mais rien qu’à voir les petits regroupements d’ouvriers où trois manœuvres regardaient le quatrième travailler, l’officier de la Marine républicaine comprit rapidement pourquoi le chantier avait pris du retard. Cela faisait déjà un mois que le vaisseau aurait dû être livré et au lieu de ça, son navire amiral trônait à quai : une immense coque vide, sans mât ni artillerie. C’est vrai qu’au niveau du recrutement, ce n’était pas mieux et le retard pris à ce niveau allait finalement de pair avec celui du chantier naval.

    Le Contre-Amiral Fallenswords accueillit le maitre-œuvre responsable de la construction avec un regard noir et une ambiance glaciale s’installa rapidement malgré les politesses -exagérées - du chef de chantier.

    Amiral ! Que me vaut le plaisir de votre visite ? Vous avez fait bon voyage jusqu’à Courage ?

    Vous avez déjà un mois de retard et je constate que vous êtes loin d’avoir terminé. Ne serait-il pas temps de mettre vos hommes au travail ?

    La rapière fut rapidement dégainée provoquant la stupéfaction de son interlocuteur et désigna tour à tour plusieurs groupes de travailleurs à l’arrêt. Pointer tous ces groupes prit d’ailleurs pas mal de temps et au fur et à mesure, le maître-œuvre se décomposait complètement.

    Dois-je donc tout faire moi-même ? Ou dois-je vous envoyer mon Lieutenant pour faire travailler vos hommes efficacement ?

    Le responsable du chantier savait très bien de qui parlait Vandaos et déglutit.

    Amiral, nous avons eu certains contre-temps, des accidents...

    Des excuses... Je veux des résultats ! Dans combien de temps puis-je prendre la mer avec mon navire ?

    L’homme hésita un peu.

    5 mois, Amiral.

    L’officier de la Marine Républicaine planta alors son regard noir dans celui du maitre d’œuvre.

    3 mois, pas un de plus.

    Mais, mais... Il faudra travailler nuits et jours Amiral !

    Et bien en voilà une bonne idée ! Je vous donne 3 mois sinon j’annule la commande : n’oubliez pas que selon les termes de notre contrat, je peux déjà vous demander des pénalités et je ne manquerais pas de le faire. Alors bougez-vous si vous ne voulez pas rester avec ce navire sur les bras !

    Après avoir rengainé sa rapière, le Contre-Amiral tourna les talons, irrité de constater que la décadence républicaine venait jusqu’à contaminer ses propres projets. Puis il s'éloigna avec un petit groupe d'officiers subalternes à sa suite. Le responsable du chantier resta quelques minutes en plan, médusé par ce qui venait de se passer, accusant le coup difficilement : il allait falloir se mettre au travail.

    ***

    Retourné à l’hôtel particulier des Fallenswords dans le quartier huppé de la ville, Vandaos s’était plongé dans l’étude d’un vieux grimoire rédigé par un antique mage noir pour calmer sa colère de l’après-midi. Les Pratiques Interdites le fascinaient et c’était pour lui un moyen comme un autre de se détendre. Son bureau était situé au premier étage de la bâtisse, la porte-fenêtre qui donnait sur la petite terrasse était ouverte et le noble républicain jetait régulièrement un regard dans cette direction dans l’espoir de voir atterrir son oiseau élémentaire. Perdu dans ses pensées, Vandaos fut tiré de sa rêverie par le majordome.

    Maître, quelqu’un vous demande à la porte.

    Son regard se porta alors vers la fenêtre et non vers son serviteur. Visiblement le Contre-Amiral ne semblait pas vraiment enclin à répondre favorablement.

    Maître, je me permets d’insister car la jeune femme qui vous demande nous a parlé de votre pendentif. Elle aurait besoin de parler à “quelqu’un” qui se trouve à l’intérieur de celui-ci.

    Au mot “pendentif”, le majordome capta toute l’attention de l'officier qui se retourna vers lui.

    Intéressant... Faîtes-là entrer, je vais la recevoir dans mon bureau.

    Dois-je prévoir un couvert de plus pour ce soir ?

    Peut-être... Cela dépendra de ce qu’elle a à me dire.

    Le quadragénaire referma son grimoire et esquissa un petit sourire tout en caressant machinalement le rubis de son pendentif. Finalement, la distraction de cette soirée ne viendrait pas de la terrasse mais de la porte d’entrée.
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  • Mer 27 Mar - 22:21
    Le lieu correspondait à la description qu'on lui avait faite. Siame, sans ses ailes, n'était qu'une humaine de plus à l’œil non avisé. Pour peu qu'elle ne clamait pas haut et fort sa loyauté aux Titans, se déplacer incognito relevait d'un jeu d'enfant. Le territoire républicain était plus souple quant à la religion de ses habitants, accueillant même sur son sol des réfugiés divinistes. Mais à choisir, l'Ange préférait tout bonnement taire le sujet.

    Dans le respect des mœurs sociales, elle avait dû se présenter poliment à la porte de l'hôtel particulier. Frapper à la porte, comme le faisaient les mortels civilisés. Elle avait sourit aimablement au majordome qui s'était précipité pour lui ouvrir. Puis, Siame avait expliqué la raison de sa venue, sa volonté de rencontrer un certain "Vandaos Fallenswords" dont le nom était sur toutes les bouches – du moins, celles qu'elle avait questionnées - depuis certains événements. Quand il avait secoué la tête, lui expliquant que "Maître Fallenswords" était un homme très occupé, elle avait fait les yeux doux. L'Ange l'avait supplié : "j'ai vraiment besoin de le rencontrer". Ses airs contrefait de demoiselle en détresse avaient finalement eu raison du cœur du pauvre homme. Consentant à la laisser rentrer, il l'avait fait patienter dans l'immense hall d'entrée, richement décoré.

    — Veuillez patienter un instant, je vous prie, je vais prévenir Maître Fallenswords.

    Siame avait joint ses deux mains devant sa taille et s'était contenté d'opiner calmement. Elle lissa le tissu un peu rêche, mais propre de la robe qu'on lui avait prêté. La veille, tandis qu'elle discutait avec la directrice de la maison d'accueil où elle avait séjourné ce soir-là, de sa volonté de rencontrer le fils Fallenswords, la bonne femme l'avait regardé de la tête aux pieds. Son visage s'était tordu dans une grimace en constatant l'ourlet crotté de sa jupe et la saleté sur ses bras, sur son visage.

    — Tu ne vas quand même pas y aller comme ça, ma pauvre enfant !

    L'Ange avait haussé les sourcils. Cela faisait une éternité entière qu'on ne l'avait pas appelé ainsi. La seule à le faire avait été sa maîtresse titanide, quand elle lui parlait encore depuis les Cieux.

    — Il y a une salle de bain au bout du couloir, attenante à ta chambre. Je vais t'apporter une tenue convenable, tu ressembles à une détenue en cavale.

    À vrai dire, c'était plus ou moins ce qu'elle était. Visiblement, la vieille femme ne faisait aucunement confiance à son invitée, puisqu'elle avait déboulé en furie dans la salle d'eau quelques minutes plus tard, du linge propre entre les bras. Elle était venue lui frotter le dos, les ongles, avait brossé ses cheveux avec la rudesse d'une femme qui n'a "pas le temps de perdre son temps". Rouspétant joyeusement tout du long, comme si, derrière son acariâtre caractère se trouvait une forme de tendresse. C'était une curieuse expérience à s'infliger, mais Siame avait accepté sans broncher de se laisser faire. Elle admettait volontiers qu'elle avait connu pire supplice que celui-ci...

    La robe prêtée était l'un de ces vêtements respectables, sans poche puisque les dames respectables ne remplissaient pas les poches de leur jupon, mais accompagnaient leur tenue de petits sacs à main parfaitement assorti. La mode lui échappait. De toute manière, elle ne possédait rien qu'elle aurait pu mettre dans un sac à main. Elle n'avait pas su comment s'imaginer les quartiers d'un Amiral médaillé, avait imaginé un château de bonne taille, gardé par des colosses en armure. Les appartements de Vandaos s'étaient révélés être une demeure moderne au luxe aseptisé, pourvu de grandes baies vitrées qui donnaient autant sur l'intérieur que l'extérieur. Pas de gardes à la volonté aussi saillantes que leurs muscles, mais un gentil majordome qui s'écrit "oh !", comme pour s'excuser de son existence, lorsqu'on frappe à la porte.

    Siame s'était fendu d'un sourire civilisé quand il était venu la chercher dans le hall d'entrée.

    — Maître Fallenswords est prêt à vous recevoir. Veuillez me suivre, s'il vous plaît, mademoiselle ?...

    Siame. Et comme il sembla attendre la suite, elle ajouta : De Sancta.

    Il avait froncé les sourcils, incapable de réagir autrement que par une vague perplexité : s'étonnant de la singularité de cette jeune femme qui ne semblait définitivement pas à sa place. L'Ange ne s'en formalisa pas. L'épreuve des courbettes était loin d'avoir le pouvoir de l'intimider. Sa maîtresse avait pris la peine de la doter d'une grâce angélique, qui suffisait à compenser pour son manque de manière. Le majordome ne s'y trompa pas non plus, prenant grand soin de la guider à travers les couloirs de l'hôtel particulier pour qu'elle ne se perde pas. Il s'éclaircit la voix, tenta de faire la conversation à la charmante demoiselle pour la mettre à l'aise.

    — Vous venez donc de Shoumei ? J'ai déjà visité Sancta avec ma famille. Enfin, avant la guerre, je veux dire... Vous avez encore de la famille ? Il se tut, penaud, contemplant avec honte son indiscrétion.

    Siame, son sourire courtois toujours scotché aux lèvres, se contenta de confirmer les inquiétudes du majordome par un silence entendu. Le reste du "voyage" se fit dans un silence incommodant pour l'homme, qui se vantait de savoir les combler de sa conversation, mais appréciable pour Siame, qui préférait ne rien révéler. Il ralentit finalement devant une porte en bois massif.

    — Nous y sommes.

    Il frappa à la porte de deux petits coups familiers, et la poussa.

    — Maître Fallenswords, Siame... de Sancta, annonça-t-il en l'invitant à rentrer d'un geste de la main, parfaitement travaillé.

    Il referma la porte sur son départ, et la jeune femme s'avança. L'homme s'était retourné à son arrivée, estimant visiblement que sa présence représentait un spectacle plus intéressant que le silence de l'horizon qu'il contemplait. Siame ne le savait pas encore, mais elle représentait la distraction de la soirée d'un homme visiblement bien occupé.

    Enchantée de faire votre connaissance, Monsieur Fallenswords. J'ai beaucoup entendu parler de... Elle laissa ses yeux glisser sur le rubis qui pendait à son cou. De vous.

    Outre l'intérêt immense qu'elle portait à son rubis, il ne faisait aucun doute que l'Amiral était l'un de ses hommes aux multiples aventures à raconter et pas seulement celles du pieu. Un scribe avait probablement déjà commencé à rédiger ses mémoires sous ses directives. Elle l'a regardé en silence, décrochant son regard du fameux rubis. Il dégageait quelque chose de beaucoup moins nauséabond, un peu moins marionnette qu'elle l'eut cru. Il dégageait une force tranquille. Il fallait croire que l'uniforme possédait un effet tout à fait formidable sur le commun des mortels. Elle aperçu les piles de papiers sur le bureaux, supposa la solitude découlant de telles responsabilités. Quand on avait tant de papiers à s'occuper, on n'avait "pas le temps de perdre son temps".

    Je vous remercie de prendre le temps de me recevoir.

    L'Ange se sentait un peu potiche. Ses yeux se posèrent sur le grimoire refermé sur la pile de documents et elle reconnut certains symboles anciens, éveillant alors sa curiosité : au sujet de ses pratiques, son rubis, mais à son sujet, à lui.

    Vous lisez le bas parlé ?


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  • Sam 30 Mar - 14:10
    Enchanté Siame de Sancta, Amiral Vandaos Fallenswords.

    L'officier s'était levé de son fauteuil pour accueillir la jeune femme qui a chaque information qu'il obtenait sur elle, attisait sa curiosité. Du fait de son nom, le Contre-Amiral apprit que Siame venait des terres désolées du Shoumei : il supposa donc qu’il avait en face de lui une réfugiée, victime parmi de nombreux autres de la fureur des Titans. Vandaos et le consortium Fallenswords pour qui il travaillait par le passé évitait ce secteur pour des raisons évidentes de sécurité mais lui en gardait un beau souvenir. En fait sa première expédition sous le commandement de sa sœur avait pour objet l'exploration d'un tombeau dans la région de Bénédictus avec la collaboration des autorités en place… C'était le bon temps. Désormais sa sœur vivait comme un légume au sein du mas familial et lui avait hérité de toutes les obligations familiales… Enfin pas encore toutes, dieu merci son père était encore là pour le préserver des attentes de Sigfried son lointain cousin et chef de la famille Fallenswords.  

    Lorsque la jeune femme se présenta à lui, il se mordit la lèvre pour ne pas la reprendre afin qu’elle l'appelle par son titre. Vandaos était déjà las de reprendre ses hommes, il avait d'ailleurs abandonné avec le Majordome qu’il le connaissait depuis tout petit, comment lui en vouloir ? Et après tout il recevait la jeune femme à titre personnel, aux diables les titres ! Puis quand celle-ci lui indiqua qu’elle avait entendu parler de lui, il releva un sourcil, intrigué.  

    En bien j'espère , répondit-il avec un sourire amusé.

    Lorsqu’elle le remercia pour avoir accepté de la recevoir, Vandaos indiqua l'un des fauteuils en face de lui pour que la jeune femme s’installe confortablement. Lui aussi, reprit place dans son siège et fut encore intrigué lorsque Siame reconnu la langue inscrite sur le grimoire qu’il étudiait juste avant qu’elle n'arrive.

    Effectivement, vous êtes une connaisseuse. Alors dites-moi, Siame "de Sancta", j'aimerais que vous me racontiez votre histoire et ce qui vous amène devant moi. Après tout, il serait naturel que nous soyons à égalité sur ces points vous ne pensez pas ?

    Il ne savait que penser sur sa connaissance du bas parlé. Avait-elle étudié à Magic les Pratiques Interdites, tout comme lui ? Car si c'était un ange qui se trouvait en face de lui, ou étaient donc passés ses ailes ? Sans laisser le temps à la jeune femme de répliquer, l'Amiral tira sur une petite corde, richement décorée, qui se situait derrière son bureau.

    Je vais nous faire servir un petit verre, un bourbon pour ma part. J'espère que vous n'allez pas me laisser boire tout seul ? Demandez ce qui vous fait envie, vous êtes mon invité.

    Siame aurait une ou deux petites minutes devant elle avant que le Majordome ne l’interrompe et prenne la commande des deux personnes occupant le bureau. Il reviendrait cinq minutes plus tard, avec les boissons, un petit ramequin d'olives cassées et un autre contenant des petits sablés salés à la fleur de sel.
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  • Mar 2 Avr - 0:29
    Quand il s'assura de savoir si ce qu'elle avait entendu de lui le dépeignait de belle façon, Siame eut un long sourire, énigmatique. Comment lui dire que ce n'était pas le "bien" qui l'intéressait chez lui, bien au contraire. Elle avait perçu la tension qu'avait provoquée un titre mal donné, avait appréciée la manière dont il s'était mordu la lèvre pour ne pas la reprendre. Cela lui révélait trois choses à son égard. Premièrement, il était suffisamment confiant pour ne pas éprouver la nécessité de s'auréoler de titres prestigieux. Deuxièmement, il acceptait de la recevoir dans un cadre plus personnel. Et troisièmement, la discipline dont il faisait preuve en disait long sur son passé et sur son caractère. Il y avait chez lui une aisance toute nonchalante et pourtant parfaitement maîtrisée : celle d'un homme accompli. Ou presque. Pouvions-nous réellement l'être un jour ? Même les millénaires qu'elle avait traversés n'avaient pas suffi à lui accorder la réponse.

    Elle s'était assise sagement lorsqu'il l'y avait invité, revêtant alors le rôle qui lui était donné : Siame de Sancta. Sage, mesurée. Elle l'écoutait parler, opinait gentiment du menton, approuvait d'un "oui monsieur". Avec ses airs de femme inoffensive, ses cheveux blanc, coiffés, sa peau propre qui sent bon et sa robe de pucelle : elle était l'Innocence même enfin manifestée. Le rôle la démange – elle qui était plutôt du genre à mettre les pieds dans le plat – mais pour l'heure, elle accepte de se conformer, de le laisser la guider.

    Je prendrais la même chose que vous.

    Elle l'avait remercié d'un sourire, s'amusant de l'élégance révélée partout où elle posait les yeux : de la tapisserie du lieu, des manières de son interlocuteur, jusqu'aux petits sablés que le majordome leur apporta. Même le fauteuil sur lequel elle était désormais installée : elle s'y tenait avec la raideur d'une femme qui ne s'était jamais autorisé le moindre confort. Siame n'était noble que dans ses desseins ; elle n'avait jamais joui d'un tel luxe.

    Une connaisseuse ? De toute évidence, vous l'êtes davantage. Je ne crois pas que les manuels de navigation soient rédigés en bas parlé, vous avez donc dû apprendre ailleurs.

    Il parce qu'il s'agissait désormais de lui complaire et de satisfaire sa curiosité, elle poursuit :

    Avant que la seconde guerre n'éclate, j'officiais comme scribe au service d'un temple. Mon travail consistait à préserver l'histoire du Monde, ses traditions, à travers des parchemins anciens et sacrés. Il faut croire que le bas parlé à captivé mon intérêt plus que n'importe quelle autre langue. C'est une porte ouverte sur des secrets fascinants.

    Mensonges, mensonges... Et pourtant, si Siame n'avait pas été Ange au service de sa titanide, c'est la vie qu'elle aurait probablement choisi. Aussi accueillant qu'il était, elle ne pouvait tout de même pas tout lui révéler à la première rencontre. Il fallait croire que malgré ses prédispositions à entrer dans le vif du sujet, elle n'en restait pas moins prudente. Elle tenait à sa vie, mais davantage encore à sa liberté et les agents des Titans n'étaient pas vraiment acclamés en ces jours sombres. Elle lorgna sur les deux verres de bourbons qui avaient été posés devant eux : le majordome était entré et sorti avec la discrétion d'une souris, sans même qu'elle ne le remarque.

    Je n'ai plus bu depuis une éternité. Elle considère son verre avec une expression voilée de souvenirs, décocha un sourire amusé : S'il vous plaît, ne tenais pas rigueur de mes rudesses, si je sais plus tenir ma langue après ça, et que j'en oublie quelques bienséances, Amiral.

    L'Ange se saisit de son verre après qu'il l'eut fait.

    Il parait que les hommes puissants – ou les pirates, au choix, mais ça, elle s’abstient de lui faire remarquer – utilisent l'alcool pour faire délier les langues de leurs futurs associés et s'assurer de leur honnêteté...

    Siame laisse la fin sa phrase mourir dans le silence.


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  • Jeu 4 Avr - 11:02
    Tout en menant l'entretien, l'Amiral observait les attitudes de la jeune femme qui avait tout d'une petite imposture. Pas trop à l'aise dans son fauteuil, la jeune femme essayait de se donner un air de jeune femme respectable or en quelques minutes elle avait déjà enchaîné quelques petites boulettes. C'est vrai que les Fallensword n'étaient pas réputés pour recevoir tous les miséreux de Courage et que c'était sûrement grâce à ce subterfuge qu’elle avait réussi à accéder jusqu’à lui, le personnel de la maisonnée veillant au grain de ce côté-là. Pourtant Vandaos n’avait cure de la bienséance lorsqu’il s'agissait de ses sujets de prédilections, d’ailleurs il aurait refusé tout rendez-vous ce soir-là… Mais Siame avait parlé de son rubis et ça, ça changeait tout pour le nécromancien. Il ignora royalement la perche que lui donnait son interlocutrice qui certainement voulait savoir où il avait appris le bas parlé : s’écouter parler ne l’interaissait pas, le quadragénaire voulait en savoir plus sur la jeune femme et n'avait pas de temps à perdre avec son propre blabla. Éventuellement serait-il plus enclin à parler de lui lorsqu’il en saurait plus sur son invitée.

    Pourtant à mesure qu’il recueillait de maigres informations sur la jeune femme, l'Amiral était frustré.  Il ne voyait pas le lien entre cette histoire de scribouillard au shoumei et son rubis découvert dans un tombeau proche des ruines de l'ancien empire… Les textes sacrés des divinistes n’évoquaient jamais les artefacts des mages noirs, c'était plus le plus le dada du culte des ombres. Mais peut-être était-elle tombée sur un texte historique mentionnant son plus précieux des bijoux ? En quoi ça justifiait un tel voyage, c'était un peu tiré par les cheveux. Et puis Vandaos était célèbre mais pas au point d'être mentionné dans les textes anciens du shoumei.

    L'impatience pouvait se lire sur le visage de l'officier de la Marine Républicaine, pourtant il laissa tout de même le majordome les servir et leva son verre en direction de la jeune femme avant d'attaquer le sujet qui lui brûlait les lèvres. Il ne s'étonna même pas que Siame prenne la même chose que lui car d'ordinaire les femmes de la haute société et même de la petite bourgeoisie préféraient des boissons moins corsées. L’éternité, dans la bouche de la jeune femme sonnait également comme à une très mauvaise appréciation du temps étant donné son âge probable. Tout cela le conforta dans sa sensation initiale : il avait en face de lui quelqu’un qui avançait “masqué”.

    Je tiens tout de même à préciser, Dame Siame de Sancta, que vous avez vous-même choisi votre boisson. Forte, mais qui convient très bien aux personnes de caractère.

    Le visage de l'impatience laissa place à un sourire carnassier tandis qu’il levait son verre pour trinquer. Désormais il obligerait la jeune femme à lui dire ce qu’elle faisait en face de lui et ce qu’elle savait au sujet de son rubis. Siame ne pourrait pas se cacher éternellement derrière son verre et les petits fours, la patience de l'Amiral étant plus que limité quand il s'agissait des sujets brûlants.

    Mon majordome, m'a dit que vous aviez des questions sur mon rubis. Je vous avoue que je suis très curieux de savoir comment vous avez appris son existence et comment vous avez su que j'en étais désormais le propriétaire.  

    Cet artéfact, qu'il câlinait inconsciemment en même temps qu'il en parlait, avait été le fruit d'années de recherches couplées à une expédition du consortium Fallensword : sans les ressources de sa prestigieuse famille, ce bijou serait resté dans le tombeau où il a été trouvé sûrement encore quelques millénaires.

    Sur ces mots, il but une petite gorgée de bourbon, se saisit d'un petit four et planta son regard dans celui de son interlocutrice, la laissant dos au mur. Quoi de mieux qu’un petit plateau apéritif pour apprécier un peu plus une belle histoire ?
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  • Jeu 4 Avr - 16:25
    Ha... Finalement, l'Amiral n'était pas un homme si maîtrisé que son apparence guindée laissait croire. Chassez le naturel qu'il revenait aussitôt au galop. Siame sent son impatience lui caresser l'arrière du crâne, réveiller l'étincelle de l'arrogance en elle. Pas celle des gamins de quartiers, ou des pimbêches trop dorlotées, mais celle de l'Ange multimillénaire qui dispose de l'éternité entière et qui mérite tout de même un peu plus d’égards. C'est très justement qu'il note le ton singulier que prend le mot « éternité » entre les lèvres de l'Ange. Elle l'observe avancer de déduction en déduction—abhorre désormais une expression où l'étonnement se mélange à une moquerie tout à fait bénigne.

    Allons, vous cherchez seulement à me flatter.

    Elle avait reçu le reproche irrité de ses yeux avec amusement. C'est dans une lenteur insolente, parfaitement imperturbable qu'elle porte le verre à ses lèvres et qu'elle apprécie la teneur du bourdon, apprécie le goût du vanille, de miel et les notes de frustration effluvant de l'Amiral. Un véritable délice... C'était de bonne guerre. Elle s'étonnait tout de même de la perspicacité aléatoire de son vis-à-vis. Il voit le déguisement de ses vérités, mais ignore quand elle avoue ouvertement être en train de mentir. La fin du petit jeu s'annonce alors quand elle repose sèchement son verre sur le bureau devant elle, comme l'introduction des révélations à venir. Si l'Ange était d'une endurance exceptionnelle, elle n'était pas convaincue que ce soit le cas du jeune homme.

    Siame suffira. Je n'ai rien d'une "Dame".

    Si lui est un cuistre impatient, elle n'est certainement pas une femme respectable. Elle n'a pas besoin de s'habiller tout en noir, de souligner ses yeux de khôl et se déplacer à dos de balai pour que l'on remarque qu'elle se rapproche plus de la sorcière que de l'Ange. D'ailleurs, Siame n'avait finalement pas plus à voir avec les divinistes qu'avec les adeptes du Culte de l'Ombre, et elle n'avait jamais signifié que ce supposé temple dans lequel elle avait un jour travaillé était un temple diviniste—Sancta étant le bastion même du Culte des Ombres, le rapprochement lui avait semblé évident. Tout comme le lien au bas parlé, à la nécromancie, à ce rubis qui flamboyait fièrement sur le col de sa chemise, qu'il cajolait du bout des doigts comme pour la narguer. Si elle n'avait pas eu besoin de lui pour invoquer ce qu'il se trouvait à l'intérieur, elle lui aurait probablement arraché sans plus de cérémonie. Elle accepte donc de passer à l'échafaud, à défaut d'autre choix.

    C'est à croire qu'à se pavaner en public avec à ses ordres une petite colonie de morts-vivantset pas n'importe lesquels au demeuranton finit par se faire remarquer. Sa voix se défait de sa légèreté. Vos exploits à Kaizoku sont remontés jusqu'aux mauvaises oreillesles siennes. Je ne pouvais tout de même pas débarquer en vous disant que ce n'était pas vousou du moins pas exactementqui m'intéressiez, mais ceux qui se trouvent cet exceptionnel pendentif.

    Ses yeux lorgnent sur le rubis couronnant son torse. C'est drôle, il est de la même couleur que ses yeux. Monsieur Fallenswords était doté d'un sens du détail – et de la mode – sensationnel ! Elle fit claquer sa langue contre son palais.

    Mais je peux sentir votre curiositéet son impatiencebouillonner de l'autre côté du bureau. Qu'est-ce qu'une jeune pucelleoui, il avait remarqué qu'elle était une "petite imposture", mais avait eu l'élégance de ne pas le signifier. C'était amusant, cette manière qu'il avait de tourner autour du pot et d'exiger des autres de lui exposer tous leurs secrets, sans rien révéler de lui-mêmepourrait bien avoir à faire de quelques vieux soldats du feu Empire Elfique, ressuscités d'entre les morts ?

    Puisqu'il n'a pas le temps et que l'Amiral est vraisemblablement un homme très occupé, Siame convient de faire les questions et les réponses. Néanmoins, elle s'autorise tout de même une nouvelle gorgée du délicieux bourbon. Ce n'est pas parce qu'elle avait passé 6 000 ans confinée dans la pierre qu'elle ne pouvait pas, elle aussi, apprécier les bonnes choses. Et c'était définitivement le genre de choses auxquelles elle pouvait s'imaginer s'habituer. Elle reposa son verre et se retourna de trois-quarts.

    N'allez pas vous faire d'idées. Ses mains s'aventurèrent indiscrètement, sans la moindre tentative de séduction, ni la moindre pudeur, dans les plis du col de sa robe, qu'elle rabattu alors pour révéler les cicatrices noires, fraîches, sur ses omoplates—là où s'étaient, un jour, trouvés ses ailes. J'ai bon espoir que l'une des âmes enfermées dans votre pendentif sache où elles se trouvent.

    Elle ne nomma pas ses ailes, mais la révélation était évidente. Tandis qu'elle remontait le col de sa robe, ses yeux en silex cherchèrent les siens, l'air de dire "alors ? Qu'est-ce que ça va me coûter ?" C'était bien connu, les mortels étaient tous des pingres, et au sourire carnassier qu'il lui avait adressé plus tôt s'était greffé une inflexion qui ne lui disait rien qui vaille.


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  • Ven 5 Avr - 18:23
    La belle histoire était donc une supercherie comme il commençait sérieusement à s'en douter. L'impatience de l'enfant gâté qu’avait montré Vandaos avait souvent l'effet d'une bombe. Il jouait de son côté snobinard insupportable pour faire sortir de leur gond les interlocuteurs qui ne jouaient pas franc jeu avec lui et cette fois-ci il atteint son but. Faut dire que dans ce cas présent, il n'avait pas eu besoin de forcer le trait tant il était pressé d'en savoir plus.

    Vexée, la jeune femme ne tarda à prendre un ton bien plus vindicatif en commençant par traîner en buvant son verre. Dans un premier temps, l'Amiral Fallenswords perdit son petit sourire moqueur, s'avoua vaincu pour cette bataille et noya cette petite défaite en piquant deux olives tout en laissant divaguer son esprit, ayant une pensée amère au travail administratif qui l'attendait le lendemain. Mais dès que Siame reposa son verre d'une manière appuyée une fois qu’elle eut fini, le quadragénaire se concentra complètement sur son interlocutrice : le moment de vérité était arrivé.  

    La vrai Siame, "Siame tout court" était devant lui. Et ça changeait du tout au tout. Mais pourqoi diable la plèbe avait-elle besoin de se plaindre lorsqu’on leur attribuait un titre non mérité ?  Pour Vandaos, c'était une façon de traiter les gens équitablement mais quand on a vécu avec une cuillère en argent dans la bouche toute sa vie, il y avait bien des choses venues d'en bas qu'on ne pouvait pas comprendre… Il ne se formalisa pas et nota intérieurement que lorsqu’il voudrait la piquer, il n'aurait qu’à utiliser ce simple titre. Mais il était trop tôt pour s'amuser, les révélations s'enchainaient et c'était trop croustillant pour s'arrêter là.  

    Plus de faux semblant, la jeune femme balança ses vérités sans ménager la susceptibilité de l'Amiral et ce dernier s'amusa de voir enfin quelqu’un qui lui tienne tête et qui ne passait pas son temps à lui lécher les bottes. Non il n'était pas de ceux qui s'offusquaient et qui jetaient dehors à la première incartade. Bien sûr tant que ça restait dans la sphère privée : en public ou pire, à bord d'un de ses Navires, il bannissait ce genre de comportement en infligeant des sanctions disproportionnées pour permettre au parfum de la rébellion de s'évanouir rapidement. Un des précieux préceptes acquis lors de ses années universitaires au Reike.

    Avec un petit sourire satisfait, Vandaos laissa la vipère cracher son venin. Un venin riche en révélations néanmoins si bien que la suffisance de l'Amiral se changea rapidement en un visage de stupéfaction et s'il n'avait pas eu, du temps de son enfance, une gouvernante très vigilante, il aurait eu la bouche ouverte qui allait avec. C’est vrai qu’il ne savait pas à quoi s'attendre en la laissant entrer dans son bureau mais un ange qui voulait parler avec une âme prisonnière de son artefact, son si précieux rubis, c'était vraiment la surprise de l'année, voir de la décennie. Lorsque Siame commença à se tourner et à dégrafer sa robe, l'Amiral ne répondit même pas à la remarque sur la séduction, lui était hypnotisé tel un enfant qui arrivait pour la première fois dans une boutique de jouets ! Il avança ses mains comme pour aller tâter les cicatrices puis se ravisa, conscient tout d'un coup de son impolitesse. Puis se recala dans son fauteuil, tira sur la corde pour appeler son serviteur et bu une belle rasade de Bourbon.

    Et bien quelle surprise ! Vous êtes un ange ? Incroyable !

    Puis on entendit quelqu’un frapper à la porte et cette dernière s'ouvrit pour laisser rentrer la Majordome.

    Vous m’avez fait demander Maître ?  

    Oui, faîtes dresser un couvert supplémentaire pour ce soir, nous avons une invitée. Venez nous chercher dès que c'est prêt, vous serez bien aimable.

    Ce sera fait, Maître.  

    Une fois la porte refermée, le regard de Vandaos se planta dans celui de l'ange déchu.

    Parler avec des morts pour retrouver vos ailes, voilà une aventure passionnante… Et je serais ravi de vous aider car vous avez de la chance, c'est que je suis passionné par l'étude de cet artefact. Vous avez entendu parler de mes exploits qui l'ont été grâce à lui certes, mais la mauvaise nouvelle et je vais être franc avec vous, c'est que je ne maîtrise que partiellement son pouvoir malgré mon niveau d'expertise, n'invoquant que des âmes de soldats infatigables mais aussi incapable de parler malheureusement… Or il faudrait qu'une âme réanimée par Xo-rath lui-même soit piégée dedans. De plus je n'arrive pas à cibler une âme en particulier, pour l'instant.

    A ces deux derniers mots, Vandaos avait le regard pétillant, avide d'en savoir plus, d'en découvrir plus sur le potentiel de son rubis.

    Mais peut-être avez-vous des informations que seuls les contemporains de cette époque lointaine détiennent et qui pourraient nous aider dans notre investigation ? Je me suis permis de vous faire dresser un couvert mais je ne vous ai pas demandé votre accord comme le malpoli que je suis… Vous joindrez vous à moi pour le souper afin que nous poursuivions cette conversation ? Je crois avoir entendu parler de bisque de homard au menu avec un carpaccio de thon en entrée. Nous avons d'ailleurs un délicieux vin blanc provenant de notre mas familial qui devrait sublimer ces merveilles que l'océan nous offre.

    C'était sa façon à lui de faire la paix et de faire redescendre la tension de la discussion d'un cran. Est-ce que ce serait suffisant, seule Siame détenait la réponse à cette question.
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  • Dim 7 Avr - 15:08
    Siame gratifia son vis-à-vis d'un sourire posé, lorsqu'elle voit le comportement de l'Amiral changer du tout au tout. L'attitude du fier chef de maison implacable avait été remplacée par la curiosité pure des grands enfants. Et comme les enfants mal élevés, il s'était pris à tendre le bout des doigts en direction de ses cicatrices. C'est donc tout naturellement qu'elle haussa brièvement les sourcils, dans une expression faussement sévère, mais pas non moins taquine, l'air de dire : "Attention, on ne touche qu'avec les yeux."

    Je vous serai gré de ne pas le crier sur tous les toits, j'ai déjà perdu mes ailes, j'aimerais garder ma tête. Elle eut un froncement de nez un peu fripon. Vous comprenez mes réticences à parler franchement : nous ne sommes pas vraiment les créatures les plus appréciées du Sekai, par les temps qui courent. Mais nous sommes quittes, maintenant. Vous en savez autant sur moi que je n'en sais sur vous. Hélas, elle lissa le col de sa robe du revers de la main, sans mes ailes, on ne peut pas vraiment dire que je sois encore quoi que ce soit...

    Siame n'était jamais parvenu à se faire à l'absence de ses ailes, qui, dans ses yeux, la privait de son statut divin. Et si elle n'était pas Ange, que lui restait-il ? L'idée d'apparaître faible aux yeux des mortels lui déplaisait, mais sa croustilleuse révélation s'était néanmoins avérée suffisamment convaincante face aux exigences de l'Amiral. De nombreux flous persistaient, mais l'essentiel s'y trouvait. Le reste, le passé et les tourments, tout ça n'avait plus d'importance aux yeux de l'Ange. À l'arrivée du majordome, l'Amiral délaissa son enthousiasme de gosse émerveillé pour retrouver le tranchant superbe de l'homme-qui-commande. Prudente, elle avait également retrouvé sa mesure et son mystérieux mutisme à la présence intrusive du domestique, gardant toujours une partie de son esprit aux aguets. Aussitôt la porte refermée, elle accueillit le regard de son interlocuteur avec un fin sourire, marquant le début d'une peut-être complicité. Après tout, ils partageaient tous deux un secret. L'entente avait d'abord été titubante, mais la cuirasse des apparences enfin abandonnée laissait place à un accord silencieux. Quand il secoua le drapeau blanc avec la proposition d'un dîner – un festin, à en croire le menu qu'il lui listerait –, elle accepta gracieusement l'invitation. Elle devait bien l'admettre, cet homme savait comment lui parler.

    Ne me chouchoutez pas trop, je risquerais de m'y habituer. Je serais ravie de me joindre à vous.

    Elle se laissa aller au fond de son fauteuil, adoptant une expression pensive. Ses yeux se posèrent sur l'Amiral et sur son fameux rubis, qu'elle dévisageait avec autant d'intérêt (pour le rubis) que d'amusement (pour les étincelles qui pétillaient dans le regard de son vis-à-vis).

    Vous êtes en train de me dire que vos exploits à Kaizoku ne reposent donc que sur la chance du débutant ? Ce n'était alors qu'une inoffensive taquinerie de plus.

    Certes, la paix avait été déclarée, mais ça ne l'empêcherait pas de se montrer gentiment espiègle à son encontre. Elle échappa un soupir contrit et balaya l'effronterie de sa remarque en se levant, abhorrant une attitude on-ne-peut-plus sérieuse.

    Je ne suis pas une experte en nécromancie, vous vous en doutez, mais je connais quelques moyens de faire parler les âmes silencieuses. Je n'ai pas la moindre idée si une telle entreprise pourrait fonctionner, mes pouvoirs ne sont plus l'ombre de ce qu'ils ont un jour été, mais si vous l'acceptez, j'aimerais que nous puissions essayer ensemble.

    Avec sérénité, elle saisit son verre et se leva. Avec beaucoup plus d'indiscrétion que lui, elle vint se glisser entre son fauteuil et le bureau, l'obligeant à s'enfoncer contre son dossier pour maintenir une distance appropriée selon le spectre exigu de ce qui était considéré comme respectable, pour les gens de bonnes familles. Si Vandaos était de ces enfants bien éduqués, Siame faisait partie du groupe des pas-sages, pas du genre à s'excuser. Elle s'appuya tranquillement contre le bord du bureau, dans une position contemplative ; un bras enroulé autour de sa taille, une main autour de son verre et un doigt sur ses lèvres. Après quelques instants, ses deux pupilles de silex rivés sur le rubis, elle but une gorgée pour signifier la fin de la méditation et reposa le verre à côté d'elle, sur le bureau.

    Ne paniquez pas, je vous prie. Elle aurait tout aussi bien pu lui dire "tenez vous sage".

    Sans prendre la peine de demander la permission, elle approcha sa main pour saisir le pendentif entre son pouce et son index, avec plus ou moins de délicatesse, et sûrement sans la moindre subtilité. Elle le fit rouler à la lumière pour en observer plus attentivement – et de plus près – toutes les facettes.

    Magnifique pièce. Avez-vous déjà "rencontré" toutes les âmes enfermées dans cet artefact ? Quand il lui apprit qu'il n'était pas encore en capacité d'invoquer un mort précisément, elle ajouta : Et bien, dans ce cas, j'espère que vous êtes endurant, Amiral. L'Ange marqua une pause avant de poursuivre. Le soldat... Ou plutôt le mort à qui je souhaite parler fut l'un de mes opposants, il y a fort, fort longtemps. Elle eut une moue faussement contrite, révélant davantage d'informations sur son passé. Je doute qu'il soit bien ravi de me revoir.

    Sagement, elle reposa le bijou contre la poitrine de l'Amiral, tapotant gentiment du bout des doigts sur ce dernier, pour s'assurer de sa place et reprit son verre, l'air de rien.

    J'adore le homard. Conclut-elle dans son plus beau sourire, s'amusant qu'il craigne de s'être montré rude envers elle. C'était là sa façon d'accepter le traité de paix qu'il lui proposait.


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  • Ven 12 Avr - 18:52
    Siame lui confirma ce qui était dorénavant une évidence : elle était bien un ange, un de ces êtres qui traversaient les millénaires. Une contemporaine du créateur de son rubis et des âmes qui en étaient prisonnières, c’était fascinant ! Il avait tant de questions à lui poser... Et tout autant sur l’objet de sa quête. Mais d’abord il devait la rassurer.

    Bien sûr que tout ce qui sera dit ici restera entre nous, vous avez ma parole.

    Certes il aidait peut-être quelqu’un de “mouillé” dans une sombre histoire de diviniste ou de cultiste. Mais peu lui importait, ça ne le concernait pas vraiment toutes ces histoires. Vandaos ne voyait que le temps qu’elle pouvait lui faire gagner dans sa maîtrise de son artefact fétiche mais aussi l'occasion de rendre une jeune femme redevable qui pourrait lui rendre des services pour ses petites affaires.

    L’ambiance se détendit quelque peu lorsque la jeune femme accepta la main tendue de l’Amiral. Une soirée ne serait pas de trop approfondir cette entrevue riche en surprise et en opportunités.  

    Entre quelques petites piques bonnes enfants sur ses faits d’armes auxquelles il ne fit qu’un petit sourire amusé en guise de réponse, l’ange déchu distilla quelques informations. Assez pour encore plus attisé sa curiosité et mais pas assez pour combler la frustration de ne pas avoir de réponses complètes à ses questions. Tant pis, il aurait tout le dîner pour continuer à cuisiner son invitée car si elle voulait faire revenir cet ancien combattant de l’Empire Elfique, il faudra en savoir bien plus.

    Seul Xo-Rath lui-même est capable de faire parler les morts malheureusement, et tous les Nécromants sont unanimes sur le sujet. Et même avec votre toute puissance retrouvée, je crains fort qu’il ne soit impossible d’obtenir la moindre réponse à vos questions... En revanche, pour le retrouver au milieu de cette forêt d'âmes damnées, je pourrais peut-être jouer de mes relations à Magic pour trouver rapidement une solution.  

    L’Officier supérieur de la Marine Républicaine était songeur, se remémorant les recherches qu’il avait commencé à faire sur ce sujet. Faut dire qu’il s’était plutôt consacré à augmenter sa capacité à invoquer les morts en quantité, pour provoquer le surnombre et il n’avait pas vraiment envisagé la possibilité que de puissantes âmes étaient prisonnières de ce rubis. Rien dans les écrits que les Fallenswords avaient collecté au fil des siècles au sujet de ce mage noire n’indiquait que son artefact contenait des âmes de puissantes créatures... Pourtant s’il y avait une possibilité d’en faire revenir une à la vie, il fallait sauter sur l’occasion : une nouvelle corde à son arc pour faire de lui le plus puissant des Nécromants grâce à un serviteur infatigable. Oui ce serait tellement “satisfaisant”...

    Déjà vous m’aiderez grandement en me racontant en “détail” , et l’Amiral semblait insister lourdement sur ce mot, votre passif avec notre homme. Il est essentiel dans notre entreprise de...

    La phrase s’arrêta net lorsque l’Amiral se rendit compte que Siame prit place dans une position plutôt... lascive dirons-nous, entre lui et son bureau. Mécaniquement et car c’est un “gentleman”, Vandaos s’enfonça dans son fauteuil, rétablissant un semblant de distance entre les deux protagonistes. Puis la jeune femme l’avertit et se saisit de son précieux pendentif. Pour le Contre-Amiral, c’étaient les montagnes russes émotionnelles : de la curiosité, de la frustration, de la “gênance” et maintenant de l’angoisse... Mais comment allait finir cette soirée ? Si Vandaos était capable la plupart du temps de contrôler ses émotions, ce soir ce n’était clairement pas le cas : au moins sur son visage on pouvait lire l’intense nervosité qui l’habitait au moment où l’ange déchu posa ses doigts sur “son” rubis. Mais il eut la décence de ne pas réagir violemment et laissa la jeune femme, qui cherchait peut-être à l’allumer ? finir sa tirade riche en informations et fut tout de suite tranquillisé lorsqu’elle reposa délicatement son artefact à sa juste place.

    Lorsqu’elle changea de sujet pour aborder le repas, Vandaos en profita pour se lever de son fauteuil, recréant une distance plus raisonnable entre eux deux. Il s’était senti très vulnérable au moment om Siame avait saisi son talisman et ce sentiment lui laissa comme un goût d’échec. En bon stratège, l’Amiral se méfierait plus à l’avenir des inconnues, peut-être en les conviant qu’en présence de son oiseau. D’ailleurs que faisait-il celui-là ? Sa jalousie aurait pu lui être utile cette fois...

    Et bien vous ne serez pas déçu. Pêché du jour j’ai entendu dire. Si vous voulez bien m’accompagner jusqu’au Grand Salon, je pense qu’ils ont de fini de préparer la table pour le dîner.

    Bien sûr qu’ils n’avaient pas fini les préparatifs, le Majordome n’était pas venu se présenter. Mais le quadragénaire se sentait piéger dans son fauteuil de bureau et serait plus à son avantage dans une nouvelle pièce où une large table mettrait une belle distance naturelle entre eux.

    Arrivé dans le “Grand Salon” de l’hôtel particulier des Fallenswords, les deux protagonistes purent constater que les serviteurs étaient encore entrain de peaufiner les détails de la table. Mais l’essentiel était là : les assiettes, les verres, les chandeliers étaient allumés et les couverts bien présents. La décoration importait peu pour l’Amiral mais malheureusement, le Majordome se faisait un devoir d’accomplir sa “mission” jusqu’au bout... Vandaos tira une chaise et invita l’ange à s’assoir devant le regard du Majordome outré de ne pas pouvoir le faire lui-même. Puis le Nécromant alla s’assoir à l’autre bout de la table - cette fois-ci précédé par son serviteur qui lui tira sa chaise -, retrouva son petit sourire satisfait maintenant que 10 mètres de table les séparaient.

    J’en reviens à notre homme... Si je le retrouve et qu’il recouvre un peu la mémoire, ne vous en inquiétez surtout pas : toutes les âmes piégées dans ce rubis sont à “mon” service. Et si nous avions à faire à une âme plus puissante que celles à qui j’ai eu déjà affaire, ma foi, il existe des rituels permettant de s’assurer la soumission totale des revenants. Surtout n’ayez crainte sur ces points-là et dîtes m’en plus à son sujet.

    Le quadragénaire avait une assurance certaine dans ses propos. Après tout il était un expert en nécromancie alors ça serait dommage de ne pas le croire ? Lorsque l’ange déchu aura un peu détaillé l’histoire de celui qui fut jadis son ennemi et que le carpaccio de thon serait enfin servi, Vandaos, non sans avoir regardé avec un regard moqueur si son invitée arrivait à choisir les bons couverts, ajouterait cette simple question :

    Est-ce que vous connaissez un certain Amiral Bigorneau ou l’un de ses flibustiers qui lui sert d’équipage ?

    Même si ensuite le Nécromant cisaillait les tranches de thon cru avec les ustensiles adéquates montrant ainsi l’exemple, la question, bien qu’énoncé sur un ton badin, n’avait rien d’anodine.
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  • Mer 17 Avr - 14:03
    Elle avait une sorte de moue vexée lorsqu'il avait remis en question ses capacités : non pas parce qu'il se permettait de le faire – il avait d'ailleurs eu l'élégance de s'y adonner sans le moindre orgueil –, mais parce qu'il avait tristement raison. Et même l'éternité ne rendrait pas la chose plus facile à accepter pour l'Ange. Elle regretterait toujours le temps où ni mur, ni frontière ne pouvait la retenir prisonnière, le temps où ses pouvoirs n’étaient pas interrogés. Se sentir impuissante devant les mortels avait été et serait toujours son point faible. Cela allait sans dire : elle avait la ferme intention d'y remédier.

    Il fallait d'ailleurs y voir la raison qu'elle avait là de se comporter de la sorte : lui demander de rester sagement assise sur un fauteuil de velours, c'était risible. Siame disposait de l'éternité devant elle, mais elle ne s'était jamais montrée patiente lorsqu'il s'agissait de se saisir de ce qu'elle voulait. Et à l'occasion, ce qu'elle désirait reposait dans les mains d'un autre. Les reflets pourpres du talisman dansent devant ses yeux comme autant de promesses que de présages. Quant à l'Amiral, il avait soutenu la proximité qu'elle lui avait imposée avec une contenance admirable. Dire qu'elle ne s'en était pas amusée aurait été mentir—croire qu'elle cherchait à le charmer ; dangereux. Le sentir se tendre tout entier quand elle avait posé les doigts sur "son" rubis avait été réjouissant et elle n'y avait vu là qu'une révélation sur la manière de le pousser dans ses retranchements. Il n'était pas tout à fait aussi impassible qu'il voulait le laisser croire, mais plus maîtrisé que bien des mortels, et ça, c'était quelque chose qu'elle pouvait respecter. La façon dont il composait avec l’échec ressenti à ce moment était loin des rudesses dont elle avait l’habitude : il l’avait fait avec beaucoup de délicatesse.

    Siame se laissa guider parmi les couloirs jusqu’au “grand salon” – sous-entendu que la demeure en possédait des “petits” – pour arriver à une table à peine préparée. Elle masquait difficilement sa belle désinvolture, le plaisir moqueusement victorieux dans le coin de ses lèvres. Elle ne le cachait pas non plus, c’était plaisant d’être traité de la sorte : il prenait soin d’elle, s'assurait de ne jamais se montrer grossier, tirait sa chaise – avait osé priver le malheureux majordome de l’honneur ! finalement, il était peut-être un tout petit peu plus audacieux qu’elle ne l’avait jugé –, l’invitait à s’asseoir. C’était plaisant, oui. Et pour autant, l’Ange n’était pas complètement idiote. Elle n’ignorait pas les petits sourires en coin, l’air canaille dont il ne parvenait pas réellement à se départir (de toute manière, elle le préférait ainsi)—et qui lui disait qu’il cachait certainement autre chose derrière son petit jeu du parfait gentleman. Quelque chose d’on-ne-plus important que la satisfaction de savoir hors de portée, ou le plaisir de la voir se dépatouiller avec les trois couteaux et les trois fourchettes qui se trouvaient de chaque côté de son assiette. C’était mignon cette manière très délicate qu’il avait de se moquer gentiment d’elle, tandis qu’il lui montrait la voie à suivre. Siame se garda de l’informer qu’elle était présente, le jour où les règles de l’Art de la table avaient été décidées ; tout comme celles des bienséances. Lorsqu’elle choisissait de ne pas les respecter, c'était uniquement par pure insolence pour les races mortelles. Mais Vandaos Fallenswords était un peu différent. Parce qu’il la traitait comme une princesse, oui, mais aussi parce qu’il était en disposition de savoirs et d’un bijou qui l’intéressaient beaucoup. De là à la voir se vêtir de la moue admirative qu’ont les jeunes dames pour les hommes de sa trempe, et à le considérer à travers ses longs cils en lâchant des “Ho, apprenez-moi s’il vous plaît” et “Vous êtes vraiment un homme fabuleux” à intervalles réguliers, il ne fallait tout de même pas exagérer. Fabuleux, il ne l’était pas encore – pas devant ses petites lamelles de thon finement découpées –, mais il serait bientôt.

    Je ne m’inquiète aucunement. J’ai parfaitement confiance en vos capacités à maîtriser vos serviteurs. Elle se saisit du couteau tout à sa droite sans le moindre sourire, ce qui, dans son cas, signifiait beaucoup : elle était curieusement sincère.

    À l’époque, commença-t-elle avant de se souvenir de la manière dont il avait insisté sur le mot “détail” un peu plus tôt, histoire de lui rappeler que c’était lui qui menait la danse. Elle cilla tranquillement en le revoyant, assis dans son fauteuil. Pardonnez-moi, ma mémoire me fait défaut – mensonge – seuls les véritables érudits seraient capables de vous donner la datation précise. Et à cette époque, je n’étais alors qu’une femme de guerre. Elle ne prit pas la peine de préciser au solde de qui. Les germes de la révolution avaient déjà été plantées, des millénaires auparavant,  — en temps de paix, comme c'est souvent le cas – mais c’était la première bataille que nous perdions alors, sur le territoire melornois. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour les forces armées elfiques. Aranthor fut l’un de leur général. Elle releva les yeux vers le rubis, jura qu’elle put voir ses reflets miroiter plus qu’à l’habitude. Nous avons perdu la guerre, mais pas tous les assauts. Les hostilités avaient débuté tôt à l’aube, cette journée-là. Le ciel s’était assombri, et nous en avons profité pour attaquer en premier.

    “L’orage sera sur nous dans une heure. Probablement moins. C’est le moment d’attaquer.” À cette époque, elle se battait encore pour ses maîtres avec la détermination du parfait petit soldat : le corps frappé par la fatigue, mais animé d’un dévouement inexplicable, presque agaçant : elle avait été créée pour ça. Siame se souvenait encore parfaitement de cette journée. Elle se souvenait parfaitement de tout : du bruit des épées qui s’entrechoquaient, de l’intensité des affrontements et de la chair qui explosait sous les coups.

    Je savais que je n'aurais jamais pu le battre en le défiant de face. La lame de son couteau s'enfonça dans la chair du thon comme dans du beurre. Je l’ai alors laissé croire que j’étais à sa merci.

    Elle se souvenait alors de ses mots : car le simple plaisir de vaincre n’avait pas été suffisant. “Ne la tuez pas. Corvus la veut vivante.” Une ombre passa dans son regard, logé plus profondément en elle, tandis qu’elle défiait silencieusement le surgissement empoissonné de douloureuses réminiscences. À cette heure-ci, il n’avait pas encore apposé sur elle son empreinte vénéneuse “Liez ses ailes, ne la laissez pas s’échapper.” Il s’était saisi sans ménagement de sa mâchoire. “Il arrive pour toi, Siame.”

    — Il faisait chaud, lourd sur le champ de bataille. Les nuages s’étaient amoncelés au-dessus de nous et l’orage éclata. Un orage épouvantable. Elle se souviendrait toujours de l’odeur de la pluie torrentielle, de la boue et de la mort. L’avait respiré à s’en fatiguer les poumons. Les cieux réclamaient justice. Le tonnerre ébranla le ciel. Il y avait eu un éclat lumineux dans le regard du général elfique, jusqu’avant que… Et l'éclair sillonna les nuages pour s’abattre sur lui. Elle l’avait invoqué. Il est tombé ainsi, comme la truie maléfique qu’il était : grillée jusqu’à la moelle. Mort sous le coup.

    Tout à coup, ce carpaccio de thon devait paraître étrangement rouge à l’Amiral. Les ombres dans le regard de l’Ange avaient fini par s’apaiser. C’était curieux de voir une si jolie gueule parler de sang, de chair et de guerre. Davantage de se l’imaginer prendre la vie de ses mains, des illusions plein les yeux : persuadée qu’elle luttait pour la vraie cause.

    Je me souviens de l’avoir entendu couiner, avant qu’il ne tombe par terre. Elle l’avait dit d’une voix absorbée, s’était mordu la lèvre au souvenir.

    C’était une consolation étourdissante de se rappeler de chaque couinement qu’elle avait pu un jour arracher aux Hommes qui lui avaient fait du mal. Tous ses souvenirs n’étaient pas que des aiguilles pernicieuses.

    Il ne restait de lui plus qu’une carcasse froide, un corps déserté de toute vie. Son cerveau avait éclaté dans son crâne. Elle se composa d’un sourire aimable. La suite, vous la connaissez mieux que moi, si je ne m’abuse. J’imagine que rejoindre les rangs de ceux qui l’ont abattu n’a pas dû être facile à supporter. Devoir servir X'o-rath en personne... L’Amiral n’avait pas besoin de lire dans ses pensées pour le deviner : l’idée l’amusait. Le sort a une drôle de façon de nous enseigner des leçons que nous n'aurions jamais apprises autrement : peu importe pour quelle cause nous nous battons, peu importe les titres, les médailles—nous ne restons pas plus que de la chair à canon.

    Elle haussa un sourcil curieux à sa dernière question. Il y eut un battement, tandis qu’elle portait un morceau de poisson à ses lèvres.

    Il est possible que je le connaisse. Déclara-t-elle, en attendant la suite, qui – elle le savait – ne tarderait pas à arriver. Vandaos n’était pas l’un de ces hommes à poser des questions anodines, encore moins lorsqu’elles étaient si précisément visées.


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  • Mar 23 Avr - 16:22
    Le repas se passait à merveille. Entre deux bouchées de ce délicieux carpaccio de thon que l’Amiral appréciait tant, Siame lui fournissait les informations nécessaires à leur collaboration. Vandaos était captivé par le récit de la jeune femme qui effectivement, n’avait rien des petites bourgeoises guindées qu’il avait l’habitude de fréquenter lorsqu’il était à terre. Le florilège de détails n’apporta que plus de crédibilité à son récit et immergea complètement le quadragénaire dans ces batailles légendaires d’un autre âge.

    *Aranthor, voilà comment se nomme notre homme. Enfin, notre spectre...*

    Une âme n’était pas chose aisée à contrôler, il fallait des années de pratique, voir des dizaines d’années. Mais un spectre créé par le Titan Xo-rath, c’était tout autre chose. Des souvenirs de ses cours de nécromancie remontèrent à la surface, l’Intrigante leur expliquant que le Créateur de la Nécromancie était le seul capable de faire revenir des êtres doués d’intelligence. Elle leur raconta également qu’après la chute de ses Lieutenants sans vie, certains avaient été capturé par de puissants Mages Noir. Elle avait mentionné certains noms de puissants sorciers mais pas celui dont Fallenswords avait fouillé le tombeau et récupéré le précieux artefact. Il se rappela ensuite que des messes noires et d’autres rituels avaient été créé et testé par d’autres nécromanciens, que certains de ces protocoles étaient précieusement gardés dans la bibliothèque de la prestigieuse université.

    L’officier supérieur de la Marine Républicaine avait le cerveau en ébullition à mesure qu’il écoutait le récit de la jeune femme, anticipant comment il allait bien pouvoir rapidement retrouver ce “fameux” général. Il abandonna même ses couverts pour câliner la pierre précieuse de son artefact : il était complètement absorbé par tout ce qui pouvait découler de ce que la jeune femme lui racontait.

    Les dernières phrases de l’ange déchu résonnèrent en lui... C’était là une vision d’une femme blasée par la vie, se sentant trahie dans ses convictions les plus profondes. Lui n’en avait vraiment jamais eu ou alors, il avait très vite été ramené à la réalité... Se concentrer sur sa petite personne et défendre ses propres intérêts, donc indirectement ceux de sa famille et encore plus indirectement ceux de la République, était le seul moteur du quadragénaire. Et il avait quelqu’un en face de lui qui avait fait un très long chemin pour en arriver aux mêmes conclusions, c’était à la fois fascinant que leurs chemins se soient terminés au même endroit tant les points de départ étaient si éloignés. Mais également assez triste de savoir que beaucoup encore au Sekai vivaient dans l’ignorance et mourraient peut-être avant d’en arriver à cette même conclusion : nous ne sommes que des pions. Pourtant quelques détails perturbaient le Contre-Amiral... Quel rapport avait ce Aranthor avec la perte de ses ailes ? Certes elle l’avait tué sur le champ de bataille mais Vandaos ne voyait pas le lien avec la perte de ses ailes. Et plus troublant encore, qu’est ce qui pouvait bien expliquer qu’elle ne les avait pas trouvés depuis tout ce temps ? C’est vrai qu’elle avait presque l’éternité devant elle, mais pourquoi se réveiller aujourd’hui et sonner à sa porte ? Voilà des mystères qu’il espérait éclaircir à la suite de leur entrevue mais après tout, ça ne le regardait pas vraiment : apparemment ça lui suffisait de retrouver ce général elfique donc il s’en contenterait, pour l’instant. Car il avait un autre sujet bien plus brûlant à aborder, celui de son paiement évidemment.  

    Le Nécromancien ne manquait pas d’argent ni de ressources, pourtant, il y avait une affaire où il ressentait un manque criant et ayant compris que l’ange en face de lui semblait capable de se salir les mains –au cœur même des plus sanglantes batailles selon ses dires-, le Contre-Amiral eût soudain une petite idée derrière la tête concernant un service que pourrait lui rendre son “invitée”, c’est pourquoi il la questionna sur l’Amiral Bigorneau.

    Vous le connaissez ?

    La réponse de la jeune femme était énigmatique : si réellement elle le connaissait que trop bien, Siame ne pourrait pas lui rendre le service dont il avait cruellement besoin, à moins que... A moins que sa quête pour récupérer ses ailes soit si importante qu’elle ne trahisse un vieux pirate ? Ou si au contraire elle en avait juste entendu vaguement parler, alors c’était tout autre chose.

    Vous avez juste entendu parler de lui ou l’avez-vous rencontré personnellement ? Est-ce un ami ?

    Le quadragénaire aurait formulé sa question autrement s’il avait été sur des relations qu’entretenait l’ange avec le vieux loup de mer, qu’il ne portait pas dans cœur. Déjà ce “Bigorneau” et sa bande de vauriens mettaient “sa” zone de patrouille à feu et à sang... Le vieux moustachu qui était à sa place voilà un an n’avait jamais fait mieux que de voir le cul des bateaux de l’Amiral Pirate se faire la malle. Pour assoir son autorité aussi bien auprès de la République qu’au sein de sa flotte, il lui fallait une victoire à rapporter à l’Etat-Major. Et à cela c’était ajouté une quête de vengeance... Un des sbires de l’Amiral Pirate avait malmené un de ses amis d’enfance jusqu’à le laisser dépérir sur une île déserte au milieu de nulle part. Vandaos savait que Séraphin était capable de bien des prouesses mais il se sentait meurtri pour son ami et obligé de tout faire pour lui venir en aide. Surtout qu’il avait une Armada à sa disposition pour l’aider : mais aucune cible, c’était bien là tout son problème.

    Il ne fallait donc pas écarter l’hypothèse qu’elle soit une proche de Bigorneau... Voilà qui compliquerait sa petite affaire mais ferait également de Siame une détentrice d’informations capitales dans sa chasse aux pirates.
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  • Dim 5 Mai - 22:37
    Le ton de la conversation avait subitement changé. Siame avait haussé brièvement un sourcil et il ne lui avait pas échappé que l’intérêt de l’Amiral avait été attisé dès lors qu’elle avait évoqué connaître celui qui – si elle en jugeait l’éclat dans ses pupilles – semblait être un sujet d’importance capitale. Sans se précipiter, elle prit une petite gorgée du vin qui lui avait été servi. Délicieux, au passage. Fini les silences et les belles attitudes d’airain, il enchaînait désormais les questions sans attendre les réponses, ses petites fiertés aussitôt mises de côté—ce qui l’amusa, et qui, curieusement, avait eu pour effet de rendre son hôte d’autant plus intéressant. Secrètement, elle adorait voir les mortels lâcher prise devant ce qu’ils désiraient, aussi subtile la chose fut-elle chez le jeune Amiral, tout guindé dans son costume parfaitement ajusté. Il lui semblait avoir perçu une pointe de crispation dans la mâchoire de son vis-à-vis à sa réponse (que n’avait-elle pas dit !), si bien qu’elle continua sur la même lancée :

    Il est possible que je le connaisse personnellement. Elle avait haussé un regard éloquent en sa direction, de l’autre côté de l’interminable table.

    Si ses mots maintenaient une réserve toute maîtrisée, ses yeux, eux, ne mentaient pas : elle le connaissait effectivement. L’Amiral, ou du moins, le Bigorneau, l’avait trouvé à une époque où sa statue s’était perdue dans les méandres des océans. Abandonnée sur le navire qui faisait désormais la renommée du pirate – l’Ange avait définitivement vécu de bien trop nombreuses aventures –, leur histoire n’avait rien eu de très différent de celle qui se déroulait présentement dans ces jolis appartements : un service en échange d’un service.

    Je ne dirais pas qu’il s’agisse d’un ami – elle, se lier d’amitié avec un mortel ? Quelle belle idée –, mais nous avons eu à “collaborer” par le passé. Que lui voulez-vous ?

    Parce qu’il fallait bien arrêter de tourner autour du pot, et si elle avait une petite idée de ce qui pouvait se cacher derrière les jolies manières de Monsieur Fallenswords, l’Ange préférait tout autant qu’il soit direct avec elle. Il était temps de tirer au clair ses véritables intentions. Elle tamponna ses lèvres de sa serviette avant de demander, sans le moindre détour, le sourire à la fois charmant et dédaigneux :

    Ma foi, comment puis-je vous aider ?

    Oh, c’est que l’Ange pouvait être la représentation même de la diplomatie – et celle, très imprudente, du risque en personne –, quand les circonstances le nécessitaient. Quelque chose de pas net transpirait désormais dans l’air. On avait balayé de côté ces histoires de nécromancie qui guidaient la conversation jusqu’ici : et Aranthor était aussitôt retourné dans sa tombe. Le jeune Amiral avait vu juste : aussi reconnaissante Siame pouvait-elle l’être au pirate de l’avoir sortie de six pieds sous mer, il n’existait pas une âme sur le Sekai qui se mettrait en travers d’elle et de ses ailes. À cette époque-ci, sa quête lui était encore compulsive—il s’avérait qu’en leur absence, elle se sentait encore virtuellement prisonnière. Et à chaque fois qu’elle se rapprochait de potentielles retrouvailles, l’Ange brillait d’un éclat nouveau. Ce n’était pas un service rendu qui allait la tenir en bride—du Diable la morale ! Chacun avait son propre fardeau à porter. Tout le monde avait sa propre merde à gérer. Il n’était pas question pour elle de s’apitoyer sur le sort de qui que ce soit, le Bigorneau lui pardonnerait. Ou pas. Elle avait l’éternité entière pour se faire maudire.

    Je n’ai pas la moindre idée de ce que vous avez derrière la tête, ni même des raisons qui vous animent, mais je pense que nous devrions être en capacité de trouver un arrangement. Parait-il que j’ai le goût du risque. Cette fois-ci, ce fut son tour de se peindre les lèvres du sourire impertinent de celui qui vient demander sa part du gâteau (d’ailleurs, c’était l’heure du dessert, non ?) : Dites-moi tout, soyez direct, s’il vous plaît.

    Elle laissait désormais peu de place à la suggestion, le singeait un peu, c’était vrai. C’était d’ailleurs un schéma assez récurrent, chez l’Ange, cette façon d’imiter les manières de ses interlocuteurs : c’est ainsi qu’elle avait appris à se fondre parmi les Hommes. Elle tentait d’imaginer ce que Fallenswords pouvait bien imaginer, mais de l’histoire qui les associait, lui et Bigorneau, elle ne savait rien, mis à part que celui qui se tenait en face d’elle revêtait officiellement le titre très honorable d’Amiral – et qu’il était donc son devoir, comme il en avait fait le serment, de faire respecter l’ordre en mer –, et que l’autre s’en tartinait allègrement la face histoire d’agacer les nobliaux—opération visiblement réussie. Toute une épopée.

    Tant que vous ne me demandez pas de mettre en péril ma vie pour vos beaux yeux, – un battement de cils imperturbable, comme pour signifier qu’il lui faudrait un peu plus que ça –,  je suis prête à vous écouter. Je ne suis pas certaine de savoir ce que je pourrais bien pouvoir faire pour vous à cette occasion, que l’un de vos fidèles matelots ne pourrait pas lui-même accomplir, mais… Son regard glissa, à nouveau, inlassablement, vers le rubis. Si la paye est bonne, je suppose que vos raisons vous appartiennent.

    Il était temps de jouer cartes sur table.




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  • Mer 8 Mai - 15:02
    Oui il était temps de passer à table et de révéler à la jeune femme ce qu’il attendait d’elle. Vandaos avait attisé sa curiosité et tout en dégustant une bouchée du gouteux carpaccio de thon, il se délectait d’avoir un coup d’avance sur celle qui l’avait surpris ce soir par sa venue impromptue et sa demande si originale. Siame répondait du tac-au-tac, sans pour autant en révéler trop, juste assez pour contenter son hôte et ne pas s’attirer son courroux : ce jeu de questions-réponses ressemblaient à un premier duel à l’épée entre deux adversaires qui cachaient de nombreuses bottes. Et ça, en amoureux de stratégies en tout genre comme l’était le Contre-Amiral Fallenswords, c’était la distraction parfaite pour une soirée mémorable.

    Le quadragénaire laissa un petit blanc s’installer après la dernière intervention de l’ange déchu qui attendait une réponse. La botte ici consista à siroter son délicieux verre de vin - cuvée exceptionnelle de son mas personnel – après avoir porté son verre à la bouche lorsqu’il eut estimé la fin de la phrase de son interlocutrice. Le “gentleman” posa ensuite son verre et se tamponna la bouche avec sa serviette puis s’exprima ainsi.

    Oui, je suis sûr que nous trouverons un arrangement. Surtout avec une jeune femme prête à traverser la moitié du Sekaï pour se présenter devant “ma” porte. Je pense être en possession d’un service que personne d’autre que moi ne peut vous offrir.

    Après avoir glissé un petit coup d’oeil à l’assiette de son invité qui semblait en avoir terminé avec le carpaccio, d’un geste discret de la main, le Nécromancien indiqua à son majordome de procéder à la suite du repas. Ce dernier s’empressa de venir récupérer les assiettes vides et Vandaos reprit la conversation mais ne cacha pas sa frustration – par des mimiques caractéristiques du personnage - provoquée par le brouhaha causé par les cliquetis de la vaisselle et des couverts.

    Mais je ne suis pas homme à refuser un service à une jeune femme en détresse. Syndrome du chevalier blanc peut-être ?

    Un léger sourire apparut sur son visage : le bougre rigolait à ses propres blagues.

    En revanche, votre demande va mobiliser pas mal de mes ressources, comme je vous le disais tantôt... Beaucoup de documentations à consulter, un rituel à réaliser et les ingrédients à trouver, s'assurer de l'obéissance du revenant : une tâche complexe, même pour moi. C’est pourquoi j’ai pensé à un service que vous pourriez me rendre en retour.

    Le suspens était à son comble et la bisque de homard, à la porte du Salon. C’est à ce moment-là que le Majordome accompagné d’un autre serviteur cru bon d’annoncer le plat. Vandaos se tue, politesse oblige mais envoya des regards courroucés à son petit personnel. Les deux comprirent rapidement qu’ils avaient loupé leur entrée et repartirent le plus rapidement possible, une fois les coupes remplis de soupe déposées.  

    La bisque de homard aurait pu attendre...Enfin où en étions-nous ? Ah oui, le service que je comptais vous demander...

    Le temps était donc venu de le demander, “ce” service ! Le Contre-Amiral Fallenswords s’avança pour poser ses coudes sur la table et joindre les deux mains. Il plongea son regard dans celui de Siame, avec tout le sérieux que requiert les moments d’importance.

    J’aimerais que vous me trouviez son repaire, que vous me donniez son emplacement et que vous vous débrouillez pour me communiquer une date où il s’y trouvera avec sa bande de vauriens. Si c’est une connaissance, vous n’aurez même pas besoin d’intégrer les rangs de sa sombre entreprise... Voilà un service qu’aucun de mes subordonnés n’est actuellement capable de réaliser avec succès. Mais pour un ange tel que vous, ce n’est qu’une broutille ce que je vous demande non ?

    En ces jours sombres où la bataille de Kaizoku était encore dans toutes les têtes, la Marine Républicaine avait cruellement besoin d’une victoire. La Flotte avait beau être d’une puissance sans égal chez les pirates, elle ne pouvait rien faire contre des fantômes. Mais même les pirates avaient un pied à terre, le Contre-Amiral en était persuadé... Sa localisation restait un mystère et il lui faudrait sans doute des mois de paperasses pour obtenir un agent du SCAR et enfin obtenir cette information. Mais la venue de Siame ce soir avait rebattu les cartes, un raccourci qui avait une valeur inestimable pour l'Officier de la Marine : avoir son propre agent, sans paperasse, sans avoir à rendre de comptes.

    L’Amiral Bigorneau contre Aranthor. Un service pour la République contre une information capitale pour vos ailes.

    Tel était le dilemme de l’Amiral.
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  • Mer 15 Mai - 20:51
    Quel affreux petit merdeux. Siame haussa les sourcils sans réellement parvenir à masquer le plaisir que lui procurait la petite mesquinerie et l’impertinence de son hôte. Voilà qu’il prenait un malin plaisir à retourner ses armes contre elle, à préparer méticuleusement le terrain des négociations à venir et à la faire languir de sa réponse. Comme si elle ne l’attendait déjà pas suffisamment. Comme si ça ne faisait pas 5 000 années qu'elle courait après ses ailes. Pouvait-elle réellement lui reprocher, alors qu’elle avait joué au même jeu, quelques instants plus tôt ? Ce vin lui avait tout l’air d’être tout bonnement exquis, encore plus lorsqu’il se savait en train de jouer avec l’impatience de sa vis-à-vis. Sa bienséance feinte – qu’il était mignon, à se tamponner les coins de ses petites lèvres pincées, le maintien guindé, le geste maniéré, comme le joli garçon de bonne famille qu’il était – il mit finalement fin à cette attente.

    Jeune femme ? Allons, vous me flattez. Pour le reste : vous vous flattez. Était-ce là un sermon ?

    Il lui apprend le coût d’une telle entreprise, et l’Ange comprend petit à petit où il veut en venir – comme si, venant d’un républicain, la chose n’avait pas été suffisamment évidente –, il ne lui faisait en réalité pas la moindre faveur. Il se targuait d’être un fin stratège, et défendait superbement ses propres intérêts, le tout en s’autosucant allègrement — comble de la souplesse intellectuelle de l’homme en face d’elle. Il se met à rire de lui-même, et ses joues sont deux petits bonbons qui ne demandent qu’à être pincés. Oh, ce sourire-là n’avait rien d’innocent : ne disait-on pas que “Qui a le miel sur les lèvres cache le crime dans son cœur ?” Il lui servait – en même temps que l’on débarrassait les plats – en amoureux des stratégies qu’il était, l’un des premiers principes de tout enseignement militaire qui se respecte (Stratagème n°10 : Le Sourire du Tigre). L’Ange l’observait, l’ombre d’une moue moqueuse voltigea sur ses lèvres.

    Ah, le syndrome du chevalier blanc… L’altruisme narcissique par excellence. Elle sirote son verre de vin, avant de poursuivre, le plus sérieusement du monde : Vous ne me verrez pas m’en plaindre, soyez en certain.

    Autrement dit : “mais allez-y donc, sauvez-moi, tant que j’obtiens ce que je souhaite, je me ferais un plaisir de vous passer la pommade et de jouer la demoiselle en détresse” (Stratagème n°11 : Qui sait perdre gagne). Après tout, toute cette histoire, ce n’était qu’une histoire de contrepartie ? C’était touchant, cette volonté de faire la guerre même autour d’un repas—comme des gens civilisés, n’en déplaise aux barbares du désert. Siame opine doucement du menton tandis qu’il lui explique les moults difficultés qu’il lui faudra alors affronter pour répondre à sa demande et par la même occasion justifier celle qui – elle s’en doutait – ne tarderait pas à arriver. Ah ! Comme le homard, qui pointe alors le bout de son nez et qui vient interrompre le maître des lieux en beau milieu de son attaque, alors qu’il s'apprêtait à abattre son épée et à… tremper son morceau de pain dans sa soupe. Il se mit à rouspéter contre son personnel et Siame, elle, de son côté, était resplendissante de joie : elle s’amusait comme une petite folle. C’était là un bien joli numéro, elle devait l’admettre. Le ton changea du tout au tout lorsque l’Amiral s’avança, les coudes sur la table – les coudes sur la table ? Vraiment ? Il n’avait qu’à manger avec les doigts, tant qu’il y était ! Que dirait sa gouvernante, si elle le voyait… – et qu’il plongea ses yeux dans les siens. Une pistolétade de regards que Siame soutenu en silence, haussant subrepticement les sourcils, l’air de dire : “allez-y, dites-moi tout”.

    Elle l’écouta attentivement, avec plus de sérieux, tandis qu’il déroulait les termes du contrat et aiguisait par la même occasion l’intérêt de l’Ange. Ainsi, il voulait profiter de son irrégularité citoyenne – et de sa petite morale ? – pour faire sa petite besogne. Et voilà donc le fameux Stratagème n°3 : Le Potentiel des Autres ! Si tu veux réaliser quelque chose, fais en sorte que d’autres le fassent pour toi.

    Vous avez conscience que ce que vous me demandez ne sera pas mince affaire ?

    Autour d’eux, le cliquetis des plats en porcelaine qui s’entrechoquent nerveusement fait écho à ceux des genoux des domestiques. Siame repose sa serviette sur ses genoux, avant de poursuivre, dans un battement de cils.

    Vous me demandez non seulement de trahir l’un de mes “amis” – avait-elle seulement des amis ? –, mais en plus, d’y risquer mes plumesfaçon de parler.

    Oh, elle avait bien noté qu’il tentait de diminuer l'importance de sa demande face à la sienne – bien tenté ! – et considéra la tentative en silence, regardant désormais le homard trônant au centre de la table comme s’il s’agissait là de la dernière tranche de pain de mie au fond du paquet avant de reposer les yeux sur son vis-à-vis, sans ciller.

    Je ne suis ni affiliée à votre République – mais ça, il le savait déjà – et je ne vous surprendrai sûrement pas en vous disant que je me contrefous de qui règne sur les mers à l’heure actuelle. Ou qui règne sur quoi que ce soit à vrai dire. Qu’il eut besoin de mettre la main sur le repère des pirates pour la justice républicaine ou pour sa propre gloire, l’Ange s’en souciait peu. Tout ce qui m’importe, c’est… Elle referma les lèvres, happant la fin de sa phrase. Qu’importe, je crois que vous l’avez assez bien compris.

    Ce qu’elle s'apprêtait à dire n’était sûrement pas l’initiative la plus prudente qu’il soit, mais il fallait croire que l’Ange avait un goût tout particulier pour les petites folies—et pas réellement d’autre choix, si elle espérait accomplir quoi que ce soit dans ce Monde. Son intérêt n’était de toute manière jamais désintéressé, et à cette occasion, lui et elle se rejoignait sur le sujet.

    J’obtiendrais votre information, Amiral. Mais sachez qu’il y a bien une chose à laquelle je tiens plus qu’à mes ailes encore, et c’est ma vie. Ne me demandez pas de faire de la charité. J’accepte votre “dilemme”, pour peu que vous soyez prêt à accepter autant de risques que je le fais.

    Autrement dit : il ne fallait pas compter à ce qu’elle passe l’arme à gauche pour sauver le doux nom de l’Amiral.


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  • Mar 28 Mai - 16:15
    Trahir un ami ? La réflexion fit doucement rire le noble républicain. Dieu merci il n’avait pas amené une cuillérée de soupe à sa bouche sinon la belle nappe blanche aurait subi une sacrée attaque de mitraille. Comme si on pouvait sérieusement se lier d’amitié avec de la vermine ? Quelque part, Vandaos se convainquait lui-même qu’il rendait un fier service à cet ange déchu. De toute façon, le quadragénaire pensait avoir bien cerné le personnage en pensant que ça ne la gênerait surement pas de jouer un mauvais tour à une vieille connaissance tant qu'elle obtenait ce qu’elle voulait... Mais celle qui se cachait sous les traits d’une jeune femme s’annonçait rude en affaire car même si elle acceptait le dilemme, elle annonçait clairement qu’elle n’irait pas risquer sa peau pour ses beaux yeux.  

    Soit. Mais ce n’était pas vraiment ce qu’il lui demandait après tout, l’information pouvait être obtenu sans forcément y risquer sa vie. Le Contre-Amiral Fallenswords se devait de la rassurer sur ce point.

    Effectivement, le service peut s’avérer dangereux si vous vous y prenez mal ou que vous ne prévoyez pas de porte de sortie. Or, je dispose de portes de sortie : une flotte et de puissants alliés. Si l’aventure de votre côté devait tourner au vinaigre, je m’engage bien évidemment à vous sauver la mise : il vous faudra naturellement veiller à ne pas trop prendre de risques de manière à me laisser le temps de faire intervenir une équipe et de trouver un moyen de me communiquer votre situation.

    Sur ces mots, le quadragénaire trempa sa cuillère dans sa soupe, la porta à sa bouche et une fois le précieux liquide avalée, ferma les yeux et sembla apprécier ce moment d’intense plaisir gustatif.

    Je ne m’en lasserai jamais je crois, un pur délice...

    Puis il porta un verre de vin à sa bouche et recommença son petit cérémonial mais le ponctua par un tapotement de serviette pour enlever ce qui avait bien pu rester sur la commissure des lèvres.

    Et cette association de saveurs... Vous avez bien tort de ne pas vouloir vous affiliez à notre belle République.

    A ces mots le Nécromancien leva son verre en direction de Siame.

    Vous vous condamnez à une vie fade et sans saveur, quel dommage. Vous avez la chance ce soir de voir pourquoi nous nous battons et après avoir goûté à tout ça, vous ne pourrez pas me dire nous ne sommes pas dans le “vrai”.

    Le sourire moqueur de Vandaos était arrivé à son apogée, pas peu fier de narguer le Sekaï tout entier en dévoilant ostensiblement une partie de ses richesses à cette âme perdue.

    Bien, nous avons notre accord alors. Je ne vous cache pas que je ne mettrais pas ma vie en danger pour faire revenir “votre” ami, *car je trouverais surement une bonne âme pour prendre tous les risques à ma place*, mais je vous assure que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour le trouver et donc, que je le trouverais. Une fois que vous m’aurez donné ce que je vous demande, vous aurez tout le loisir de le questionner et peut-être qui sait ? Si votre service s’avère plus efficace que dans mes attentes, vous pourrez peut-être compter sur un puissant allié dans la suite de votre quête ?

    Le monologue de l’Officier supérieur de la Marine Républicaine s’arrêta net et tout en laissant le temps à son invité de réagir, il envoya quelques croutons partir à la dérive dans cette petite mer rougeâtre. Et avant que les pauvres radeaux ne finissent fatalement par couler – car la coque était vraiment trop spongieuse -, une tempête de gruyère râpé vint s’abattre sur eux, scellant définitivement leur destin au fond du bol de Vandaos.

    Lorsque l’ange déchu en aurait fini et que le demi-triton aurait un petit peu rassasié son estomac, ce dernier se permettrait une petite question sur sa cible numéro un.

    Je suis tout de même curieux de connaître les circonstances de votre rencontre avec l’Amiral Pirate... Si ce n’est pas trop indiscret ?

    Bien sûr que c’était indiscret mais après tout, ils avaient désormais tous les deux une affaire en commun avec lui, ce n’était nullement une curiosité mal placée. Et alors que Siame s’interrogeait si oui ou non allait-elle lui faire cette petite confidence, le sol se mit à trembler.



    BOUM !



    Les contenus des verres vacillèrent, le cliquetis de la vaisselle fut pénible à entendre et le Contre-Amiral réussit tant bien que mal à sauver son beau costume blanc d’officier d’une vilaine tâche rouge grâce à un réflexe buccale qui n’avait rien de très gracieux. Quelques secondes plus tard, des bruits de pas et des murmures se firent entendre dans le corridor derrière le Grand Salon où dinait Siame et Vandaos. Le Majordome ouvrit la porte et annonça :

    Le Lieutenant Firebirds souhaiterait s’entretenir avec vous, Maître.

    Le Contre-Amiral souffla de dépit, tapota sa serviette sur sa bouche avant de s’exprimer.

    Le Lieutenant... Tinder fait partie de la maisonnée, Richard, combien de fois faudra-t-il vous le dire ? C’est comme la famille. Faîtes-là entrer et dresser-lui un couvert, servez-lui ce qu’elle veut, comme d’habitude...  

    Puis Vandaos Fallenswords s’adressa à l’ange déchu, comme pour s’excuser.

    Plus on est de fous, plus on rit non ? Vous pouvez parler devant Tinder comme vous le faisiez auparavant. Elle est à la fois de ma famille et à la fois sous mon commandement. Ça peut paraître bizarre de prime abord, mais nous vous expliquerons ne vous inquiétez pas.

    Tandis que le Nécromancien finissait sa phrase, Tinder Firebirds, sous les traits d’une jeune elfe parcouru par les flammes de l’Enfer fit son entrée dans la pièce sans manquer de jeter un regard appuyé à Siame. Du feu sortait littéralement de ses yeux et on n’avait pas vraiment besoin d’être un mentaliste pour comprendre le sentiment qui parcourait l’Oiseau élémentaire à ce moment précis. Fallenswords, lui, se lança sur le dossier de sa chaise pour se délecter de ce délicieux spectacle : Tinder, malgré son tempérament de feu, jeta un froid glacial dans le Grand Salon. Mais c’est cette dernière qui rompit le silence en s’adressant uniquement à son supérieur, occultant complètement l’invitée.

    Amiral, je vous confirme qu’aucune équipe se trouve sur le chantier.

    Quoi de plus naturel venant d’une bande de flemmards pareil. Tant pis pour eux, j’irais voir Wessex, ça leur fera les pieds à cette bande d’incapables...

    Soudain le quadragénaire se rendit compte de l’inconvenance de la situation et tenta maladroitement de la rattraper en engageant des présentations... sommaires.  

    Lieutenant Tinder Firebirds, je vous présente Dame Siame de Sancta... Euh plutôt Siame, je crois qu’elle préfère... Et vice versa donc...

    Devant le blanc qui semblait persister et les regards embrasés de Tinder à l’égard de l’ange déchu, Vandaos se sentit obliger de continuer à meubler.

    J’ai fait la connaissance de Siame, il y a un peu plus d’une heure, ou deux peut-être ? Le temps passe si vite ce soir... Bref, cette jeune femme était en train de me raconter comment elle avait rencontré l’Amiral Bigorneau, ça devrait certainement t’intéresser toi aussi. Allez assieds-toi et écoutons son histoire, Richard ne va pas tarder à te rapporter quelque chose à te mettre sous le bec.

    L’animal fantastique métamorphosé en elfe élémentaire de feu semblait stupéfaite par cette révélation et prit place sur le côté droit de la table, au plus près de son ami et complice. Les regards étaient désormais moins chargés de colère mais la méfiance semblait néanmoins ne pas l’avoir quitté totalement.

    Et puis tu lui raconteras notre histoire, Tinder. Il n’y a pas de raison que nous soyons les seuls à repartir de ce dîner avec une belle aventure contée par la protagoniste principale.

    Cette fois-ci, le sourire moqueur du demi-triton fut à destination du Lieutenant Firebirds qui lui répondit par deux rayons lasers qui auraient dû le découper en deux. Mais Vandaos s’en moquait éperdument, il ne se lassait jamais de voir s’enflammer son Oiseau élémentaire incapable de cacher la moindre émotion.
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