Croire peut être une bénédiction comme une malédiction.

Cela peut être une bénédiction pour son porteur car, généralement, la foi apporte réconfort, espérance, courage pour ses fidèles.  Même dans la nuit la plus sombre, cette vertu jaillit dans les ténèbres, repousse les ombres de la peur et l’obscurité du doute. Comme un phare qui éclaire les navires et qui les empêche de les faire s’échouer sur des récifs, elle est une flamme qui vit dans le cœur de l’homme et qui l’enjoint à vivre, à être bon, à s’abandonner à une instance supérieure et à grandir. Il ne faut pas oublier non plus ces communautés qui se forment autour d’une même croyance. Le fidèle n’est alors plus seul, non. Il a des frères et des sœurs sur qui il peut compter, des camarades avec qui il peut prier, peut-être même un chef qu’il peut vénérer.

Pour autant, la foi peut aussi être une malédiction, surtout quand on est voué à diriger un culte ou un mouvement. Toute l’attention se tourne alors vers ce meneur, qui est inspecté sur toutes les coutures. Comment agit-il ? Que va-t-il dire à ses fidèles ? A-t-il déjà créé un scandale ? Est-il bon ? Juste ? Injuste, peut-être ? Et quels sont les dogmes, les grandes idées qu’ils prêchent ? Le leader qui accepte un tel rôle doit être prêt à endosser un masque, à ne rien montrer, à tout supporter, à cacher sa faiblesse aux yeux des autres. Car personne n’est parfait en ce monde. Et si la foi peut nous faire fermer les yeux sur certaines choses, ou nous pousser à pardonner si on enseigne la miséricorde, il est certain aussi que certaines croyances sont plus dures, plus rigides et corrompues. Ainsi en va-t-il pour ces sectes qui ne prônent qu’une seule vérité, qui isole ses fidèles, et qui enlève toute liberté à autrui. La foi a donc du bon comme du mauvais, et il ne tient qu’à chacun d’en faire une force comme une faiblesse qui nous emprisonne à notre insu.

Au Reike, une nouvelle mouvance a vu le jour depuis quelques années. Les Stellaires, ou le Culte des Enfants Célestes, comme ils s’appellent. Ils se sont répandus à une vitesse surprenante, et ils se sont d’autant plus fortifiés après la guerre contre les Titans. En temps normal, Zéphyr aurait confié son expansion à sa subalterne – d’ailleurs, c’est probablement ce qu’il va faire – mais l’homme aime vérifier certains problèmes de ses propres yeux. Se déplacer en personne, ou envoyer l’un de ses doubles, a toujours du bon, puisqu’il peut constater les choses grâce à ses cinq sens et creuser le sujet comme il l’entend. Puisque ce soir, il n’a rien de prévu à Ikusa, le maître-espion en a profité pour quitter quelques heures la capitale et s’aventurer dans des villages plus ruraux de l’Empire. C’est dans ce genre de milieux que les Enfants Célestes prospèrent, c’est donc là qu’il pourra plus facilement les trouver. Et le moment est d’autant mieux choisi que c’est la pleine lune. Selon le rapport de ses agents, c’est à ce moment que les principaux Stellaires se réunissent pour accueillir de nouveaux adhérents. En conséquence, c’est à ce moment-là qu’il pourra bien voir comment cette communauté se comporte entre elle et quelles sont les grandes figures qui la composent. Sur le papier, le Reikois sait déjà beaucoup de choses – il n’est pas l’Oreille pour rien, au fond – mais tout comme il y a différence entre la théorie et la pratique, il y a un fossé entre rencontrer quelqu’un en personne et simplement lire des rapports composés par ses espions.

Ce mouvement a suffisamment pris de l’ampleur pour susciter son intérêt, et aujourd’hui, Zéphyr veut rencontrer cette Prima Stella admirés par les petites gens. C’est sa personnalité qu’il souhaite avant tout découvrir, ainsi que ses projets sur le court et sur le moyen terme. Porter une adoration envers le couple royal, c’est bien. Lutter contre les Titans, c’est parfait. Mais est-ce que cette foi peut créer une vague, un tsunami, qui en vienne à troubler l’ordre au sein de l’Empire ? Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’une croyance fanatique, on ait une rébellion mal placée ou un mouvement qui devienne incontrôlable. C’est notamment pour cela que le sabreur veut vérifier les aspirations de sa meneuse, et être certain qu’elle ne soit pas non plus folle à lier.

Il restait encore à trouver l’endroit de la réunion des Stellaires. C’est impossible pour un homme seul, mais ça l’est moins quand on a tout un réseau qui vous obéit au doigt et à l’œil. Il a fallu bien sûr déplacer plusieurs agents, délimiter les villages possibles en fonction des derniers déplacements de la Prima Stella, mais ça n’est pas au-delà des capacités de Zéphyr. Quant à entrer dans l’assemblée… Le Culte des Enfants Célestes n’est pas spécialement fermé aux inconnus. S’il peut faire de nouveaux adeptes, c’est tout à son bénéfice. Et qui se méfierait d’un homme qui a délaissé ses beaux habits de la cour pour de simples habits de voyage, que tout aventurier digne de ce nom mettrait sur lui ?

En tous les cas, Zéphyr se mêle facilement à la foule. Il est notoire que c’est l’attraction du jour, sinon de la nuit, puisque la lune règne désormais en maître sur les cieux. Il n’y a plus qu’à attendre que la Prima Stella se montre, puis qu’elle prenne congé et qu’il demande une entrevue avec la meneuse. L’ensemble de la soirée, il en est sûr, sera très intéressante.