Comme n’importe quel hybride normalement constitué, Cactus sait que son existence est contre nature. On pourrait croire le contraire parce que la nature permet ce genre d’hybridation, mais il ne peut y avoir d’amour à l’origine de leur existence.
C’est impossible.

Cactus a adopté toutes les caractéristiques physiques de sa race animal, autant au niveau du faciès très caractéristique, du museau pointu et de sa queue. Son pelage sort de l’ordinaire, signe de ses gènes humains :un pelage brun uni sauf au niveau de ses sourcils et de sa moustache tirant sur le blond. Parlant de moustache, c’est bien le signe le plus particulier de sa personne. Elle prend la forme d’une moustache humaine foisonnante comme on n'en voit jamais chez les ratons-laveurs. Ces mains tiennent d'avantages de l'humain, dotés des griffes non rétractiles de sa race. Cactus fait un mètre vingt-trois, ce qui est grand pour un raton-laveur. En dehors de ces quelques traits particuliers, on le confondait aisément avec un grand raton-laveur. Mais dans ce monde de magie, est-ce que ce serait si choquant ?

Parmi les hybrides, il y a ceux qui s’acceptent et cherchent à vivre au sein de la société humaine. Il y a ceux qui, comme Crocus, se haïssent et haïssent la première catégorie. Enfin, il y a la catégorie à laquelle appartient Cactus, plus rare, mais pas dépourvu de sens. Quand certains s’acceptent comme une variante humaine, Cactus s’accepte comme une variante d’un raton-laveur. Sa force et ses convictions, il les met entre les mains de la race des ratons-laveurs tout entier.

Longtemps, il s’est demandé quelle pouvait être le sens à tout ça. Et le gain de sa conscience humaine l’a amené à vagabonder sur les chemins de la spiritualité et de la religion. Cactus croit en l’existence d’une puissance cosmique supérieure qui l’a amené à être tel qu’il est, dans le but de faire évoluer tous les ratons-laveurs vers une destinée plus grande. Là où les races classiques peuvent voir une espèce primitive et dépourvue de droits et de revendications, Cactus voit un peuple qui n’attend que des gens comme lui pour s’élever sur le chemin de leur destin. Peut-être bien qu’il se fourvoie, mais dans sa psychée perturbée par son existence contre-nature, c’est ce qui lui permet d’avancer.

Si chacune de ses actions est dirigée dans le but de protéger et élever ses frères ratons-laveurs, il est loin de comprendre l’étendu des dégâts que peut provoquer l’intégration de concepts très humains à une race qui n’a jamais eu à y penser. Ses actes et son comportement découlent de cette réflexion. Impitoyable avec les humains, serviles avec les ratons-laveurs, Cactus ne fait pas dans la dentelle s’il s’agit d’obtenir quelque chose qui aidera sa cause. Il ne vit qu’à travers elle. Il ne pense qu’à ça. Les distractions et l’absence de gains sont à proscrire. La vie est trop courte pour se perdre dans des frivolités de ce genre.

Papa était un détraqué.

Et on pourrait s’étonner que Crocus n’ait pas parlé de nous.
Comme chacun sait, il déteste les hybrides, c’est donc très particuliers de nous détester, ses frères et sœurs de sang. Ses frères et sœurs d’abominations.

Tout a donc commencé avec Crocus. Il fut le premier. Le grand frère. Le premier crime d’une longue liste envers la moralité. Notre père droguait notre mère, lui augmentant son espérance de vie comme pour la torturer plus longtemps. De sa folie, Crocus est né. Le premier. Il y’en a eu d’autres. Comme si chacun petit raton-laveur survivant de l’hybridation apportait une réponse à en faire d’autres. Comme si l’horreur ne devait jamais se terminer. Sans qu’on sache un jour ce qui motivait notre Père. Après Crocus, il y a eu de réel portée. J’ai été d’une d’entre elles. Le taux de mortalité était abominable. Mais là où aurait pu s’apitoyer sur ces vies gâchées, on pouvait légitimement y voir la bonté de la Nature elle-même. Ils ont été épargnés par le poids de ce qu’ils sont. Un héritage qu’ils n’ont pas désirés, inscrit au plus profond de leur chair, incapable de s’en défaire que par la mort.

Nos premières années sont sans intérêt, mis à l’abri du monde autant que de nous même. A grandir dans les détritus, la fange et la crasse. Nous n’existions pas. Nous n’étions que les trophées d’un père s’enfonçant toujours plus dans sa folie. Jusqu’au jour où Crocus nous libera. Il commit le parricide. Et dans le sang suintant de notre père s’écoulant sur le sol de sa maison, nous vîmes la liberté. Là où se tenait un meurtrier, nous vîmes un libérateur.

Crocus ne voyait que la haine.

Pendant plusieurs années, Crocus a été celui qui nous a maintenus en vie. Il a commencé à voler, à subvenir à nos besoins, à nous trouver un toit, à nous trouver un refuge. A nous, ces petits frères et sœurs. Ceux qui ont survécu. Ainsi qu’à notre mère. Nous ne la comprenions pas, mais il n’y avait rien à comprendre entre une mère et sa progéniture. Tout se sait. Tout se ressent. De fil en aiguille, Crocus nous a appris à faire de même et tandis que nous gagnions en indépendance, il s’enfonçait un peu plus dans le milieu criminel. Nous avions suivi ses traces jusque là, mais tous, nous n’avions pas les mêmes aspirations.

il ne nous a pas retenu. On ne sut jamais vraiment si dans le fond, il nous détestait. Mais il nous a laissé choisir notre voie. Et pour nous, il restera toujours celui qui a brisé nos chaînes. C’est une des raisons qui m’ont poussé à vouloir faire de même. A briser les chaînes de ceux de ma race, mais ce n’est pas encore le sujet.

De l’ombre à la lumière, j’ai toujours été proche de ma mère, rejetant la part d’humains en moi pour ressentir uniquement les instincts animaux. Mais on ne peut longtemps les retenir. On finit toujours par être ce que l’on est. Je voulais découvrir le monde et quitter ma mère fut difficile. Elle est restée avec Crocus. On ne peut vraiment savoir si c’est un choix ou la force de l’habitude. Son esprit a sûrement été brisé par les sévices et les drogues. Au fond de moi, Crocus était le plus capable de la protéger et je les ai quittés sans peur.

J’ai longtemps voyagé, évitant les grosses agglomérations et préférant la vie sauvage. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me faire accepter dans des territoires de ratons-laveurs. Je n’étais pas comme eux, mais un peu en même temps. J’ai beaucoup travaillé pour obtenir leur confiance et en contrepartie, j’ai appris ce qu’est être un raton-laveur. A côtoyer mes semblables plus que les humains, j’ai abandonné cette part de moi-même. Je me suis mis à me considérer comme un raton-laveur à part entière. Et c’est dans le fond de la voûte céleste, quand souvent je la contemplais la nuit, je me suis mis à m’imaginer qu’une puissance céleste était à l’origine de nos existences. Que nous avions un but. Que dans l’horreur de notre création, nous serions amenés à faire quelque chose de grand.

Un jour, j’ai eu l’intime conviction que le Grand Racoon existait. Et que nous étions ces mains en ce monde, amenées à agir en son nom et dans le but d’élever nos frères et sœurs ratons-laveurs au-delà de leur condition de simple représentant du monde animalier. Un peuple à part entière. Ce jour, tout a changé. Et j’ai cessé de n’être que moi. Je suis devenu le soldat d’une cause. D’un destin pour tout un peuple. Chacun de mes actes s’est aligné sur cet objectif.

Je me suis alors entrainé, pour être assez fort pour servir mes desseins et protéger mes camarades. J’ai enfoui la moindre once d’humanité en moi : je l’ai tué. Même. En tuant un braconnier. ça ne m’a rien fait. Ce devait être fait. Pendant deux ans, j’ai aussi essayé de liguer des ratons-laveurs ensemble, d’initier ce qui deviendrait le mouvement de libérations des ratons-laveurs, mais la communication est difficile. Ce n’est que très récemment que j’ai appris à pouvoir communiquer avec eux. Et en obtenant ce pouvoir, je me suis fait la réflexion que cette cause ne pouvait être uniquement sur mes épaules. J’ai su alors qu’il était temps de retrouver mes Frères et Soeurs. De sang.

Chacun a parcouru son chemin, a tenu la distance, à souffert en silence, mais si dans le fond nous pouvons nous haïr, je les aime. Car ils sont ma famille. Et si je ne peux associer mes frères et sœurs à cette entreprise, comment pourrais-je y parvenir sans eux ?

Aucun.